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Ce blog comporte quatre parties :

– les articles simplement actuels

– des textes de fond, insistant sur le point de vue expressément politique adopté partout ici

– des rédactions plus anciennes par exemple à propos de simples citoyens d’un côté, de potentats de l’autre, aux Etats-Unis

– des échanges avec correspondants qui seraient trop restreints à l'intérieur des cases prévues.


lundi 22 mai 2017

Actuel 112 Totalitarismes et Résistance

                       1. En inévitable avant-propos
                       Puisque tant de gens courent rêver de vote et de suffrage, au lieu de comprendre qu'ils participent à un nouvel exercice de manipulation des foules par les pouvoirs internazionaux, on doit prendre du recul et revenir à des savoirs et périodes exemplaires : parler de ce qui compte au lieu de ce qui passe est, après tout, le principe et la ligne de ce blog. Alors, pour se rassurer à partir de temps où des êtres humains pensaient assez humainement et activement, formant mouvements, réseaux et audiences, la relecture de
La mémoire courte
de Jean Cassou
est de la plus grande et de la plus belle actualité.
            Cet immense monument sur la Résistance française — cent petites pages — a d'abord paru en 1953. Il a été réédité en 2001. Il est actuellement épuisé mais accessible en occasion. Ces détails pour insister déjà sur un point capital, à savoir : on ne résume ni ne condense un texte de poète, et grand poète ; il faut le méditer et l'approfondir indéfiniment, en sachant qu'on ne l'épuisera pas. Il procure un bouleversement affectif de telle importance et qualité qu'on doit ensuite le confronter à chaque nouveauté, aussi souvent pour en admirer la facture et la profondeur que pour en démolir les fautes et les dérapages — chose que les pesantes majorités d'imbéciles du temps présent sont, évidemment, rigoureusement incapables de comprendre : car pour les cons, c'est par blocs entiers qu'on est bon ou mauvais ; le caractère par essence approximatif de la vérité, du savoir, de la pensée, et donc l'existence côte à côte et souvent en enchevêtrements de justesses et de faussetés, sont en dehors des réalités qu'ils peuvent atteindre. Donc ce qui va suivre s'efforcera d'être un commentaire critique, mais ne peut en aucun cas viser à un ersatz du texte de Cassou. Depuis qu'il a été écrit, certaines données saillent mieux : l'histoire sur notre planète et la science en général les ont éclairées de plus en plus fort. Au travers de recherches et de divers mouvements politiques à l'échelle du monde et de chaque nation, il y a eu des fulgurations dégageant le point auquel
les comportements de notre espèce relèvent bien plus constamment de l'animalité
(notamment de réactions grégaires)
que de l'humanité et de la conscience élaborée,
de la conscience-connaissance qui la caractérise.
Il est alors relativement facile de corriger les erreurs et les désespoirs de Cassou —pour en risquer d'autres, certes, mais peut-être aussi pour en éviter beaucoup, comme il avait si bien su le tenter. Bref, c'est un dégagement d'horizon pour pousser un peu plus loin l'aventure humaine : nous n'avons pas tant d'occasions de ce genre, en ce moment, que nous puissions nous permettre d'en délaisser une, et
La mémoire courte
 est, dans le genre, tout à fait exceptionnelle.

                       2. Schéma
                       On peut reprendre tout le travail autour d'une ou deux questions que pose l'auteur même : qu'a été la Résistance ? qu'ont été les Résistants ? Ses réponses, hésitantes et superbes, parlent un peu d'aventure, plutôt de bonheur, et finalement avec insistance de morale, avec ce que cela suppose de vécu et de partagé en chaque individu. De là, l'opposition à l'horreur d'en face : le totalitarisme. Voilà le fond.
            Pour le dégager, il faut se remémorer d'abord le torrent historique des formes de pouvoir, ce pouvoir capable de tout et de tous les sadismes, cette tendance à la domination sur des êtres, à n'importe quel prix, incluant ses moyens les plus efficaces — morts, et quelles morts ! — avec les retentissements en potentialités grégaires : les terreurs et les folies agressives dans l'humain. Ainsi un peuple qui fut des plus cultivés, peut-être le plus cultivé de l'Europe et du monde, a pu être transformé en armées de psychotiques ne rêvant que la torture et l'annihilation des autres : Cassou désigne, évidemment, le peuple allemand. Au contraire il exalte "la France" et pourtant
            – il ne manque pas de voir dans les Français la médiocrité infâme qui a donné la Kollaboration, "orgie de crétinité", "noces de l'ineptie et de l'abjection"
            – il ne manque pas de désigner Pétain comme l'absolu de la trahison
            – il n'a pas manqué ensuite de dire ce qu'étaient les guerres coloniales
            – il ne manquerait pas aujourd'hui de reconnaître les héritiers des BOF, "beurre-œufs-fromages" et autres fermes tenants du marché noir de 39-45, dans les trafiquants et mercantis de 2017, depuis les Le Pen jusqu'aux "en-marcheurs" de la banque, en passant par les néo-Pinay et épiciers parvenus de la Fillonerie.
Et pourtant Cassou exalte aussi sa chère Espagne, et la lutte de cette Espagne contre l'immonde dont peu mesurent aujourd'hui encore la saleté, parce qu'il eut l'appui des papes et Eglises catholiques de son temps : le plus que monstrueux Franco. Et pourtant Cassou exalte aussi ses merveilleux amis italiens antifascistes...
            Bref il montre combien on peut se tromper en voyant presque toujours juste.
            Car enfin
            – il y eut des Allemands antinazis — les gamins de la "Rose Blanche", dont Hans Scholl criant vite "Es lebe die Freiheit !" avant que ne tombe le couperet, et avant lui bien des communistes allemands étrennant les camps de concentration —
            – comme il y eut un communiste français pour crier à la face de ses fusilleurs en feldgrau "Vive le Parti communiste allemand !" ; cela n'empêche nullement de reconnaître que Cassou a bien eu raison de se méfier des partis prétendus communistes, et des feldgrau — mais on peut aujourd'hui s'enorgueillir, juif et français, d'avoir des amis allemands.
            De même il y eut, ô Cassou, des Français nazis : tu le sais, et tu en parles, comme il y eut des Espagnols franquistes et des Italiens fascistes. Il y eut des Français sortis de l'Occupation pour se transformer en assassins à Sétif et à Madagascar. Cela n'empêche pas, au contraire, de se souvenir qu'il y eut des Français comme toi dignes, eux, de l'héritage des Lumières et de notre grande Révolution, comme il y eut un poète (à mon gré plus grand que Göthe) qui fut fait citoyen de la première République française et qui fournit quelques rythmes essentiels au sommet de l'œuvre de Beethoven : Friedrich von Schiller. Schiller était très allemand, Cassou, comme bien des copains de notre immense Diderot, en particulier son traducteur dans la langue d'outre-Rhin : Lessing. Si Lessing avait su ce que donnerait l'idée de nation entre les mains des Junker puis de Hitler, il n'aurait certes pas été des premiers nationalistes allemands...
            Au bout de tant de tels exemples, nous qui venons après tout cela, et après toi, Cassou, nous devons voir bien plus net que "l'Allemagne", ou "la France", ou "l'Espagne", ou "l'Italie". Ou n'importe quel peuple — ce qui est pourtant déjà moins imprécis, et moins affaire de pouvoir et d'Etat que "nation".

                       3. Première élaboration
                        Il y a, dans La condition humaine de la grande époque de Malraux (les individus, comme les peuples, parfois dégénèrent), un Russe militant d'humanité qui s'appelle Katow. Le roman se passe lors de la tentative de Commune à Shangaï, et ce personnage, allié bien sûr aux révolutionnaires, fait ressentir le fond de sa recherche en répétant un adverbe à la racine fort éclairante : absolument, qui passe dans toutes les langues qu'il parle. Dans les dernières scènes où Katow apparaît, on le voit donner les deux moitiés de sa pilule de cyanure à deux jeunes camarades chinois, parce qu'ils sont terrorisés à l'idée du supplice qui les attend : être jetés tout vifs dans le foyer d'une locomotive. Puis, désignant leurs cadavres aux bourreaux venus le saisir pour l'emmener à leur place à cette mort torturante, il dit "avec une joie profonde" : "il n'y en avait absolument que pour deux".
            Voilà, Cassou. L'absolu d'humanité n'est ni allemand, ni français, ni russe, ni chinois, ni méditerranéen ni cætera. On ne peut commencer ni finir la liste des Africains du Nord ou du Sud, ni des Américains du Nord ou du Sud, ni des Européens ou Asiatiques de l'Est ou de l'Ouest, qui ont vécu à leur échelle ce que tu décris à propos de ton pote Irénée Cros, architecte à Foix : voyons, faisons voir, Cros.
            Cassou le fait apparaître d'abord à l'occasion d'un apéro, offert à des copains très militants, "en manches de chemise, ses bretelles de bon gros bourgeois barbichu pendant par-derrière". Puis peu après, la nuit où la Gestapo est venue frapper à sa porte : "Il aurait pu fuir, car sa villa, qu'il avait lui-même construite, avait une autre issue [...] Mais ses tiroirs contenaient des papiers compromettants pour l'organisation et pour les camarades, et il prit le temps de les brûler. Les Allemands, eux, eurent le temps de forcer la porte, de monter l'escalier et d'abattre Cros à bout portant."
            Ce don complet de soi pour sauver ou au moins tenter d'épargner un peu d'autres justes, c'est comme chez Katow : un sommet d'humanité. C'est en accord parfait avec certain approfondissement de soi qui fait qu'on ne peut plus tolérer de s'agréger à des troupeaux, des totalitarismes, parce qu'on a atteint une conscience, elle, absolument caractéristique de notre espèce.
            Pour cela, il faut d'abord reconnaître de quel côté sont les justes, de quel côté est la justice. Or ce n'est possible qu'à partir de la vérité, et cette valeur est hors de portée des bêtes, humaines ou plus simplement animales. Nous savons bien quels salopards prétendent que la vérité est dans une soi-disant parole de dieu(x) : ce sont les criminels qui ont soutenu Franco et Hitler, ceux qui ont forgé pour Hitler et ses semblables le camp d'entraînement qu'a été la guerre d'Espagne, ce sont les bourgeois de toute l'Europe encourageant ensuite Hitler à Munich. C'est par ce rappel que commence le livre de Cassou, et ce sont là des faits historiques qu'aucune tricherie de programme ministériel et de manuels d'Etats ne peut effacer : la vérité des documents et des mémoires est globale, et reconnaissable par tous en tous continents de notre Terre. En outre aujourd'hui, avec l'éthologie, tous peuvent enfin savoir quelles maladies mentales, quels refoulements puants mènent à choisir le pouvoir, comme les dominants de bien des espèces et de bien des singes mal évolués, au lieu de choisir le savoir dégagé par le plus élevé de l'aventure humaine.

                       4. Approfondissement
                       Il faut encore éclairer ce fond, cette profondeur où la morale se confond avec la connaissance, où il n'y a plus de distinction entre morale et savoir : entre éthique et éthologie. Atteindre ce niveau de conscience a pu être donné à quelques génies par hasard (et encore de façon floue, difficile à partager). Certes ces exemples sont tout à fait considérables — que la mémoire commune les aient enregistrés ou non, Orwell et Camus ou Irénée Cros et Simone Michel-Lévy —. Mais en tout cas aujourd'hui, à force de leçons de science et d'histoire, à force d'apprentissages et de décolonisations de continents ou d'esprits, c'est incomparablement plus accessible. Cela suppose surtout qu'on voit clair dans les appuis réellement humains, et dans les violences ennemies.
            Du côté des appuis, de ce qui est dit déjà ici même, il y a surtout les éclairages irremplaçables apportés par l'éthologie sur la priorité historique de l'animalité sur la raison jusque dans les affaires humaines : cela nous permet de saisir le plus profondément et réellement juste, à partir du plus profondément et réellement vrai. Or rien n'est juste, rien n'est vrai, qui ne puisse être reconnu pour tel simplement parce qu'on le démontreet non parce qu'on torture et pervertit à force de massacres, d'inquisitions et de catéchismes pendant des décennies ou des siècles. Ainsi pour tous les êtres humains, "deux et trois font cinq" est essentiellement aussi compréhensible que ces faits : les mouvements de foules activent l'instinct grégaire ou les barbaries historiques et les heurts de déterminismes aveugles activent des refoulements, menant à des définitions absurdes d'ennemis, à des tabous et des frontières insensés — et c'est pour cela que l'éthologie politique n'est pas enseignée —. Au contraire, du côté des violences ennemies, tant que par exemple on refusera d'apposer sur une cathédrale comme celle de Strasbourg des plaques commémoratives rappelant les innocents jetés du haut de sa flèche pour "péché" déclaré "d'infidélité", on perpétuera les séquelles des crimes inquisitoriaux, et les failles mortelles de la mémoire humaine.
            La vérité, à chaque stade d'approximation, ne peut être que de toute l'humanité, globale comme la justice, et opposée à toute "conversion". Car la vérité s'oppose aux mensonges, répétés en dogmes ou autrement. Les totalitarismes, eux, vivent d'ériger des frontières, de la désignation "d'ennemis absolus" : les "infidèles" pour tous les religieux, le juif pour Hitler, le communiste pour les néo-nazis des Etats-Unis, l'"islamiste" pour leurs équivalents plus récents et proches — n'importe : dans chaque cas et dans leur ensemble, il faut voir comment et pourquoi c'est d'abord une faute puis vite un crime, de traiter un Allemand de boche, un Arabe de bicot, un Africain sud-saharien de nègre. C'est un excellent exercice de continuer cette liste en réfléchissant honnêtement sur des critères géographiques, sexuels, ou tous autres qu'on voudra.

                       5. Abrégé pour conclure
                       Tout cela précise donc déjà passablement appuis et forces contraires. Mais s'il faut tout résumer aussi court que possible, le plus fort appui est dans la conscience au sens de : retour sur soi au plus profond, donc dans tout ce qu'on a pu apprendre et qu'on peut partager sans violence. C'est dire que s'isoler ainsi provisoirement des tempêtes extérieures revient à faire appel à tout ce qu'on a appris d'autres, en retour intime à la mémoire de notre espèce, la mémoire de ces faits en nombre infini peu à peu rassemblés en compréhension cohérente pareillement chez tous ceux qui ont eu la chance d'y avoir accès ; c'est donc dire que ce moment d'isolement est tout le contraire d'une solitude.
            De même en essai de résumé court, le plus terrible ennemi est l'agrégation aux mouvements, férocités et hurlements de l'instinct grégaire (stades de Nuremberg et de maints autres lieux d'abêtissement). Roger Martin du Gard disait que le mot qui pour lui éclairait le mieux une phrase, une pensée, c'était conscience ; Bertrand Russell répétait : "Tu ne suivras pas la multitude dans le mal". C'est pareil. Orwell disait qu'aux moments des choix de vie, il faut cette tranquillité qui fait ressentir que deux et trois font cinq et rien d'autre, Orwell rappelait que reconnaître et faire reconnaître cette certitude intime entraîne tout le reste. C'est encore pareil. De même, la richesse doit être partagée entre ceux qui la créent et contre ceux qui veulent l'accaparer, même si les flics frappent et si les putains mentales des patrons disent que d'après la loi-travail les patrons ont droit à tout et les travailleurs à rien et que c'est ça la modernité. Même si toutes les violences du monde se liguent pour désigner d'autres ennemis que les seuls véritables, qui sont les acharnés de pouvoir et de domination stupide.
            De même et parce qu'il ne faut pas reculer devant l'horreur la plus douloureuse, le pire ennemi parmi "les" juifs n'est pas le lampiste israëlien ignare : c'est Netanyaou qui se maintient au pouvoir en faisant mitrailler un autocar dans le sud d'Israël, au moment où l'évidence de sa corruption allait l'obliger à démissionner. Car en ces affaires de peuples persécutés puis criminels, j'ai parlé des Français sortis de l'Occupation allant, du côté de Sétif et de Madagascar, mater à la mitraille les insurgés de la dignité humaine : mais je n'ai pas encore parlé des juifs sortis des camps de la mort et prenant leur "revanche" sur des malheureux restés plus longtemps qu'eux en Palestine. Cette prise de conscience peut être atroce, mais elle est encore et toujours, et indéfiniment
la même.
            Ainsi la rébellion contre tout totalitarisme, financier et atlantiste ou autre, la rébellion au nom de la Résistance à l'oppression doit faire appel aux mêmes moyens, partir de la même morale. Elle doit passer par les mêmes avertissements puis les mêmes justices et les mêmes violences, parce qu'elle doit s'opposer aux parodies et barbaries des institutions judiciaires et des Etats accaparés en propriété privée. Ne pas voir cela, c'est écourter la vue qui compte. Cassou a écrit : "l'écourtement de la mémoire, c'est la mort". L'écourtement de la vue globale, historique et scientifique, expérimentale des choses, c'est la mort aussi. Pas seulement la mort prématurée d'un juste — déjà intolérable — mais celle de l'espèce humaine.
            Il est incomparablement plus important d'en prendre conscience que de participer aux mouvements grégaires qui conduisent aux urnes et aux trahisons. Car cette conscience est inséparable de l'action à mener : renseignement (apprentissage du plus important), propagande (diffusion du plus important), et ce qui inévitablement s'ensuit face à la répression.

            Il importe extrêmement de penser à tout cela d'avance et de voir ce que tout cela entraîne, au lieu de s'arrêter lâchement à demander ce qu'il faut faire.