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Ce blog comporte quatre parties :

– les articles simplement actuels

– des textes de fond, insistant sur le point de vue expressément politique adopté partout ici

– des rédactions plus anciennes par exemple à propos de simples citoyens d’un côté, de potentats de l’autre, aux Etats-Unis

– des échanges avec correspondants qui seraient trop restreints à l'intérieur des cases prévues.


jeudi 9 novembre 2017

Actuel 119 Lumières et voiles

                       A lire tout ce qui s'écrit sur la révolution russe en ce centenaire, et à y opposer la diffusion du savoir véritable (diffusion qui fut la vocation de Diderot comme de nul autre), il m'a semblé qu'il fallait redire un peu de ce que je rédigeais il y a un demi-siècle contre certains sectarismes sous le titre Ou marxisme ou révolution. Sacrifice aux rites du moment, dira-t-on. Je ne crois pas.
            Déjà en années soixante, on crevait d'avoir si longtemps vu des progressistes étouffés par des bureaucrates autant que par les réactionnaires avoués : il y avait eu le grand Langevin, si impatient de s'allier aux opprimés du monde qu'il se laissa convertir à la dialectique par des salopards à la Garaudy, ce qui lui valut la colère de Benda ; il y avait eu l'admirable Prenant, supportant d'abord tout, comme il avait supporté la torture nazie, mais renonçant finalement à la lutte à l'intérieur du Parti pourri parce que Lyssenko et trop, c'est trop. Et tant d'autres, savants ou simples militants de la raison en toutes affaires, ici et ailleurs !
            Il faut redire, donc. Redisons.

                       L'histoire des Lumières commence à la grande Révolution française. Elle se perpétue en bien d'autres par des traductions enthousiastes comme, entre mille exemples, celle en arabe des discours de Robespierre, ce qui donna en Egypte un rejeton en somme digne du farouche acteur de la Terreur : Gamal Abdel Nasser. Celui-ci fut à son tour hésitant dans sa laïcité : mais en tout, il accomplit une des plus salutaires mises à jour du monde hélas mahométanisé — comme son illustre ancêtre par l'esprit l'avait fait du monde hélas christianisé. Tout cela n'est pas fini, certes : toute prise de conscience se poursuit aussi longtemps que l'humanité survit, même si les menaces sur notre espèce sont lourdes à porter en ce moment.
            De l'autre côté, l'histoire des marxismes est celle de leurs dictatures, de leurs échecs et de leurs scissions. Ainsi les trotskistes et les staliniens savent se haïr les uns les autres, et cette haine est à peu près tout ce qu'ils ont en commun, en dehors de leur indigence mentale et de leur prétention à être seuls détenteurs de la "vérité" dialectique. En outre, on se déteste aussi très bien entre trotskistes etc. : la décomposition ne s'arrête parfois que lorsque c'est l'individu lui-même qui doit se scinder, et l'on connaît des cas (cela s'appelle schizophrénie) où les choses vont plus loin encore. Ainsi vont les déterminismes des choses en toutes religiosités : l'enthousiasme grégaire tenant lieu de justification, rien n'arrête ni n'arrêtera l'entêtement dans la faute puis le crime dont sont capables des "fidèles". Chez les marxistes, on appelle cela le sens de la praxis, mais ce n'est pas fondamentalement différent de ce qui se pratique dans d'autres aveuglements et clergés.

                        L'égarement en scolastique a toujours servi les avides de pouvoir. Il leur permet de se couvrir d'empressement aux affaires humaines et de se poser, s'imposer en dominateurs, paradeurs en prêches dits vérité suprême : ainsi avec des prêtres et autres traîtres, les vacuités d'Aristote firent l'enfermement de la science pour des siècles dans tout un côté du monde (en face, il y avait Al-Khawarizmi et Ibn Al-Haytham avant Ibn Rushd, puis même à la décadence Ibn Khaldun — tous non marxistes je le jure — : cependant les insondablement ignares islamophobes déclarent qu'il n'y a jamais eu de savants en terre d'islam !). En ce sens pérenne d'opposition des baratineurs à la science véritable, l'affaire hegelienne n'a donc rien de nouveau : pourvu que, se targuant de savoir, on mêle à l'ignorance un langage pédant et vide, pourvu qu'on ramène à des mots sans suite et jamais définis ce qui est passé de bruit des connaissances dans la tête d'abrutis et de paresseux, les circonstances historiques se chargent très volontiers de faire passer pour grand esprit. Ainsi va trop souvent l'animal d'apparence humaine, en fait bête grégaire au fonctionnement cérébral aisément réduit à imitation et entraînement, et chez qui la part de conscience véritable, cohérence, contrôlée, rationnelle, proprement humaine, est en général rare ou absente.
            On me répliquera que la scolastique est déjà élaboration : c'est vrai, mais élaboration régressive. La Bible, ce fatras de légendes et mensonges, ne vaut certes pas mieux qu'Aristote : mais la déblatération revue de là en Thomas d'Aquin a fasciné, et fascine encore, ceux qui confondent parade ridicule en Verbe de pouvoir, parsemée d'affects et dérapages, et solide construction intellectuelle.
            De même, en se faisant élèves du théologien Hegel — renouvellement contre l'Encyclopédie de l'horreur aristotélicienne, avec l'aval fervent de la Sainte-Alliance résolue à effacer jusqu'au souvenir de la mise à jour en histoire et science par Voltaire et Diderot —, Marx, Engels et Bakounine directement, Proudhon indirectement (par Marx) ont tous aiguillé les progressistes et révolutionnaires vers le déraillement assuré. D'où l'état de notre planète en ce centenaire d'Octobre. Ce n'est encore pas trop grave, si on arrête la chute. Mais qui songe à se raccrocher à l'effort de raison et vérité, à l'effort des Lumières ?
            A peu près personne. Des hordes et des masses continuent à tenter de croire que c'est le marxisme qui a fait 1917, et ne verront pas, parce qu'elles ne veulent pas voir, que les cyclones de découvertes scientifiques et techniques renouvelaient partout l'espérance de mieux-vivre, dans le peuple russe comme chez bien d'autres. Sur quoi, il s'est trouvé des gens pour chevaucher cette espérance : parbleu ! Mais parmi ces gens, de valeur morale fort inégale comme toujours en pareil cas, il y a eu un héritier, encore de ce Robespierre dont quelques-uns se souviennent et que certains ont même étudié : c'est Lénine.
            Robespierre était trop attiré par Rousseau ou, peut-être, il croyait qu'il fallait accepter de se poser en mage parce que les humains sont encore souvent des primates mal embouchés, et qu'il leur convient souvent d'avoir un mâle dominant pour manifester audace et loyauté. Tendance ou faute, c'était très grave. En fait, le grand héritier de l'Encyclopédie au moment de la Révolution, n'était pas dans cette lignée mais, bien plus justement, dans celle de la transmission-élaboration du savoir le plus assuré dans toutes les couches populaires, dans le prolongement direct de la grande œuvre et de Diderot : c'était Condorcet. Seulement, dans l'ouragan révolutionnaire il faut aussi autre chose que voir juste : il faut, vite, rassembler des gens pour rassembler des forces. Condorcet ne l'a pas assez vu.
            Robespierre, si. Lénine, de même.
            Jean-Pierre Vernant m'avait dit que Matérialisme et empiriocriticisme de Lénine était "son plus mauvais livre". Je ne suis pas d'accord. Certes il y a bien des fautes dans ce texte qui, par colère (souvent juste) contre Mach, passe effroyablement à côté de l'essentiel renouvellement physique et scientifique. Mais Lénine a l'immense mérite de ranger Diderot à sa place dans la tentative réaliste — alors que Marx n'a pas un mot, autre que de mépris, pour le "dix-huitième siècle français" —. Déjà Engels finissant commençait à percevoir, et avouer, ce que représentaient les d'Holbach et contemporains : Lénine enfin n'est pas passé si loin de reconnaître la "rétrovolution" hegelienne. Mais il y avait le feu au monde, et le rendu infâme de la mécanique newtonienne en verbalisme de description par opposition (action et réaction), la syphilis dialectique, pouvait être vu comme une façon de synthèse des sciences — au moment même hélas où ce procédé primitif achevait de perdre toute valeur pour le progrès, la découverte —.
            Bref Lénine a accepté le verbalisme, et suivi Marx pour l'investir d'une méthode universelle de compréhension. (Vernant encore disait en haussant les épaules : "ils peuvent toujours déclarer que tout est contradictions : comme personne ne sait ce que c'est...")
            Aujourd'hui, il est bien plus facile de savoir, de sonder la monstruosité du prophétisme de Marx, de revenir au courant de connaissance d'après Galilée, de rénover la philosophie enfin à son tour expérimentale avec Diderot, de se ressourcer à tous les immenses progrès accomplis en science contre le dogmatisme criminel et ridicule des marxistes, de saisir et briser ce qui a fait l'égarement des progressistes. Il faut repartir, asservir les retombées techniques et surtout les plus beaux acquis de la science même au mieux-être des gens et aux chances de survie de l'humanité. C'est vrai en affaires de machines, d'économie, de synthèse et vue d'ensemble, c'est vrai en compréhension du comportement des foules et donc en histoire. Les marxistes n'en veulent rien voir ni savoir. Contre eux, il est urgent de comprendre :
Ou marxisme
ou révolution-mise à jour-progrès-diffusion du savoir, science

en tout, partout, contre tous les Verbes de pouvoir, contre toutes les religions.