bienvenue, welcome, welkome,etc

Ce blog comporte quatre parties :

– les articles simplement actuels

– des textes de fond, insistant sur le point de vue expressément politique adopté partout ici

– des rédactions plus anciennes par exemple à propos de simples citoyens d’un côté, de potentats de l’autre, aux Etats-Unis

– des échanges avec correspondants qui seraient trop restreints à l'intérieur des cases prévues.


mardi 28 août 2012

Actuel 23 : St-Imier


Référence d'abord : on trouvera sur le site
le texte complet de la déclaration finale anarchiste après le congrès anniversaire du 8 au 12 de ce mois d'août à St-Imier.
On commencera ici par en retenir un bref historique du congrès de 1872 et de l'exclusion de l'AIT, essentiellement par Marx, de Bakounine et de son courant. Les héritiers libertaires de 2012 rappellent la raison de base de cette séparation : côté Marx, l'exigence de la participation à la vie politique par un parti très organisé, voire très hiérarchisé, en vue de la prise du pouvoir ; côté Bakounine, la dénégation violente d'une telle démarche, en ce qu'elle revient à réinstaller un Etat, et par là très vite une dictature. Nous recommandons de taper sur "Google" : "1872 Marx Bakounine", il y a de nombreuses références de qualité sur cette affaire, dont le texte de Daniel Guérin — malheureusement diminué par une typographie parfois aléatoire, mais où passent les qualités et les connaissances d'historien de l'auteur.
La déclaration anarchiste reprend et actualise la critique de Bakounine, multipliée après Staline et Mao. Puis elle donne un tableau remarquablement synthétique de la guerre sociale et économique actuelle et, dans ses termes propres, invoque l'action des classes populaires par elles-mêmes, décrit ce que sont devenus les partis qu'on dit encore de gauche et propose en horizon, par action directe, un communisme libertaire, un pouvoir populaire, et enfin l'autogestion sociale. SVP allez voir. Mais ceci fait, pensons un peu.

C'est à Paris d'abord (1846) que Marx s'érigea en magister de Proudhon pour lui faire entendre la dialectique de Hegel. De son côté, Bakounine entra par lui-même dans cette fascination infernale. Et tout serait dit...
... s'il ne fallait parfois redire. Redisons.
Après Waterloo, contre le souvenir des Lumières et la fondation par Diderot de la philosophie expérimentale, l'action idéologique de la Sainte-Alliance s'exerçait partout, avec la tendresse ordinaire des réactionnaires quand ils viennent de remporter une victoire. Certes, tout le monde pouvait en principe savoir — et malgré la flicaille intellectuelle des BHL de l'époque beaucoup retenaient — que la philosophie véritable, la théorie politique, ne pouvait que se fonder sur tous les acquis du savoir, en histoire comme en science. Mais contre tout bon sens même élémentaire, Hegel au contraire se prostituait au retour en verbalisme scolastique ; il réussit largement, avec l'aide de brutalités très directes, censures ou répressions, à noyer la tendance naturelle à l'accord par la connaissance, au profit de la dispute sans fin sur des mots jamais clairement définis. C’est ce tableau qu’il faut avoir en tête : surtout depuis Galilée, et avec une ardeur politique spéciale à travers Diderot et l'Encyclopédie, on admettait que la synthèse globale de toutes les expériences, la philosophie, devait être toujours affinée et propagée en fonction de l'évolution scientifique et historique, pour l'éclairement commun des peuples et pour l'approfondissement continué des valeurs les plus humaines, vérité, liberté, justice — démocratie.
Avec Hegel, fini.
Hegel était au fond de tout non seulement un verbaliste, mais un théologien : et c'est dans la lignée hegelienne que se sont placés Marx, Proudhon, Engels et Bakounine. Il ne faut jamais sous-estimer l'efficacité de la répression : contre Galilée et Diderot, dont la plupart des progressistes ne savent encore aujourd'hui que des images d'Epinal plus ridicules et caricaturales les unes que les autres, par Hegel la mort verbale et la réaction avaient gagné. Nous en héritons encore.

A partir de là, il est inutile de s'enfoncer dans le pathétique des tentatives progressistes, qui ne trouvent rien de mieux que de se réclamer de tel ou tel grand-père : elles transforment en phrases des programmes de bonne volonté humaniste pour lesquels n'existeront jamais les moyens d'accord et donc de réalisation. Ainsi l'humanité entière se retrouve-t-elle en ce temps-ci à la croisée des chemins : ou bien elle se résout enfin à intégrer profond ce qu'il est possible (si facilement) de savoir ; ou bien elle laisse parler sous les mots les aberrations et scissions par instincts de clans et hordes, elle achève de laisser dévaster notre splendide navire planétaire et elle en crève.

Ce serait pourtant si simple de comprendre la barbarie des tyrans et de l'histoire à travers l'éthologie ; de mesurer la puissance de techniques de mieux-vivre à travers la physique ; de comprendre qu'on pense en images décantées du réel et non en mots ; de lire plus loin que les formes économiques pour revenir à l'équilibre — aux droits des gens.
Certes, camarades, vous pouvez vous forger une bonne conscience à lire et relire ce qui vous plaît de débats et de bouts d'histoire, et parfois même agir un peu dans votre secte favorite. Mais si vous ne vous éclairez pas, si vous n'éclairez pas les êtres et les peuples du patrimoine énorme de savoir, si vous laissez des démagogues bien connus détourner de ce que seule offre une explosion unique — la prise en compte universelle de l'expérience universelle —, si toujours vous sombrez dans les mots au lieu des idées, notre espèce entière dépérira, horriblement.
Est-ce une telle atteinte à votre amour-"propre", d'apprendre et d'enseigner l'essentiel ? Après deux siècles incroyables de bouleversements de savoir, science et histoire, cela vous gêne-t-il donc tant de les saisir un peu ? Préfèrerez-vous toujours vous mettre au chaud parmi des sensibilités pareilles à la vôtre, plutôt que d'affronter au profit de l'avenir le grand large de la vie et du monde ?

Actuel 22 : Proche-Orient, encore


Il y a peu de nouveau dans le principe depuis "Financiers anglo-saxons, vampires du monde" (ici en Fonds d'Archives 1), mais les choses se précipitent autour de la Syrie et de l'Iran que nous y désignions alors. Un point d'actualité.
Au contraire donc de ce que nous avons publié, beaucoup, trop, de gens ont longtemps affirmé que l'intervention militaire de l'En-pire ne se ferait pas en Syrie, notamment parce que la confrontation avec la Russie y était inévitable et très dangereuse. Ce genre de prédictions ne tient jamais devant la détermination des gens au pouvoir qui, pour le conserver, sont prêts à n'importe quels risques pour donner n'importe quels gages à leurs commanditaires : les brutes derrière Obama peuvent compter sur lui pour montrer qu'il sait faire aussi bien que Bush, comme ici derrière Hollande on sait qu'il vaut bien Sarko dans les actes — et la rombière Clinton fera pour le dollar comme tous ses prédécesseurs, frôlant et effleurant la guerre mondiale. Dans l'identité fondamentale des milliardaires russes ou chinois et USAïens (ou assimilés israëlo-arabes, comme on va y revenir), il y a consensus de préservation commune : on a son clan et ses alliés, on se dispute un peu la place, mais on est d'accord pour ne rien laisser de parole et de droits aux peuples. Chaque fois, les tyrans de Russie et de Chine (qui ne sont pas leurs peuples, ni "la Russie", ni "la Chine" — ne jamais oublier) reculent et reculeront devant le modèle qui les encercle géographiquement comme politiquement, parce que rien de ce qu'ils représentent ne peut trouver d'écho assez profond ailleurs dans le monde. En face, le sinistre "invisible government" par CIA & Cie, désormais bien établi, sait qu'il peut compter sur l'absence de protestation organisée nationale ou internationale, il en use et en abusera jusqu'à toute horreur — si rien ne change.

Une synthèse des réalités militaires vers la Syrie peut être trouvée sur <mondialisation.ca> sous la plume de Michel Chossudovsky : pour ce qui compte ici, l'action sur le sol syrien depuis la Turquie, par les mercenaires qataris et autres, est en marche depuis des semaines, elle n'attend plus que les frappes aériennes et les navires de l'OTAN — c'est ce que les journaux de l'espèce du "Monde" exaltent comme révolte d'un peuple contre une dictature —. Tout est donc prêt pour adapter le scénario colonial habituel (Irak-Afghanistan-Libye derniers exemples) au cas syrien, avec bien entendu en synchronisme la lenteur de préparatifs proprement guerriers, notamment navals, et le temps laissé pour le déchaînement médiatique et le bourrage de crânes en accompagnement. Reste à voir de plus haut.
Car la Syrie n'est qu'un pas de plus vers l'Iran et la Russie, et à cette dimension on ne peut plus se contenter de reproduire le schéma de violence locale qui a si bien fonctionné récemment en Libye. D'où la porte ouverte à l'Iran, pour le moment, par l'Arabie Saoudite, et l'intervention d'Israël. C'est cela qu'il faut analyser.

Pour Israël, le fond de la question est simplement dans le caractère d'extrême insertion de cet Etat dans le système capitaliste international, mais les détails sont croustillants.
D'abord Netanyaou, le premier ministre actuel, vieux cheval de retour des mœurs en cause, est un sharoniard pur jus : enrichissement personnel dévergondé, mafia de corruption effrontée, conseillers religieux intégristes sauvages, lois antisociales toujours plus oppressives, et tout et tout. A force de scandales, il était pratiquement contraint à la démission voici quelques mois : par le plus grand des hasards, un autocar israëlien était mitraillé dans le sud du pays, et un vaste tam-tam médiatique a rangé sous la bannière du nazionalisme les parlementaires de la Knesseth, qui étaient au bord d'une efficace révolte. En ce moment, c'est une augmentation pathologique d'une taxe du genre TVA (le type d'impôt, indépendant du revenu, le plus dur pour les pauvres) qui rend de nouveau Netanyaou trop... visible, et de bons préparatifs de guerre contre l'Iran sont très bienvenus pour détourner la colère populaire : nous laissons nos lecteurs décider de ce qu'a pu être l'ordre choisi ou non dans la planification du vol fiscal et de l'intox belliqueuse.
Mais quoi ? Faut-il s'attendre à une guerre totale avec l'Iran, ou à des bombardements plus ou moins restreints aux centrales nucléaires honnies par la "Communauté Internationale" en la personne de l'AIEA ? Souvenez-vous : sous la haute autorité du colonel-professeur Ne'eman (cf. la Toile), les centrales irakiennes avaient été anéanties en juin 1981 par des avions israëliens — les conséquences notamment françaises n'ont pas fini d'intéresser les historiens : affaires d'uranium entre France, Iran et Irak, Eurodif, Georges Besse, Véronique et Michel Baroin (le père) —. Retenons au moins que de telles frappes se sont faites, et peuvent se refaire. Et voilà le contexte de la réunion de l'Organisation de la Communauté Islamique (OCI), avec les ayatollahs chez les amis saoudiens redevenus frères, et surtout musulmans qu'ils disent.

C’est dans ce contexte que prennent tout leur sens les anciennes et bonnes paroles d'un démocrate algérien : "Israël, c'est la station-service des dictatures arabes : chaque fois que leurs peuples n'en peuvent plus de les voir, les fascistes de ces pouvoirs vont se réalimenter en popularité par des rodomontades contre Israël". C'est ce qui est en train de se préparer. Avec sa perversité ordinaire, France-Cul(ture) déclarait ces jours qu'une intervention militaire israëlienne contre l'Iran serait "très mal reçue par l'opinion publique de tous les pays arabes", ceci comme "explication" à la réunion de l'OCI et à la refraternisation saoudo-persane. La réalité est en fait celle-ci.
Le régime des mollahs a indéniablement un gros défaut pour les inféodés à Washington : la pauvreté matérielle est efficacement combattue, et ceux qui crèveraient de faim sous le "libéralisme" ont de quoi manger. C'est un très mauvais exemple. Toutefois, les tendances à la liberté politique et de pensée ont été anéanties par Khomeiny et ses suiveurs avec une efficacité dans la barbarie qui fait rêver les Frères musulmans aussi fort que la CIA. Ce capital (c'est le mot) de sympathie des antidémocrates "all over the world" n'a pas fini de servir Ahmadinedjad & Co. : c'est là le nœud du problème, et des forces qui commandent de laisser finalement le pouvoir aux mollahs.

Mais il y a aussi le global, et la pérenne rivalité entre Occident et Russie en Méditerranée orientale depuis (au moins) la guerre de Crimée. Or il y a une base navale russe en Syrie, et l'éclatement du pays à la manière yougoslavo-libyenne permettrait d'y installer pour l'OTAN une base concurrente, d'où les bâtiments et marins du cher Occident pourraient Koursk-er de près leurs homologues kremlinois...
Tout peut donc s'arranger. On mènera depuis Bruxelles aussi loin que possible l'intervention de l'Atlantique Nord en Syrie ; Israël de son côté anéantira dans le tohu-bohu les rêves de Téhéran de devenir une puissance nucléarisée ; les peuples arabes furieux exigeront de leurs dirigeants les déclarations anti-sionistes que ceux-ci tiennent déjà prêtes ; au moment où l'attaque contre l'Iran pourrait s'étendre, la Russie profèrera enfin les plus terribles menaces ; et Poutine ridiculisé à Damas pourra sauver ce qui lui reste de face en se posant en sauveur des mollahs, qui eux-mêmes auront gagné un soutien accru de leur peuple. Chacun sa carotte...

Vidal-Naquet disait : "internationale des Etats" — on peut ne pas être d'accord sur tout avec Vidal-Naquet et lui reconnaître la paternité de la formule —. Ceci posé, vous pouvez achever votre lecture et ne plus bouger, ou au contraire faire lire cet Actuel 22 au plus possible de gens autour de vous : il y a des prévisions faciles qu'il faut diffuser tôt, et qui feront réfléchir. Longtemps. Surtout qu'avec un peu de chance, il y aura sur la Syrie une Conférence et des accords "de paix" : nous pourrons aller y manifester notre soutien aux diplomates...

lundi 20 août 2012

Actuel 21 : Sites proposés : mise à jour août 2012


Montaigne disait qu'il aurait voulu davantage de locutions sur le thème : "je pense", "il me semble", "peut-être", "à l'adventure" (que c'est joli) etc. : ce n'est pas notre genre — autres situations, autres temps, autres styles —. Mais quand il s'agit de critiquer des compagnons de lutte, quelques précautions ont leur place. Alors ceci : on trouvera ci-dessous des méchancetés directes sur les sites recommandés en page d'accueil ; ce n'est pas se croire infaillible que de parler franc — et voilà tout.

Il y a un nouvel affiché : <mondialisation.ca>. La présentation très serrée n'est pas idéale, mais il faut le signaler pour toutes les raisons : d'abord il est remarquable de contenu et actif de longue date ; ensuite il se passe des choses au Canada en ce moment, et il est très important de saisir chaque occasion de constater que vont ensemble, toujours, la réflexion à long terme et les mouvements qui font bouger dans l'immédiat. Ça vaut déjà bien le voyage, et puis ça fait revenir sur une réflexion ici obsédante : on doit partout et tout le temps accélérer, comme en ce moment les étudiants québécois (pas assez), l'union de la vue large et de l'action du jour — combien coûte aux progressistes ce manque de puissance, cette absence de coordination dans le temps et entre les gens, alors que les références communes leur tendent les bras !

Dans la richesse des textes du Réseau Voltaire, on trouve à la fois du percutant et du précis, en masse. Il n'y a pas de raison de trop regarder aux origines et aux soutiens qui permettent la diffusion d'informations aussi importantes : il faut surtout y voir une irremplaçable base critique, contre les ignobles media qui se disent à eux seuls — prostitués en nombre infime — "Communauté Internationale". Par contre il est évidemment indispensable de confronter à d'autres sources : on n'a pas à choisir entre milliardaires US et chinois, ni entre l'atlantisme d'asservissement à Wall Street-City et les pillards de l'ex-Union Soviétique ; cette exigence n'est pas toujours nette chez Meyssan et ses amis (pour des raisons qu'on peut imaginer). En outre, c'est une maladie chronique des opposants au pouvoir de sombrer dans le triomphalisme : il n'est pas très drôle de lire et relire dans le Réseau Voltaire que l'Empire USAïen est mort ou presque. Dans le même genre : on ne publie pas, d'un côté, une liste sans fin des attaques de plus en plus déterminées et féroces contre la Syrie, et de l'autre des répétitions illimitées que "cette fois" le régime d'Al Assad a "définitivement" gagné. Ne pas tenir compte d'aussi simples éléments de présentation n'aide pas la cause humaine.

L'excellent site de Michel Collon n'échappe pas non plus à ces dernières critiques, et c'est pareillement dommage. Il faut signaler cependant un exemple exceptionnel de justesse : le débat entre Pierre Piccinin et Bahar Kimyongür à propos de la Syrie, et de ce qu'y ferait une intervention étrangère. C'est sur cette ligne de discussion brûlante qu'il faut se tenir : dénonciation des procédés mis en œuvre par une dictature et cependant avertissement de ce qui serait encore pire.

<Survie.org> demeure inégalé de précision et de justesse sur son thème, la "Françafrique" : c'est un ensemble déjà étendu, qui en dit long et net sur le reste du monde. Les actions de théâtre de rue par des militants de "Survie", rendues en vidéo, sont aussi remarquables : trop peu se servent de tels moyens. Le courage et le travail sous-jacents paient et paieront. Ceci posé, il faudra bien un jour ouvrir le débat sur la différence entre simples présentations, même admirables de vérité, et détermination jusqu'à la violence... "Survie" s'en tient encore loin. Cela aussi, c'est dommage.

Il y a eu voici quelques semaines sur <Rebellion antifasciste> de pseudo-traductions de l'espagnol, qui se contentaient à peu près de remplacer les terminales en o et a de cette langue superbe par des e muets français : c'était purement et simplement illisible. Idem, une présentation qui compte sur le temps et les efforts du lecteur noie sur ce site des choses souvent remarquables : ce ne serait pas péché de les rendre plus accessibles. Ibidem, ça fait plus que plaisir de voir afficher Brassens et Ferré : mais mettre Brel à leur côté revient à oublier que ce dernier fut soutien de Paul Touvier... Ce sont partout de ces fautes qu'on ne peut pas laisser passer : car une efficace tradition médiatique voudrait faire confondre dans le mot d'anarchie la lutte contre le pouvoir, accompagné de ses naturels excès, et le simple désordre. Apporter de l'eau au moulin de cette ignominie est mal pardonnable.

Reste à critiquer ce blog lui-même : nul ne s'en fera faute — qui ne le cite ou le diffuse pas toujours —... Avouons donc qu'on compte sans doute trop ici sur le goût de réfléchir, et sur quelques connaissances hélas pas très généreusement répandues : à ce train on risque gros de voir l'avant-garde coupée des masses, c'est vrai ; il faudra faire toujours plus d'efforts pour être lu plus largement. Tout de même, à titre de plaidoyer de défense : rappelez-vous, ou relisez, "Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée" (c'est dans les "Châtiments", au début du livre 7) — on reprochait alors à un certain Hugo de ne pas faire plus contre un autre Empire...

Bonnes lectures !

mardi 7 août 2012

Actuel 20 : Innocente arithmétique


Ce sont des statistiques qui ont motivé la présente écriture. L'INSEE (ne riez pas déjà !) a surenchéri sur le Ministère de l'Intérieur dans "l'analyse" des résultats des dernières élections françaises. Mais si l'on revient à des chiffres hautement probables derrière les brumes et fumées aussi ignobles que mathématisées, il y a de quoi penser. Courage.

Deux points faciles pour commencer. Parlant en millions d'électeurs, en 2007 les inscrits étaient 44,5 ; en 2012, 46. En voix, l'élu de 2007 en avait obtenu 19 ; celui de 2012 en a eu 18. Bref calcul fait pour vous : les inscrits ont augmenté d'une élection à l'autre de 1,5 ; les électeurs du glorieux victorieux ont diminué de 1. Voilà, on vous laisse déduire (ni le Ministère, ni l'INSEE, ni "votre" journal habituel ne se sont appesantis sur cette déduction, profitez du champ libre).

C'est plus difficile ensuite, mais c'est bien plus drôle.
Encore et toujours moins de gens ont mis en avant le fait que, alors même que le résultat des présidentielles demeure avec une louable constance depuis des décennies du type 50-50, les Assemblées législatives sont passées d'une majorité écrasante en faveur de l'UMP en 2007 à une autre écrasante en faveur du PS en 2012, et ce malgré des redécoupages électoraux destinés à surfaciliter la droite et les zones qui "votent bien" — au sens sartrien, défini dans l'étude "Elections, piège à cons", cf. dans ce blog Actuels 2 et 5, Echange 2 —. En langage clair : l'essentiel est d'opposer une moitié de la nation à l'autre. Comme ça ne suffit pas à une vraie obédience capitaliste, on fait tout encore pour sur-représenter la droite aussi ignorante et égoïste que possible.
Cette sur-représentation n'a d'ailleurs pas pour seule cause ces redécoupages — ni les sournoises et perpétuelles incitations racistes et associées —. L'écœurement du jeu électoral, déjà net dans les chiffres globaux ci-dessus, est particulièrement actif chez les opposants au système. Ainsi entre autres, et même en se contentant des cases très spéciales de l'INSEE, on constate aux législatives :
primo :
– 60% d'abstentionnistes, 40% de votants dans les foyers de revenu mensuel inférieur à 1200 €
– le contraire — 60% de votants, 40% d'abstentionnistes — dans les foyers à plus de 4500 €
(plus on est pourri d'argent, plus on vote)
secundo :
– 60% d'abstentionnistes, 40% de votants chez les ouvriers
– le contraire — 60% de votants, 40% d'abstentionnistes — chez les artisans-commerçants-"chefs d'entreprise"
(plus on est parasite "meneur", plus on vote).
C'est déjà assez pour se poser avec davantage d'insistance la question : dans quel sens la nausée des conditions de suffrage biaise-t-elle les résultats ? ou si vous préférez : de qui les élus sont-ils élus ?
Mais continuons. Tertio : à plus de 60%, les 18-24 ans ne votent pas ; à plus de 70%, les 60 ans et plus votent. Détail : l'espérance de vie des ouvriers est de quelque dix ans inférieure à celle des cadres, autrement dit ceux que le système a favorisé de façon pas toujours parfaitement morale (encouragement aux parachutes dorés et maintien des hauts salaires pour les auteurs de "plans sociaux") aident par leur simple survie à perpétuer... la mort précoce de leurs employés, chômeurs en début de carrière.
Suffit ? Non. Quarto : les cases artificielles de l'INSEE amalgament des réalités économiques et sociales très différentes, bien sûr en partie pour nier les repères de luttes en classes marxistes, mais surtout pour maintenir la fiction d'une perception politique analogue un peu chez tout le monde (la "démocratie", ce doit être une politique épurée de vils intérêts notamment économiques). Eh bien, malgré ces voiles supplémentaires, le chiffre le plus élevé de toutes les statistiques fournies est celui des votes à droite chez les commerçants-artisans-etc. déjà dits : plus des trois quarts — ce sont donc bien ceux regroupés en confortable ignorance qui, inquiets seulement de sentir leur parasitisme artificiellement entretenu et favorisé, accrochent leurs échoppes aux plus rustres du système : la droite haineuse et sur-réactionnaire.

On peut poursuivre, longtemps. Dans la perversion par arithmétique électorale, on l'a dit, la base est la division entretenue entre une droite et une gauche en faveur du perpétuel 50-50. Une preuve supplémentaire en est encore fournie par la dernière présidentielle : alors que jamais depuis les années 1960 le président en place n'avait été l'objet d'un tel rejet public, l'écart final au vote a atteint difficilement 3% en sa défaveur — et cependant le basculement de majorité législative est total !
Disons tout, simplement : à partir des media et de tous les conditionnements des votes, découpages géographiques ou par âge ou par revenu ou par tout, le parti unique dit alternance se maintient et se maintiendra tant qu'on comptera sur les urnes, en penchant en apparence dans le sens qui endormira le mieux la colère populaire. Voyez ce qu'est déjà en cet été 2012 la politique extérieure (africaine ou proche-orientale) dans la continuité absolue d'avant le "changement" (le nouveau Bongo du Gabon reçu des premiers à l'Elysée, la France fer de lance de l'attaque contre la Syrie, etc.). Voyez ce qu'est, ou n'est pas, la politique intérieure (utilisation du Conseil Constitutionnel, instance suprême où siège désormais Sarkozy) : on prétend interdire de par la Loi, et Loi fondamentale (où figure le programme du CNR), les essais d'affaiblissement de la dictature d'entreprise, et on maintient pratiquement toute la racaille de harceleurs qui a été mise en place en administrations privées et publiques pendant le quinquennat précédent...

Et surtout n'allez pas dire que la comédie électorale ne se passe que dans des magouilles, filouteries, tricheries, trifouillages, biais, falsifications, tripotages, fricotages, grenouillages, équivoques, illusions, mensonges, feintes, trucages, impostures, déloyautés, fourberies, dans notre Cinquième République putain !
Ni m'en vouloir si j'oublie une virgule...