Gênes des
foules.
Il y a la peur de s'écarter de la tradition, et
de l'investissement affectif parmi des voisins de Parti ou d'Eglise, dans les
religions dialectiques comme dans les plus anciennes. Il y a les obstacles et
menaces extérieurs, comme par exemple : chaque siècle donne plus
clairement conscience aux chefs et brutes qu'il vaut mieux laisser dans le silence
et l'obscurité ce qui, trop public, deviendrait sonore et lumineux aux yeux de
beaucoup — il est bien plus confortable aux prêtres, prêcheurs et traîtres d'étouffer
le débat et de maintenir les
litanies.
Ces choses-là s'enracinent dans la longue,
barbare et sinistre part de l'évolution propre à notre espèce. Que l'on tâche
de se représenter ce qu'il a fallu d'audace et de martyrs pour que, très
lentement, au bout de centaines et de centaines de siècles, quelques esprits
parviennent à faire entendre autre chose que les psalmodies terrifiantes et
terrifiées des mages, sorciers et chamanes. Le culte-terreur des morts, et de
la mort, et de la nature, est partout dès l'épouvantable aube humaine, dans les
cavernes et dans la tête des cavernicoles ; la technique balbutie en
outils primitifs, de fabrication elle-même figée par des rites, pendant des
millénaires, n'avançant souvent qu'au prix de la destruction d'une forme de
sauvagerie par une autre. Des déclarations franches de science et de raison
n'apparaissent craintivement — et sous quelles répressions ! — que depuis
l'hier de notre espèce : ce qu'on a appelé les Lumières après le XVIIIe est
simplement l'aboutissement jusqu'en philosophie et affaires humaines de la
constatation courageuse, par la méthode expérimentale enfin clarifiée.
Or là-contre, la revanche de la prosternation
mentale et des hâbleries insaisissables de confusionnismes, avec la Terreur
blanche imposée à coups de fouets et de meurtres par les sadiques oppresseurs,
a été à la mesure des espérances que les peuples avaient cru voir pour toujours
naître et se propager. Sur le plan de la prétention à la synthèse, cette
prosternation mentale et ces hâbleries insaisissables de confusionnisme portent
un nom : Hegel. Et dans les milliers et les milliers de pages d'œuvres de
Marx, Hegel est partout — Galilée et Diderot, nulle part — ; la dialectique
est partout — la méthode puis philosophie expérimentale, nulle part — ; la
prétention à la science, partout — la science dans sa réalité, son ensemble,
son histoire, nulle part —.
Dans la faiblesse ou la nullité scientifique de
bien des auteurs, la monstrueuse escroquerie hegelienne a pu se propager avec la
disjonction si fréquente dans les cerveaux entre raison humaine et férocité
animale : d'un côté, très progressiste, la volonté de mieux vivre et l'évidence
des potentialités techniques — agricoles, industrielles ou médicales —
exaltaient les plus belles espérances ; mais de l'autre côté, la psychose
de pouvoir chez des opprimés mêmes a vite trouvé ce qu'elle pouvait tirer à elle, en tressant ensemble ces
espérances et un nouveau Verbe religieux : la dialectique. Ainsi s'est
propagée cette contradiction dans les termes qui s'appelle matérialisme
dialectique — le (ou les) marxisme(s) —. Ce simple schéma, et ses suites hélas
aussi catastrophiques qu'actuelles, ne demandent qu'à être vus dans la réalité
de l'histoire. Mais il faut oser, étudier et réfléchir, ensemble rare — et puis
la démonstration peut apparaître délicate : il faut creuser pour retrouver
les repères flagrants, enfouis sous des tabous et propagandes en logorrhées.
Le plus
fort et le plus simple peut-être est de lire l'opposition entre vérité et
dialectique.
C'est le propre de la vérité que d'abord tous ceux qui ont eu la chance de
s'instruire la reconnaissent
et qu'ensuite tout le monde finit par en faire autant — non sans débat certes, et contre des procédés
politiques d'une rare violence et d'une criminelle sournoiserie —. Ainsi en présentant
le système solaire, Philolaos et Aristarque (le Samien) voulaient autant
provoquer que faire savoir : mais enfin cette affaire était claire pour
tous ceux qui acceptaient de voir depuis près de deux millénaires, quand l'Eglise a trouvé les moyens de récupérer
la découverte — au moins pour "l'histoire" des manuels — sous le nom
d'un lâche ignare de ses prêtres, Copernic. Cet exemple, toujours aussi mal
connu il est vrai, donne son échelle véritable à l'affirmation qui ouvre ce
paragraphe : la vérité ne peut manquer de devenir, grâce à son
universalité humaine, à peu près acquise et irréversible fût-ce après une lutte
de quelques siècles contre les crimes des pouvoirs.
Dualement, à l'opposé de la vérité et en
conformité avec les autres religions, l'histoire des marxismes est celle de
leurs violences et de leurs scissions : l'impossibilité pérenne d'un accord traduit l'impossibilité de
parvenir à une vue commune, une vérité, reconnaissable par tous. Cette
impuissance absolue, cette incapacité à la vérité, c'est la marque théologique de
la dialectique. Elle est esprit de scission, schizophrénie de base,
universellement présente dès la première Internationale (au delà même des
marxismes : Bakounine aussi était dialecticien, au sens simple et précis
d'admiration pour Hegel et d'ignarisme scientifique) ; elle éclate encore à
présent partout dans les ridicules des disputes et des groupuscules d'extrême
gauche ; entre-temps, elle a alimenté les crimes de Staline et Vychinski,
elle a fait éjecter du P"C"F le grand biologiste Prenant à propos de
Lyssenko comme Charles Tillon à propos du rôle (de l'absence de rôle) de Thorez
en Résistance, elle a largement paralysé la science puis la technique en Union
Soviétique de Jdanov à Souslov — simples traits au hasard de la plume :
partout, toujours, la dialectique a été un moyen des étrangleurs de liberté, de
vérité, de science. Partout, toujours, la dialectique a été le levier de
pouvoir d'un clergé bureaucratique de parasites fermement résolus à ce que le
Parti commande "aux fusils" — en réalité commande aux techniques,
commande aux révoltes, commande à tout, total totalitaire, avec le résultat
qu'on a pu voir de gaspillages assassins laissant les progressistes exsangues tout
au long de la révolution soviétique ou de la Seconde Guerre Mondiale ou des
soubresauts de décolonisation : liste sans fin, que chacun peut allonger
tant qu'il lui plaît, et que tout demeuré marxiste refusera indéfiniment de
voir.
Qui après cela peut nier l'identité de fond, en
volonté de pouvoir, qui fonde les prétentions magiques, religieuses et
dialectiques ? Il faut avoir le courage de répondre : tous les mages,
religieux et dialecticiens, puis leurs adeptes, et cela fait du monde. Marxisme
n'est que rempart, des derniers en
date mais le plus actif parmi les progressistes mêmes, de la réaction.
Enracinée
par exemple dans une de ses lignées de Thalès à Ibn Rushd, la véritable
philosophie est à l'affût de connaissances et non de systèmes et Verbes. Elle a
sondé la vacuité des présomptions de Descartes et davantage encore de Pascal ou
Spinoza après le bouleversement galiléen. Elle a lentement mais sûrement accepté
de se comprendre, comme toute connaissance, comme obligatoirement expérimentale, donc d'écouter Diderot la fondant enfin comme telle. Elle ne peut plus cesser
de se construire en synthèse attentive et pratique des connaissances en vue des
affaires humaines, donc face aux questions et désirs qu'elle doit poser. Elle doit
reconnaître comme cratophiles,
amoureux de pouvoir et non de savoir, aussi bien Kant que Hegel, et longtemps
après eux l'insolente vanité de pédants n'ayant lu que d'autres pédants, tous écartant
surtout la science et bien souvent l'histoire réelle : comme tant de
Heidegger jusqu'à hélas Sartre, honte, pourfendant dans sa jeunesse tout
ensemble science et morale pour finalement s'aventurer en bout de vie à la
morale — qu'un Camus, lui, n'avait cessé de réclamer —.
A l'opposé de la philosophie enfin assise de
raison et science, au départ du renouveau de verbiage égarant au service des
pouvoirs, il y a Hegel : se vautrant dans le refoulement de l'Encyclopédie
offerte par Diderot ; léchant les bottes des assassins de la
Sainte-Alliance ; puis aidant leurs sbires (dont Royer-Collard et Victor
Cousin) à imposer dans les universités des crimes contre l'humanité de la volée
de sa "Science de la Logique". Diderot et les siens accumulaient,
eux, les contenus, les exemples, les données, les documents, les résultats, les
procédés, les méthodes, les faits, les réalités et les accès aux réalités :
au contraire, suivant la recette éternelle des tenants du mensonge et du Verbe
de pouvoir, Hegel l'immonde recourait à l'affirmation de synthèse par la pensée
pure, en fait le traitement par allusion verbale sans contenu jamais défini —
ce que les saligauds de nos universités appellent, encore aujourd'hui,
conceptualiser. On peut ouvrir Hegel à peu près à n'importe quelle page et y
retrouver en obsession ces procédés pour noyer tous les poissons en marées de
blablabla. "Phénoménologie de l'esprit" voire "philosophie de
l'histoire" sont ainsi ramenées à des amas de faussetés ou mensonges proférés
dans tous les domaines, ou plus simplement et généralement à des non-sens en
mots sans fin. Il ne peut être question dans un article de refaire un échantillonnage
assez étendu d'horreurs, une démonstration un peu complète de tels cumuls
absurdes. Mais s'il faut ramasser en un seul exemple, peut-être le mieux est-il
de saisir la suffisance et son dévergondage dans la phrase où Hegel
("Science de la Logique") déclame que la philosophie "ne saurait
tirer sa méthode d'une science subordonnée comme les mathématiques". Cette
inimaginable insolence ne peut être directement comprise aujourd'hui dans la réalité
de son temps : il faut des explications, historiques et délicates. Mais
l'affaire en vaut largement la peine.
Dans leur
histoire réelle — le contraire
des mensonges que les hegeliens bourbakistes ont forgés au XXe siècle —, les
mathématiques n'ont cessé d'être expérimentales, à tous les titres, et bien sûr comme la logique
elle-même.
Ainsi les petites bourses des temps "préhistoriques",
qui permettaient aux bergers de vérifier que toutes les bêtes étaient rentrées
au bercail en y rangeant un caillou pour chaque animal revenu dans l'enclos, étaient
étonnamment restreintes : on imaginerait pourtant qu'en utilisant, pour
correspondant à chaque animal, un doigt au lieu d'une pierre, un pâtre pourrait
compter aisément au moins jusqu'à dix. Ce n'était pas le cas. Voilà malgré quelle histoire réelle des découvertes la fatuité insondable et stupide d'un
Kant fait de la notion générale
de nombre entier (voire de toute
la géométrie et de toute l'arithmétique "élémentaires") un "a priori" !
Mais plus précisément au début de ce XIXe où
parlait Hegel, donc bien après la "préhistoire" : depuis Galilée
et largement avec Euler encore, naturellement aussi dans la mentalité d'un
Gauss, on rangeait en sciences mathématiques les mécanique et physique théoriques, dont le
caractère expérimental était
sans cesse conforté — jusqu'aux balbutiements de l'électromagnétisme avec
Cavendish et ses héritiers, dont Gauss lui-même, c'est-à-dire à lui seul une
part énorme de la physique et des mathématiques du XIXe siècle, quel siècle !
C'est contre cette leçon fondamentale, évidemment, que s'insurge Hegel en écartant les
mathématiques, "science subordonnée", de l'exigence proprement philosophique :
foin de la réalité, foin de l'expérience ! Il faut que règne comme Vérité révélée un
principe de Verbe, moyen de pouvoir, fondement de clergé, aliment de
bureaucratie vaticane ou kremlinoise. Et c'est cela qu'avalise Marx. C'est cela qui fonde les marxismes. C'est cela
qui insinue le ver hegelien dans le fruit communiste. C'est cela qui fait le
rempart de la réaction. De là,
demain Staline, et surtout, et pour bien plus longtemps, la fraude qui prétend
ranger sous l'autorité de permanents du Parti-Eglise la diffusion dans le
peuple du savoir, du savoir, suprême recours des êtres et des peuples dans la
lutte pour la vérité, la liberté !
Le succès même de Marx, son enfermement en
prophète, a fait l'énormité de la faute : elle est donc loin d'être
seulement la sienne. L'histoire établira peu à peu ce qui est de sa responsabilité,
et ce qui en revient à l'horreur d'ambiance de la Sainte-Alliance, à Hegel en
particulier, et à l'état peu évolué de l'humanité : spécialement à des
militants avides de pouvoir à leur tour, beaucoup plus que de l'idéal dont ils
prenaient prétexte. La caricature
dogmatique des marxistes avait ses germes dans les ignorances et les prétentions
de Marx : mais il n'en est certes pas seul coupable. Ses achèvements en
affaires de lutte contre un héritage religieux étouffant demeurent à son actif
— même s'il n'a pas su voir et restituer à la Renaissance et aux Lumières ce
que leur devait le progrès humain, même s'il n'a pas perçu que se rapporter à
l'histoire (et donc à un anthropocentrisme) n'était pas assez pour sortir des mages, même si sa fascination pour
l'économie était elle aussi la traduction d'un faux matérialisme —. Il y a une grandeur de Marx :
il n'y a plus que de l'abaissement dans les marxismes. Il faut voir et savoir le
parcours, d'un essai dont une part était espérance, à une fin d'aventure qui
n'est plus que déchéance.
Quel
essentiel reste-t-il à dire ? Peut-être ceci : il n'est guère
possible de faire mesurer l'absurdité, d'un marxisme ou d'autres religions,
sans faire voir le lien intime entre refus de réalité et incohérence puis
dispute et guerre. L'intrication
d'irréalisme et d'aberration d'abord logique est aussi inévitable que celle
d'oppression et de mensonge, ou de domination politique et de violence : à
vrai dire ces liens sont d'autant plus intimes et forts que les irréalistes,
les oppresseurs, les fous de domination, sont des suragressifs trop heureux de
fournir des incitations à l'exercice de leur violence, or l'exhibition de
fausseté ou d'insensé ne peut manquer de susciter de naturelles, farouches et
justes résistances. Incessante
contre Eglises comme contre Partis, la lutte pour la vérité continue :
elle a traversé les marxismes.
La
prétention agressive de Marx
– son inculture de fond (Hegel et Comte comme références
mathématiques ! et d'Alembert, Euler, Lagrange, Cauchy, Gauss etc. ?)
– sa formation monothéiste
– son vice d'anthropocentrisme ramenant l'homme
à l'homme par le prétexte d'histoire
– son incompréhension absolue du nécessaire
excentrement de l'humanisme, par le replacement de l'humain dans le cosmos —
dont : le biologique et le passé de horde de notre espèce —, et par là
dans la suprême indifférence des choses
– son "matérialisme" qui tolère l'affectivité
des atomes de Démocrite et le retour à la pseudo-philosophie par le jeu de mots
où le Verbe finit inévitablement par remplacer la définition réaliste
– sa maladie de théologisme, téléologisme, finalisme,
messianisme prolétarien — un avenir radieux serait inscrit dans l'histoire et
d'avance prêt pour l'humain, alors que rien ne l'est, tout est à faire et à
construire : ce qui plaît beaucoup
moins aux foules et facilite terriblement leur enfermement dans l'écoute des promesses
des démagogues, dans la paresse et dans le malheur —
formes
variées, mais toutes monstrueuses, de la même incohérence. Marx n'est pas réaliste — ni "matérialiste", ce à quoi les défis
verbaux d'Engels n'ont rien compris non plus — : Marx est tenant, comme
philosophe, du Verbe et non du fait. Au début de l'histoire de son œuvre, ce
qui vaut d'économie réelle et de colère contre l'oppression passe encore avec
quelque force : avec le temps, le catéchisme et la répression de la
science étouffent tout.
Nous en sommes là. Des schémas primitifs — dès le départ dangereux,
aujourd'hui ridicules —, porteurs d'échecs répétitifs et pérennes, la
"lutte des classes", l'imaginaire "prolétariat international",
sont les litanies obsessionnelles des aventuriers de syndicats et
d'infiltrations au service de collaborations dominants-dominés : la seule
classe à exister réellement est celle des dominants, les autres sont délimitées
et manipulées par eux, surtout les classes médiocres dites moyennes, ainsi et les luttes pour la démocratie et
la science, au lieu d'être actualisées, sont malades. Manipulant alors les
foules par leurs media affinés de science du comportement, les brutes peuvent, dans le fourvoiement
impuissant des opprimés, doser à plaisir l'automatisation et entretenir l'aspiration
à être esclave pour gagner sa croûte : le travail humain musculaire est en
passe de devenir complètement inutile, des travaux même liés à des contrôles cérébraux
ne sont pas loin de l'être à leur tour — mais on recrute en nombre des traîtres
dits bureaucrates et commerciaux. Par là, la référence marxiste arriérée, économaniaque,
oblitérant le plus politique, est le plus bel égarement dont puissent rêver les
oppresseurs.
Ainsi, tandis qu'on n'embauche plus que
quelques ouvriers mais des masses de vendeurs, de parasites ou de collabos, partout
dans notre siècle, partout dans notre monde, ce qui vaut d'êtres et de peuples
expire massivement sous les robots, les armes et les media asservis à des
pervers de la domination à n'importe quel prix : car ceux-là laissent
leurs savantes putains s'amuser en liberté à des techniques toujours raffinées
de crimes et de dévoiements. Tranquilles les oppresseurs, qui encouragent et récompensent
leurs Nobel : ils savent qu'ils n'ont rien à redouter de concurrents dialecticiens,
aussi fermement résolus que de puants dictateurs à marginaliser les paroles de
vérité et savoir dont, au
service du progrès, la survie humaine a tant besoin.
Le plus splendide cadeau à la réaction dans
l'Ecole moyenâgeuse fut directement sa scolastique à travers Aristote — haine
spéciale de Galilée et grande admiration de Marx —. Le plus splendide cadeau
ensuite à la réaction, indirectement par rebond chez les progressistes mais
avec autant d'efficacité, c'est le marxisme.
Marxisme, rempart de la réaction. Il faudra bien ou qu'on en crève, ou qu'on en
sorte.
Pour d'autres
références, on peut consulter en particulier
et parmi les autres textes sur le même blog
"Actuel 68", ainsi que divers articles parus ces derniers temps, dont
Une synthèse
en livre — "Les hordes de l'ordre" — a tenté en 2010 un tableau des
plus dangereuses ignorances actuelles en science et histoire.