bienvenue, welcome, welkome,etc

Ce blog comporte quatre parties :

– les articles simplement actuels

– des textes de fond, insistant sur le point de vue expressément politique adopté partout ici

– des rédactions plus anciennes par exemple à propos de simples citoyens d’un côté, de potentats de l’autre, aux Etats-Unis

– des échanges avec correspondants qui seraient trop restreints à l'intérieur des cases prévues.


dimanche 30 décembre 2012

Echange 7


Reçu le 12/12/12 de Suffrageon :


Cher Redire,

J’ai lu tes 2 derniers emails avec retard car je ne consulte pas ma messagerie régulièrement. Toujours le même souci : le manque de temps… et tout autant de bonnes dispositions mentales : le boulot ça peut vraiment aliéner…

Dans mon boulot les « manadjères » ne comprennent plus le fond de ce qu’ils dirigent — même on leur a appris à mépriser la ‘technique’ …. et par extension les gens de métier ; c’est la méthode pour se conforter, via l’entre-soi, d’être dans le vrai, dans le noble. Et le méta-métier (aux mains quasi-exclusives de diplômés d’école de commerce) vit comme cela, coupé des réalités, en se gobergeant de réunions, de documents ‘powerpoint’ et ‘tableurs’… saupoudrés de pédantismes anglophonisés.
La solution personnelle pour ne pas trop en souffrir serait de prendre en charge des ‘projets’ plus importants ; mais mes enfants, petits, et le retour en "formation" de leur maman, m’empêchent de m’investir dans un jeu encore plus chronophage avec à la clé plein de voyages à l’étranger…
Malheureusement ma plainte est loin d’être ni unique ni la plus importante ! Cette triste évolution n’est confinée ni à la boîte et ni à la branche où je me trouve. Ce n’est qu’une expression de l’air nauséabond (de plus en plus) des temps que nous vivons. Je ne t’apprends rien.

En attendant mieux mes jeunes collègues maghrébins m’appellent « Oncle S. » et me sollicitent pour des conseils sur le boulot et même extra-boulot : ça me flatte ! Mais là où j’ai un blocage car je n’y comprends rien, c’est la question religieuse. Qu’ils aient grandi ici ou outre-Méditerranée, ils ont tous le même comportement : une observance des préceptes qui n’existait pas chez les jeunes garçons de 25 ans de ma génération : manger hallal, jamais d’alcool, aller à la mosquée….C’est de cela que je te parlais pour l’Iran : d’où a pu venir ce retour en bigoterie en Iran ? Et cela avant 1979, donc bien avant que les USAïens aient décidés de donner de la puissance à la frange très minoritaire des « fous de dieu » afghans.
J’ai lu Persépolis qui m’a beaucoup touché. « Incendies » est le titre d’un film canadien très dur auquel il m’a fait penser : film canadien tiré d’une pièce de théâtre écrite par un libanais qui nous parle de son pays. Je te le prêterai dès que possible. Néanmoins je regrette qu’il n’y ait pas d’équivalent avec le point de vue d’un pauvre qui aurait fait le chemin « des ténèbres vers la lumière » si je puis dire. Je n’ai vu ça que dans le cinéma militant où de petites gens racontaient comment les curés leur disaient quoi faire, quoi penser, quoi voter... et aussi comment la soumission aux dogmes leur était agréable.
Je pense moi aussi que le Hitchens ("dieu n’est pas grand") est à garder en référence. C’est ma prof' d’anglais qui me l’a fait connaître : elle a viré ‘intégriste athée’ après avoir mal vécu deux conversions : à l’islam d’abord et ensuite au judaïsme ; et maintenant, en pensant à ses ex-maris elle a demandé à sa fille, au cas où elle se lie avec un jeune homme religieux, d’exiger de lui la conversion sans discussion à l’athéisme….
Pour ‘Inside job’, je suis d’accord avec toi : on n’a rien à négocier avec le capitalisme. Mais j’y trouve tout de même un intérêt dans les petites informations indirectes délivrées :
– les universitaires sont à la remorque : ils ne sont plus ni écoutés ni respectés par les gens qui sont aux manettes du pouvoir ; leurs constructions théoriques se font après coup pour aller dans le sens des décideurs plus gougnafiers et incultes que jamais
– le court terme prime dans toutes les stratégies décrites (banques, entreprises et politiques) tant il y a pression du capital (actionnaires).
– les décideurs ne semblent pas aussi organisés qu’ils pourraient l’être et qu’on pourrait le croire.


Réponse de Redire le 14/12/12 :

Cher Suffrageon,

Ça, c'est de l'échange ! Merci !
Les "manadjères" et le méta-métier (bien dit) sont en effet partout, et les patrons ne jurent que par eux. Un jour ou l'autre, là aussi inévitablement et hélas imprévisiblement, ça va péter à force d'ignorance du réel. Faudra prendre en marche le train — ou le déraillage, et ce sera dur —...
Sur les affaires religieuses, obsédantes même chez des gens remarquables (cf. le site <survie.org>) je ne prétends pas avoir compris, c'est psychiatrique et donc très difficile. J'avance du moins ce que je crois essentiel, quitte à me redire-comme-mon-nom-l'indique.
Des "quatre grandes" pulsions animales (faim, préservation, sexualité, affirmation de soi = "agressivité" contre les congénères, chez nous les autres humains), la dernière venue de l'évolution, l'agressivité, est de loin la plus forte et la plus refoulée (sans ce refoulement, pas de société possible). Tout être humain a besoin, de façon pressante, de décharger l'énergie correspondante. Ce peut être par la domination, la prise de possession plus ou moins totale (époux sur épouse... et réciproquement, mère et père sur enfants, maîtres sur disciples ou esclaves) jusqu'à la violence à tous niveaux, du familial au guerrier. Mais pour que ça passe socialement, ne serait-ce qu'en haine manifestée plus ou moins directement, il faut l'organisation et le contrôle, la ritualisation, avec tout ce que cela apporte de sentiment de force par appartenance à un clan et aussi de bonne conscience pour rêver ou agir par décharges, évidemment souvent immorales, de violence. D'où le recours, si fréquent, à l'observance religieuse.
Les Iraniens comme tout le monde ont besoin de s'affirmer, et les vols et crimes perpétuels de l'Occident crétin chez eux (pétrole, mais aussi Mossadegh etc.) les ont convaincus de rechercher un terrain où se sentir eux-mêmes, ralliés contre les brigands. Les Anglo-Salcons, très rodés là-dessus, ont laissé grande ouverte la porte de "l'identité" musulmane iranienne chiite (dans la vieille Perse conquise puis soumise par les Arabes, et qui a gardé son écriture propre, tu parles !). Dans ce sens, les services secrets CIA-MI6 ont guidé, orienté, perdu les pédales, repris... et ce n'est pas fini : les "sanctions" économiques recréent en ce moment là-bas une misère assez terrible, seuls les réseaux sociaux islamistes ont permis jusqu'ici de résister à l'embargo (à Cuba, sous forme marxisante, on a un phénomène analogue de résistance à l'étranglement international). Mais en aucun cas les néocolonisateurs ne renonceront à avoir à Téhéran un régime plus docile. Tu sais là-dessus ce que je pense du billard à n bandes dans la région, avec la malheureuse Syrie.
Ceci dit, je ne crois pas à un 'intégrisme athée'. Je suis croyant en l'humain, rationalisé trop lentement hélas parce que l'univers est indifférent à l'humain. Comme je t'ai dit, je n'aime pas Hitchens ami de Blair et trop ignorant de la démarche de fond des Lumières (méthode et philosophie expérimentales : prise en compte toujours enrichie et plus rigoureuse de toutes les réalités, ou de tous les aspects de la réalité, en politique comme partout). Mais son livre est un travail à utiliser, évidemment. Il me paraît signifier que même à Washington et Londres, on se rend compte qu'une élite instruite et distante à la calotte peut aider à conforter l'En-pire, alors que les télévangélistes, fort utiles pour maintenir la connerie populaire, finissent par être affaiblissants et de mauvaise image pour le niveau mental des nations impériales...
Nous aussi nous avons nos armes, dont le cinéma. Les gens de "Nova", à Bruxelles, font de véritables merveilles d'éducation populaire dans ces zones. Il faudrait que toute l'Europe aille à leurs projections...

lundi 17 décembre 2012

Actuel 30 : Autonomismes, régionalismes, communautarismes et autres aberrations


L'En-pire anglo-saxon fait merveille, de l'ex-Yougoslavie et de l'ex-Tchécoslovaquie à la Lybie et (avec moins de succès jusqu'ici) à la Bolivie, pour utiliser des forces largement incohérentes et morceler les nations et groupes encore capables de citoyens opposants. Pour notre part d'Europe aussi, on nous saoule de façon récurrente par exemple de libération de la Bretagne, de la Corse ou du pays basque, et de "quadrige européen" (Bade-Wurtemberg, Rhône-Alpes, Lombardie et Catalogne). Ce n'est pas sans contradictions entre eux, mais partout de même les pouvoirs se servent aujourd’hui des guerres néocoloniales, des mafias et de répressions plus sourdes — économismes, dressage au lieu d'éducation, media, harcèlement obsessionnel par flicage, espionnage, surveillances, mises en condition de toutes sortes — comme ils se sont servis hier des fascismes ou avant-hier des guerres féodales : c'est-à-dire en utilisant de plus en plus finement les tendances sectaires, séparatrices et brutales. Il y a certes aussi des armes matérielles toujours plus terrifiantes : mais le fond consiste à faire d'un homme, broyé par les hasards cruels de l'histoire, bien pire qu'un loup pour d'autres hommes.
En face la plupart des progressistes, eux, refusent par orgueil aveugle de reconnaître nettement cet irrationnel. D'où, pour les pouvoirs actuels, des succès croissants de violence. Si on songe à l'avenir humain, peu importe que cette violence soit menée plus ou moins consciemment, peu importe qu’elle passe par la collusion avec des clergés, des “identités” régionales ou nationales ou d'autres “communautarismes” : peu importe donc que les conflits soient prétendus de religion, idéologiques, ou de clans ou classes d’extension et de définition variables. Ce qui compte, c'est que le pouvoir-aujourd'hui-par-l’argent cherche les moyens de repartir par de nouveaux crimes pour un autre cycle, après des violences et des ruines atroces : comme il fit en 1914-45.
Il importe donc de se dégager en toute occasion de ce jeu mortel. Or c'est y entrer que de s'en tenir à des revendications étroitement économiques, aussi bien que de favoriser la faiblesse des zones européennes en parcellisant l'Europe en régions — comme y poussait Hitler, et comme y poussent le Vatican notamment depuis Pie XII et les Etats-Unis notamment depuis Roosevelt.

L'important, la ressource contre les mauvais prétextes, la seule référence, c'est la seule identité réelle : humaine et planétaire. La lutte pour la survie de l'espèce se passe désormais entre cette référence universelle et l'éternel diviser-pour-régner.

Actuel 29 : Hitchens, "dieu n'est pas grand"


Les gens qui ont parcouru assez de chemin en réflexion cohérente ont constaté, dans des myriades de faits, la fausseté et la méchanceté des religions et de religieux. Mais ils n'ont pas toujours présent à l'esprit tel ou tel élément pour éclairer le niveau de vice mental et affectif de telles déviances, et ils ne peuvent éviter toujours une censure intérieure qui les fait ménager des amis parfois très chers, emportés hélas par les torrents historiques de croyances aberrantes. Il est donc hautement utile de disposer de bilans des fautes et des crimes ridicules ou sadiques dont ne cessent de se rendre coupables les chefs religieux et leurs sectaires et fanatiques. Hitchens  ("dieu n'est pas grand", traduction française chez Belfond éd., Paris 2012) propose une telle somme : qu'il soit bienvenu.
Chaque lecteur trouvera ce qui le touche le plus dans cet amas d'horreurs. Peut-être que la lutte des religions en faveur du Sida — condamnant des relations inévitables et le préservatif — est un sommet remarquable, très actuel surtout dans le monde pauvre, et où le Vatican par exemple se montre toujours égal à sa pérennité inhumaine : mais on ne cherchera pas ici à résumer quatre cents pages dont beaucoup parlent haut et juste.

Par contre : une critique doit tout dire, donc aussi le moins bon. C'est dommage cette fois, car par exemple le sous-titre du livre, "Comment la religion empoisonne tout", donne envie de s'en tenir à des éloges. Mais on peut en cherchant trouver de quoi se plaindre un peu.
Certes, contrairement à Dawkins, Hitchens ne prétend pas être l'inventeur de l'athéisme. On trouve même chez lui (rarement, et cités de loin) Voltaire, et (une fois) Diderot et D'Alembert qui paraît-il ont écrit l'Encyclopédie : les collaborateurs de celle-ci sont mentionnés vaguement comme géniaux — ce qui n'éclaire guère leur mouvement —, et on se réfère une fois ou deux aux Lumières... Mais tout cela reste très anglo-saxono-centriste.
Il y a aussi des prises de positions étranges, à propos du 11 septembre entre autres. On dirait que Hitchens craint de finir par passer pour un des repoussoirs du maccarthysme : il ne se veut pas trop athée, et surtout pas "communiste", c'est-à-dire en langage CIA franchement démocrate et anticapitaliste...

N'empêche : avoir Hitchens sous la main peut aider à ce qu'il faut, en particulier à voir clair — les tabous comme des tabous, les dieux comme des illusions qui entraînent bien des crimes et des guerres, et les dérapages mentaux en général comme des pestes historiques à soigner par tous moyens —. Ce n'est pas rien.

lundi 10 décembre 2012

Actuel 28 : ATTAC attaque


Dans une page mise en ligne sur la Toile ce mois de novembre, un tentacule d'ATTAC — le Comité pour un Audit Citoyen de la dette publique (CAC) — se vante que ses initiatives ont "contribué à provoquer un débat public sur la question de la dette et de l'austérité". Il reconnaît toutefois que "les oligarchies financières s'obstinent" dans une indifférence totale à ces bruits — chose incroyable ! et cela même lorsque les bruiteurs s'aventurent à qualifier la prétendue dette publique d'"instrumentalisée pour  imposer des politiques d’austérité socialement injustes, économiquement stupides et écologiquement irresponsables" — qui l'eût cru ?
Les mêmes s'inquiètent aussi de voir mener "l'Union européenne à l'éclatement" : comme ce serait triste ! Ils vont jusqu'à remarquer que François Hollande ne semble pas changer grand'chose à la politique gouvernementale, mais se font un agréable devoir de noter ses "premières mesures fiscales positives" ; ils sont navrés de "l'austérité" budgétaire et des "cadeaux fiscaux aux actionnaires" accompagnant la hausse de la TVA, mais surtout du manque de sérieux dans l'engagement pour "la transition énergétique" — gentil appel du pied électoralo-démagogo au plan C du gros capital (A la droite, B la gauche) : la récup écolo.
Une phrase incohérente, fruit sans doute d'un beau travail collectif, annonce toutefois fièrement un "grand évènement" : le lancement PUBLIC d'un processus d'Altersummit, en franglais dans le texte ! Pour "aider à la structuration des mobilisations à l’échelle européenne", cette arme de destruction massive contre la finance internazionale sera irrésistible de par la création... d'un "espace favorisant la convergence des mouvements sociaux, en coopération et dialogue  avec les forces politiques". Cet ESPACE tout-puissant "s’inscrirait dans la continuité du Collectif pour l’audit citoyen et de la mobilisation contre le Pacte budgétaire, en articulant son action et celle de ses collectifs unitaires locaux avec la dynamique de l'Altersummit". C'est sûr qu'avec ça, la "vaste offensive néolibérale en cours en France et en Europe" est victorieusement anéantie d'avance : on signalera toutefois que, si on sait la date de "l'espace" de contestation féroce en question (le 12 janvier prochain), ses coordonnées vulgairement matérielles ne sont pas données...

On doit faire grâce au lecteur du reste de ce journal parlé à la France-Culture. En tout, des cadres du capital qui n'ont pas assez fait carrière expliquent combien ils seraient bons s'ils avaient le pouvoir, et d'avance ils "rassurent les marchés" : leur vocabulaire est typique de "l'éducation populaire" que prétend faire ATTAC, avec "décryptage, instrumentalisée, compétitivité, irresponsables, visibilité"... A ce propos, pour les linguistes, un point amusant : un texte écrit en français ordinaire fait en gros cinq caractères par mot (hors espaces), mais on dépasse six dans le texte en cause — ce qui, si on tient compte d'incompressibles, est une augmentation bien plus considérable que le simple rapport des chiffres...
Bref : ce ne sont là que tentatives qui laissent toute véritable initiative à la "Commission Européenne" et à ses représentations nationales. Il est risible de simplement dire qu'au fond les "Holland-ais" à grande gueule aléatoire et à gesticulation de l'espèce Montebourg ne changent rien : dans les merveilles récentes et qui comptent, il faut au contraire mettre en avant par exemple l'imposition des heures supplémentaires des pauvres qui tentent de survivre, rare joyau qui va au fond et résume tout. Aider à dissimuler de telles affaires sous un "Alter summit" est un sommet... de tromperie, comme la soumission au blablabla "néolibéral" : on cache sous des mots ronflants le retour du capitalisme sauvage en totalitarisme financier. Si les mobilisations sont faibles vis-à-vis de la détermination et des forces notamment policières de ce totalitarisme, elles ne peuvent que demeurer faibles tant qu'on égare par un vocabulaire puant des forces qui pourraient s'allier au peuple : il faut en finir tout ensemble avec le légalisme et les déviances verbales. Les choses bougeront seulement si, par exemple, des manifestations trop sauvagement réprimées en entraînent d'autres illégales, non encadrées, toujours plus vigoureuses et débouchant sur des actions de plus en plus violentes et systématisées : les compulsions du pouvoir à aller toujours plus loin se chargeront de provoquer de telles situations si les lucidités n'y parviennent pas.
C'est à cela qu'il faut se tenir prêt.
En attendant, il est très simple de rappeler à tous que le système d'argent a toujours fait aller, et continue à faire aller, les richesses de plus en plus vers les parasites, nuisibles et vampires au détriment de ceux qui travaillent et créent. Il est très simple de rappeler que le capitalisme "régulé" n'a cessé historiquement, ne cesse pas davantage sous nos yeux, et ne peut cesser de ramener au capitalisme "dérégulé". C'est bien joli de faire ou d'aller voir un film comme "Inside job" : mais si c'est pour rêver que Soros vaut mieux que les gangsters plus voyants encore de Goldman Sachs & Co, c'est temps perdu. Il n'y a pas de solution bancaire à la crise bancaire. Il n'y a pas de fin au chômage tant que le capital survit, et ne peut survivre que par l'entretien de la misère. Ce n'est pas seulement Arcelor, Mittal ou pas, qu'il faut nationaliser : c'est l'Etat, dont à présent on a privatisé (c'est-à-dire rendu aux tyrans bourgeois) même les banques centrales. Tout raisonnement en termes d'argent est anti-économique comme anti-moral : seuls ceux qui, dans la mesure de leurs moyens, aident ou ont aidé à produire et répartir justement les richesses, ont droit à leur partage — au contraire "droit" par l'argent est vol.
C'est cela qu'il faut répéter en économie.
Et tout le reste "économique" est mauvaise littérature.

mercredi 5 décembre 2012

Actuel 27 : Ordre, morale et politique


Il y a des merveilles déjà cent fois citées, et que dans l'actuel des foules continuent d'ignorer avec un désolant entêtement. Est-il naïf de les répéter ? Camus écrivait dans le journal "Combat", le 12 octobre 1944 :
«  l'ordre social, est-ce seulement la tranquillité dans les rues ? Cela n'est pas sûr. Car enfin, nous avons tous eu l'impression, pendant ces déchirantes journées d'août, que l'ordre commençait justement avec les premiers coups de feu de l'insurrection. Sous leur visage désordonné, les révolutions portent en elle un principe d'ordre. [...] L'insurgé qui, dans le désordre de la passion, meurt pour une idée qu'il a faite sienne, est en réalité un homme d'ordre parce qu'il a ordonné toute sa conduite à un principe qui lui paraît évident. Mais on ne pourra jamais nous faire considérer comme un homme d'ordre ce privilégié qui fait ses trois repas par jour pendant toute une vie, qui a sa fortune en valeurs sûres, mais qui rentre chez lui quand il y a du bruit dans la rue. Il est seulement un homme de peur et d'épargne. Et si l'ordre français devait être celui de la prudence et de la sécheresse de cœur, nous serions tentés d'y voir le pire désordre, puisque, par indifférence, il autoriserait toutes les injustices. »
Idem, le 29 octobre 1944 :
« ... cette mécanique de la concession qui a conduit tant de Français à la trahison. Chaque concession faite à l'ennemi et à l'esprit de facilité en entraînait une autre. Celle-ci n'était pas plus grave que la première, mais les deux, bout à bout, formaient une lâcheté. Deux lâchetés réunies faisaient le déshonneur. [...]
La France vivait sur une sagesse usée qui expliquait aux jeunes générations que la vie était ainsi faite qu'il fallait savoir faire des concessions, que l'enthousiasme n'avait qu'un temps, et que, dans un monde où les malins avaient forcément raison, il fallait essayer de ne pas avoir tort.
Nous en étions là. Et quand les hommes de notre génération sursautaient devant l'injustice, on les persuadait que cela leur passerait. Ainsi, de proche en proche, la morale de la facilité et du désabusement s'est propagée. Qu'on juge de l'effet que put faire dans ce climat la voix découragée et chevrotante qui demandait à la France de se replier sur elle-même. On gagne toujours en s'adressant à ce qui est le plus facile dans l'homme, et qui est le goût du repos. Le goût de l'honneur, lui, ne va pas sans une terrible exigence envers soi-même et envers les autres. Cela est fatigant, bien sûr. Et un certain nombre de Français étaient fatigués d'avance en 1940. »
Faut-il rappeler que les textes ci-dessus étaient rédigés juste après août 44 et la Libération de Paris ? que la « voix chevrotante » qui avait, en 40, parlé en faveur de la lâcheté était celle de Pétain ?

Ce n'est pas l'essentiel. Le fond de la question est que l'abdication morale est au départ de toutes les politiques et de tous les moments réactionnaires, et que dans de telles conditions l'ordre de la rue, et les forces qui le font régner, sont la représentation actuelle de l'immonde.
Entendons-nous bien : ce ne sont pas seulement des porteurs d'uniforme qui sont les vecteurs de ces forces-là. Ce sont tous les « malins » de Camus. Un bourgeois doit des milliers d'euros à une jeune entreprise : il ne paie pas, car il joue au golf avec le président du tribunal local de commerce, et il sait que l'intégrité de ce magistrat ne saurait aller jusqu'à condamner un partenaire de ce noble sport. Un faraud s'est placé sur une liste municipale, et abuse de ses relations de conseiller pour faire faire aux frais de la commune les travaux qui avantagent son exploitation : le parti dont il a choisi l'étiquette veille sur lui. Un syndic de copropriété met dans sa poche les chèques d'assurance qu'il est censé transmettre : il a appris les lenteurs et impuissances de l'institution judiciaire. Un administrateur monte une cabale et désarçonne un chef de service ou un inspecteur trop honnête pour accepter ses tricheries : il connaît assez de monde pour être tranquille...
L'exemple vient de haut, si ce terme n'est pas de trop dans la hiérarchie politique. On a vu un président, de longue date professionnel en relations d'argent plus que douteuses, joindre à ses malpropretés et insolences de campagnes électorales le dévergondage d'une augmentation aussi énorme qu'injustifiable de ses émoluments officiels. On a vu un ancien député, ancien ministre, s'asseoir dos tourné à une juge d'instruction devant laquelle il était convoqué pour affaires mafieuses, tandis que ses avocats se chargeaient de régir l'entrevue à laquelle seul il n'aurait su résister. On a vu une énorme et honteuse fortune française tâcher de se faire belge pour payer moins d'impôts. On ne compte plus les détenteurs de capitaux qui fuient en Suisse et ailleurs pour abuser en paix de ce qu'ils ont volé, légalement ou non...
Pour ce monde de grands et petits « malins » vote un tas d'ignares et d'imbéciles qui ne profitent même pas — parfois tout le contraire — du système : ils admirent les ordures et deviennent des sales, pour avoir une voiture ou des vêtements qui les font "paraître". C'est ainsi que la pourriture descend profond dans ce qui pourrait être le peuple, et qui ressemble de plus en plus à la populace.
Finissons par un retour au pire. Il y a des gens qui, lorsqu'un jeune être est victime d'une crapulerie pour avoir osé être vrai, lui recommandent d'aller faire excuse à la crapule pour tenter d'atténuer sa punition : et les gens en cause déclarent que c'est ainsi qu'on devient "adulte". Camus disait ci-dessus cette « sagesse usée », on répètera ici pour conclure : ce n'est pas devenir adulte, c'est propager la facilité et le désabusement, prolonger la réunion des lâchetés en déshonneur. C'est ainsi qu'on prépare un nouveau tour d'élimination des Résistants, c'est-à-dire des justes et des meilleurs.
C'est ignoble.

samedi 24 novembre 2012

Actuel 26 : Ronrons


On ne se demande plus depuis longtemps si le ridicule laisse vivre, mais le niveau de corruption de gouvernants chinois qui se disent membres d'un parti communiste ranime chaque jour la question de façon intéressante. Mao est mort voici un bon tiers de siècle, et dès longtemps avant on entendait des cris d'avertissement sur ce que ne manquerait pas d'être sa succession : ça n'a pas empêché les marxistes de renouveler leurs aveuglements. Refrain : décidément, les faits ont beau être têtus, il ne manque pas d'humains plus têtus qu'eux...

Dans le genre de pérennité, on a pu aussi sur les ondes être largement informé d'une "Université" des Pseudo-Socialistes. De toutes façons, il ne s'agissait que de savoir si on redistribuerait quelque peu les fromages dans les administrations, les entreprises et les administrations d'entreprise, ou si resteraient à l'identique les brutes mises en place par les représentants précédents du totalitarisme financier : en fait de politique réelle, rien ne changera de la coque bureaucratique protectrice du pouvoir-par-le-fric. En tout cas, comme un seul homme, les "militants" Pseudo-Socialistes ont dit que ça suffisait d'atermoiements et retardements pour "le changement" ET, aussi tous ensemble, ils se sont déclarés plus fidèles que jamais à l'équipe mise en place par Hollande. N'importe : il y a des gens qui s'arrêtent à voter, et avaliser ainsi cette "démocratie". Au refrain.

On s'entr'assassine avec régularité en Syrie, avec différentes aides extérieures. Dans cette guerre, les victimes sont bien sûr des civils qui n'ont pas demandé à se faire tuer. Mais de par le monde, il y a d'un côté des gens qui ont choisi de faire remarquer surtout la saleté dite occidentale, en fait soutenue ou précédée par les féodaux arabes ; et de l'autre côté ceux qui ne sont sensibles qu'à la brutalité du régime local. Pour les premiers, les droits-de-l'homme-qu'ils-disent n'ont de sens que s'ils servent de devanture à l'abattage d'opposants au pouvoir-fric anglo-saxon et assimilé-vassalisé ; pour les autres, toute opposition à ce pouvoir est digne et pure : gouvernants d'Iran, de Chine et Russie en tête. On voit ainsi de plus en plus net sur les valeurs universelles de vérité, justice et liberté. Au refrain.

Il y a plus de deux siècles que chaque élection présidentielle USAïenne se fait dans le tam-tam des hautes valeurs rappelées à l'instant, et en fait aboutit à les trahir plus complètement au profit de la puissance des financiers USAïens. Cependant nos media nous bassinent régulièrement avec de navrants spectacles de dévoiement du suffrage universel, et nous assurent que c'est passionnant parce que c'est serré et indécis — alors que tout est joué d'avance. Il est vrai toutefois que ça a paralysé provisoirement le déclenchement de la guerre annoncée en Syrie : même "la France" (son gouvernement actuel) ne s'est faite provocatrice que dans l'attente respectueuse des ordres venus de Washington ! Mais ce n'aura été que partie remise : bientôt, derrière Obama 2, les banquiers et leurs porte-voix reprendront leurs incitations et hurlements contre Al-Assad puis "l'Iran" et "la Russie" (leurs gouvernements actuels) — et aussi contre toute sécurité sociale ou toute velléité d'indépendance dans le monde —. On saisit immédiatement ce que tout cela va changer, dans le bon sens. Au refrain.

Il y a plus de deux millénaires que des esprits justes comme Thucydide ou Archimède font remarquer que la véritable philosophie, et le progrès humain en général, ne passent pas par des Verbes variés, mais par la prise en compte de la réalité dans l'histoire et la science : et depuis, surtout de Galilée à Einstein et de Diderot à Konrad Lorenz, il y a eu d'incroyables progrès en méthode et philosophie expérimentales, comme en techniques de toutes sortes. Cependant d'un côté Aristote comme la Bible, le Coran comme Hegel, Bouddha comme Heidegger conservent leurs lecteurs passionnés ; et de l'autre côté le débat, sur la manipulation politique en pratique ou sur la disjonction entre contributions sociales réelles et forme argent, s'estompe lentement au profit de blablablas par exemple "économiques" — jusque, ou peut-être surtout, chez les progressistes...

Au refrain, au refrain, au refrain !

lundi 24 septembre 2012

Actuel 25 : Forfaiture et haute trahison "socialiste"


Les journaleux de "Charlie-Hebdo" ont choisi, au nom de la liberté d'expression, d'en remettre sur la provocation anti-arabe : ils publient de nouvelles caricatures autour de Mahomet juste en accord et synchronisme avec le film lamentable qui fait ces jours-ci le fond du tam-tam pour la "guerre des civilisations". Toutes sortes d'analyses, et même d'intéressantes, ont déjà été mises en ligne sur la Toile pour expliquer cet appel à l'instinct grégaire, particulièrement bien mené et particulièrement immonde, pour conduire une fois de plus à des massacres.
Un aspect très important, en France au moins, de cette saloperie, semble toutefois négligé : en douce et en arrière-plan, il y a la ratification du traité instaurant l'austérité éternelle "de par l'Europe". Contre la volonté du peuple français comme des autres peuples, le crime est commis par la fausse représentation "nationale" (en fait : la coalition d'élus soutenus par la finance internazionale).
Il est bien évident que les malheureux cocus qui se précipitent pour acheter "Charlie-Hebdo", et pour se passionner à la demande des haut-parleurs ministériels omniprésents sur les ondes, perdent complètement de vue ce qu'on est en train de faire comme loi (anticonstitutionnelle) dans leur dos et à leurs dépens.

Une manifestation, partiellement avortée déjà vu ces circonstances, doit avoir lieu contre le nouveau traité de finance européenne, à Paris le 30 septembre à 13h30 (cf. le site <audit-citoyen.org>). Il importe de déclarer que ce n'est pas grand-chose, et surtout terriblement pas assez. Le pouvoir d'argent compte fort bien sur le sentiment d'inefficacité de telles cérémonies de rue, qui décourage les organisations démocratiques. Tant qu'aux violences de ce pouvoir on n'opposera que les lâchetés de la non-violence, tant qu'on recommettra à l'égard de la finance les lâchetés qui ont porté Hitler à un pouvoir et à une violence croissants, on refera aussi les préparatifs de massacres à toutes les échelles de guerre : celle qui fut froide et qui est de plus en plus chaude, de plus en plus présente et partout de plus en plus civile.
Ceux qui ont en tête quelques images de visages creusés par la faim et le malheur en Espagne, en Italie, en Grèce comme en Syrie ou en Libye, ne doivent plus tarder à comprendre que les Résistants sous la botte nazie n'ont pas pu se battre uniquement avec des fleurs à leurs fusils. La situation aujourd'hui est plus terrible, parce que les nouveaux Résistants ne peuvent guère compter sur une alliance extérieure avec un autre empire. Mais ils ont d'autres armes à leur disposition, dont jusqu'ici ils n'usent guère, pour rassembler les gens, rassembler des forces. On l'a montré partout dans ce blog. Puissent quelques-uns au moins s'en saisir enfin.

Fond 6 : Grandeur de Marx


En rappelant les trahisons plus ou moins volontaires et conscientes de gens qui se réclament de Marx, par exemple lors des élections, ou en comparant la référence considérable que constitue son œuvre aux gémissements impuissants de nombreuses gauches, on a déjà tâché ici même de se démarquer de bien des anticommunismes. Il est temps de situer plus nettement les choses.

En gros, Marx jusque dans ses fautes est davantage victime que coupable. Il faut pour le comprendre, rappelons-le encore, se souvenir du contexte éducatif de sa jeunesse (cf. Actuel 23) : avec les bénédictions empressées du Vatican, la répression idéologique par la Sainte-Alliance après Waterloo était féroce ; et l'étranglement de Diderot, de l'Encyclopédie et de la philosophie expérimentale, était rigoureusement dans la ligne du crime contre l'humanité que fut l'étranglement par l'Eglise de Galilée et de la mise au jour de la méthode expérimentale. Or Hegel était la représentation actualisée, cléricale-universitaire, de cette répression ; et Marx, d'éducation monothéiste et donc verbaliste, n'a pu sortir de la fascination par les mots du faux philosophe, de son Verbe-"brouillard nacré" (Brecht dixit) : c'était la pente naturelle et facile, presque inévitable pour un lecteur hébraïsant et sans formation scientifique, de se mettre à lire l'état de la science dans la formalisation verbale par Hegel de la mécanique newtonienne — les forces appliquées ou d'inertie étant reconverties en "contradictions" universelles —. Il aurait fallu, pour mieux se méfier de ce Verbe et des renvois aux livres au lieu des faits, saisir l'Encyclopédie de Diderot dans son principe, revoir à travers elle que suivant Galilée "le grand livre de tous les livres est celui que la nature tient éternellement ouvert sous nos yeux", mesurer l'immensité de courage et de justesse que représentait cette phrase, en un temps où on risquait le bûcher pour opposer ainsi la réalité à la Bible brandie par l'Inquisition comme Livre, référence par excellence...
Il aurait fallu tout cela pour signifier clairement à l'humanité entière qu'en ce qui concerne l'expérience politique, économique et sociale, "le grand livre de tous les livres est celui que l'histoire tient éternellement ouvert sous nos yeux" — par-delà les voiles et tricheries des catéchismes et autres media...

N'empêche. Avec toutes ses ignorances, ses schémas partiels et figés en système, sa logorrhée et ses fuites en rêves, Marx est, Marx demeure, celui qui a le plus nettement installé l'histoire comme référence première pour tout ce qui concerne l'humain ; il est par excellence l'effort pour offrir ainsi à la fois une base théorique globale et une prise de conscience au quotidien, qui entraînent l'action progressiste dans la durée.
Il est douloureusement facile aujourd'hui de voir à quel point son large enfermement économique est une erreur : la manipulation par les instincts contre "l'étranger" et en général l'autre peut surpasser en efficacité les évidences de l'exploitation capitaliste, le goût d'élever son statut social est plus fort parfois même que la faim, la maladie de puissance à tout prix transcende totalement les formes monétaires. De même, il est facile désormais de comprendre que c'est l'appât de la domination qui fait les classes, et nullement les classes qui font les luttes. Dans son itinéraire et en son temps, alourdi encore par les encouragements déviants d'Engels (sans lequel il lui était matériellement impossible de vivre), Marx n'en pouvait pas voir et savoir grand'chose.

Malgré tout, en enseignant au moins un mode de lecture réaliste du monde et de l'histoire, il a été le fondateur d'un espoir vraiment humaniste, donc hors dieu, et cet espoir a un peu pris corps dans des milliards d'esprits, dans de nombreux pays, partout sur la planète. Si on ne devait retenir de lui que cet essai, avec la haine en particulier catholique qu'il a éveillé contre lui et son œuvre, contre ses vérités et ses principes, ce serait un titre de reconnaissance sans fin.

Actuel 24 : Media "de-référence"


Dans un petit livre paru en 1999 sous le titre "Le Monde, un contre-pouvoir ?", Jean-Paul Gouteux commençait par rappeler un jugement de tribunal correctionnel en sa faveur : il avait traité Jean-Marie Colombani, à l'époque directeur de publication du journal en cause, et son collaborateur Jacques Isnard d'"honorables correspondants" de la DGSE ; tout bien attendu, le jugement avait décidé que c'était à juste titre...
Seulement l'avocat de Gouteux était Me Bourdon : autrement dit, quand on veut parler du Monde et du Monde Diplomatique, si ce n'est pas en petit comité il vaut mieux avoir des antennes chez des gens de loi connus pour leur dévouement à des droits essentiels. Considérons qu'ici nous sommes en petit comité.
On nous fera sans doute remarquer que les deux journaux nommés ne sont pas aussi liés aujourd'hui qu'ils le furent. C'est vrai, mais on n'échappe pas aux pesanteurs de l'histoire, et il existe une sainte institution qui ne laisse pas volontiers échapper des parts de son influence. Détaillons un peu.

Hubert Beuve-Méry, fondateur du quotidien comme du mensuel, était un disciple de Péguy. Nationaliste et catholique — quoique non antisémite à une époque où la droite l'était parfois furieusement —, anticommuniste confondant volontiers dans les mêmes reproches de totalitarisme non seulement les dictateurs d'Allemagne et d'Union Soviétique mais les principes, voire les militants mêmes des doctrines nazies et marxistes (lisez sa prose des années 1930), Beuve-Méry se rangea assez activement à la Résistance pour se trouver à la tête du commando qui se saisit des locaux du Temps lors de la Libération de Paris. Le Temps était le journal "de-référence" de la bourgeoisie d’entre-deux-guerres la mieux-pensante et de la propagande franquiste la plus efficace (cf. par exemple le film Le chagrin et la pitié). C'était aussi l'organe des expressions balancées contre "M. Hitler". Eh bien, quant à la forme, le Monde en reprit intégralement et strictement la typographie, jusque dans son bandeau-titre, et les modes d'expression, pour en recouvrer le lectorat ; et quant au fond, le Monde prit la suite du Temps par branchement immédiat sur le réseau d'information des nonciatures très apostoliques...
Il faut saisir là-dessus des choses qui ne changent pas : aujourd'hui encore, les quatre réseaux les plus étendus de Renseignement sont ceux des deux empires anglo-saxons, celui des banques suisses et celui, donc, du Vatican. Ce dernier a tenté, au début du XXIe siècle, d'établir en France un groupe de presse au niveau des financiers nationaux — le Monde a racheté toute une kyrielle de titres, dont Télérama — mais la finance a eu raison même de cette sorte d'indépendance. Dans le tourbillon qui s'ensuivit, le Monde Diplomatique affirme avoir réussi — malgré la chute des (pauvres) recettes publicitaires et grâce, nous dit-on, au soutien des lecteurs acceptant une augmentation de prix — son rétablissement de bilan monétaire. A partir de là il a prétendu prendre ses distances à sa matrice initiale. Sans préjuger des développements futurs, nous voudrions fournir là-dessus quelques éléments d'information à nos lecteurs, à partir du disque — vendu 45€ — des Archives 1953-2011 du mensuel.

Il y a des repères pour juger de l'indépendance d'un titre vis-à-vis des media dominants — mainstream media —. Un des plus sûrs critères consiste à examiner la position d'une rédaction vis-à-vis des atroces attentats qui unissent dans la même ligne politique l'exploitation du 11 septembre 2001 et celle de l'assassinat de Kennedy en 1963. Or sur celui-ci, Serge Halimi signait en 1992 un article féroce, Une vision falsifiée de l'histoire, contre le film d'Oliver Stone (JFK), et dix ans plus tard un texte de même veine, Complotite, contre le livre de Thierry Meyssan (L’effroyable imposture) : on aurait pu souhaiter un moindre alignement sur les mensonges officiels, et des prises de position plus courageuses que de telles infamies. D'autant plus que ces rares touches du Monde Diplomatique accompagnent parfaitement l'inamovibilité correspondante du Monde sur ces thèmes : car ce dernier ne cesse de donner le ton des accusations de "comploto-conspirationnisme" contre tous ceux qui s'avisent de simplement lire, jusque dans les sites gouvernementaux des Etats-Unis, les preuves des mensonges et faussetés soutenus dans tous les media contrôlés par l'argent.
Bref le Monde et le Monde Diplomatique demeurent bien sur la même ligne en un point capital de tricherie médiatique, au service de la désinformation-CIA.
Cas isolé ? Certes non. Simplement il faudrait accumuler des détails, habilement épars, et comparer les sinuosités de ces journaux avec celles de l'Osservatore Romano (le journal du Vatican) pour faire voir la perversion dans sa constance. On aura sans doute l'occasion d'y revenir, car il serait étonnant que la bataille pour la direction et la ligne du "Diplo" ne connaisse pas de rebondissements.

En attendant, on peut toujours rêver que Monsieur Halimi, désormais directeur, se détache toujours davantage du beau Monde après lui avoir donné les gages rappelés ci-dessus. Peut-être même, non content de dénoncer ses confrères-nouveaux-chiens-de-garde, signalera-t-il par exemple hardiment et généreusement les sites de la Toile où on prend le contrepied des intox officielles les plus terribles. Certains songeront aussi à excuser les glissades du "Diplo" en prétextant qu'il faut des réformistes insérés dans le système pour laisser un peu respirer les révolutionnaires, et que c’est bon d’entendre, même dans de mauvaises odeurs, quelques parts de vrai qui ne paraissent pas partout...
Mais pour le moment, on sait bien à qui servent les déchaînements venimeux, accusant de "complotite" les auteurs (par exemple aux Etats-Unis : naguère Garrison, aujourd'hui Michael Moore) qui en fait étalent simplement des déformations monstrueuses de réalités par la propagande "occidentale". En outre, dans la même ligne de désinformation du "Diplo" :
– des données considérables sur la "Françafrique" sont indiquées seulement de façon marginale
– on ne trouve pas, ou à peine mentionnés, des livres aussi essentiels que celui du Dr. Henri Fabre sur "l'Eglise catholique face au fascisme et au nazisme" (éd. EPO) ou celui de Baran et Sweezy sur "Le capitalisme monopoliste" (éd. Maspero, paru en 1968, mentionné d'une "note de lecture" en... 2001)
– sont tues des parts de science aussi considérables que les grandes matérialisations de fonctionnement du cerveau et surtout, surtout, l'éthologie et l'enracinement de l'espèce humaine dans l'animalité, jusque dans sa psychologie politique
et cætera.

Il n'est pas question de nier l'efficacité du procédé — négations et condamnations constantes, effrontées, de données aussi indéniables que gênantes pour la diplomatie vaticane ; censure dosée, absolue ou partielle et retards injustifiables sur des fondements d'appréciation philosophique et politique, allant des crimes coloniaux aux avancées de savoir qui ridiculisent toujours davantage le fatras abscons de la Bible ; grossissements au contraire de lectures et anecdotes sans intérêt —. Entre toutes ecclésiastique, la méthode est en effet difficile à dénoncer, surtout dans un public rendu intellectuellement inerte, largement matraqué de simplifications et de perfidies sur la "subtilité" des chercheurs de vérité — tandis que les obscurités ou absurdités de textes dits sacrés sont présentées comme simple occasion de révérer les théologiens...

On y reviendra certainement.

mardi 28 août 2012

Actuel 23 : St-Imier


Référence d'abord : on trouvera sur le site
le texte complet de la déclaration finale anarchiste après le congrès anniversaire du 8 au 12 de ce mois d'août à St-Imier.
On commencera ici par en retenir un bref historique du congrès de 1872 et de l'exclusion de l'AIT, essentiellement par Marx, de Bakounine et de son courant. Les héritiers libertaires de 2012 rappellent la raison de base de cette séparation : côté Marx, l'exigence de la participation à la vie politique par un parti très organisé, voire très hiérarchisé, en vue de la prise du pouvoir ; côté Bakounine, la dénégation violente d'une telle démarche, en ce qu'elle revient à réinstaller un Etat, et par là très vite une dictature. Nous recommandons de taper sur "Google" : "1872 Marx Bakounine", il y a de nombreuses références de qualité sur cette affaire, dont le texte de Daniel Guérin — malheureusement diminué par une typographie parfois aléatoire, mais où passent les qualités et les connaissances d'historien de l'auteur.
La déclaration anarchiste reprend et actualise la critique de Bakounine, multipliée après Staline et Mao. Puis elle donne un tableau remarquablement synthétique de la guerre sociale et économique actuelle et, dans ses termes propres, invoque l'action des classes populaires par elles-mêmes, décrit ce que sont devenus les partis qu'on dit encore de gauche et propose en horizon, par action directe, un communisme libertaire, un pouvoir populaire, et enfin l'autogestion sociale. SVP allez voir. Mais ceci fait, pensons un peu.

C'est à Paris d'abord (1846) que Marx s'érigea en magister de Proudhon pour lui faire entendre la dialectique de Hegel. De son côté, Bakounine entra par lui-même dans cette fascination infernale. Et tout serait dit...
... s'il ne fallait parfois redire. Redisons.
Après Waterloo, contre le souvenir des Lumières et la fondation par Diderot de la philosophie expérimentale, l'action idéologique de la Sainte-Alliance s'exerçait partout, avec la tendresse ordinaire des réactionnaires quand ils viennent de remporter une victoire. Certes, tout le monde pouvait en principe savoir — et malgré la flicaille intellectuelle des BHL de l'époque beaucoup retenaient — que la philosophie véritable, la théorie politique, ne pouvait que se fonder sur tous les acquis du savoir, en histoire comme en science. Mais contre tout bon sens même élémentaire, Hegel au contraire se prostituait au retour en verbalisme scolastique ; il réussit largement, avec l'aide de brutalités très directes, censures ou répressions, à noyer la tendance naturelle à l'accord par la connaissance, au profit de la dispute sans fin sur des mots jamais clairement définis. C’est ce tableau qu’il faut avoir en tête : surtout depuis Galilée, et avec une ardeur politique spéciale à travers Diderot et l'Encyclopédie, on admettait que la synthèse globale de toutes les expériences, la philosophie, devait être toujours affinée et propagée en fonction de l'évolution scientifique et historique, pour l'éclairement commun des peuples et pour l'approfondissement continué des valeurs les plus humaines, vérité, liberté, justice — démocratie.
Avec Hegel, fini.
Hegel était au fond de tout non seulement un verbaliste, mais un théologien : et c'est dans la lignée hegelienne que se sont placés Marx, Proudhon, Engels et Bakounine. Il ne faut jamais sous-estimer l'efficacité de la répression : contre Galilée et Diderot, dont la plupart des progressistes ne savent encore aujourd'hui que des images d'Epinal plus ridicules et caricaturales les unes que les autres, par Hegel la mort verbale et la réaction avaient gagné. Nous en héritons encore.

A partir de là, il est inutile de s'enfoncer dans le pathétique des tentatives progressistes, qui ne trouvent rien de mieux que de se réclamer de tel ou tel grand-père : elles transforment en phrases des programmes de bonne volonté humaniste pour lesquels n'existeront jamais les moyens d'accord et donc de réalisation. Ainsi l'humanité entière se retrouve-t-elle en ce temps-ci à la croisée des chemins : ou bien elle se résout enfin à intégrer profond ce qu'il est possible (si facilement) de savoir ; ou bien elle laisse parler sous les mots les aberrations et scissions par instincts de clans et hordes, elle achève de laisser dévaster notre splendide navire planétaire et elle en crève.

Ce serait pourtant si simple de comprendre la barbarie des tyrans et de l'histoire à travers l'éthologie ; de mesurer la puissance de techniques de mieux-vivre à travers la physique ; de comprendre qu'on pense en images décantées du réel et non en mots ; de lire plus loin que les formes économiques pour revenir à l'équilibre — aux droits des gens.
Certes, camarades, vous pouvez vous forger une bonne conscience à lire et relire ce qui vous plaît de débats et de bouts d'histoire, et parfois même agir un peu dans votre secte favorite. Mais si vous ne vous éclairez pas, si vous n'éclairez pas les êtres et les peuples du patrimoine énorme de savoir, si vous laissez des démagogues bien connus détourner de ce que seule offre une explosion unique — la prise en compte universelle de l'expérience universelle —, si toujours vous sombrez dans les mots au lieu des idées, notre espèce entière dépérira, horriblement.
Est-ce une telle atteinte à votre amour-"propre", d'apprendre et d'enseigner l'essentiel ? Après deux siècles incroyables de bouleversements de savoir, science et histoire, cela vous gêne-t-il donc tant de les saisir un peu ? Préfèrerez-vous toujours vous mettre au chaud parmi des sensibilités pareilles à la vôtre, plutôt que d'affronter au profit de l'avenir le grand large de la vie et du monde ?

Actuel 22 : Proche-Orient, encore


Il y a peu de nouveau dans le principe depuis "Financiers anglo-saxons, vampires du monde" (ici en Fonds d'Archives 1), mais les choses se précipitent autour de la Syrie et de l'Iran que nous y désignions alors. Un point d'actualité.
Au contraire donc de ce que nous avons publié, beaucoup, trop, de gens ont longtemps affirmé que l'intervention militaire de l'En-pire ne se ferait pas en Syrie, notamment parce que la confrontation avec la Russie y était inévitable et très dangereuse. Ce genre de prédictions ne tient jamais devant la détermination des gens au pouvoir qui, pour le conserver, sont prêts à n'importe quels risques pour donner n'importe quels gages à leurs commanditaires : les brutes derrière Obama peuvent compter sur lui pour montrer qu'il sait faire aussi bien que Bush, comme ici derrière Hollande on sait qu'il vaut bien Sarko dans les actes — et la rombière Clinton fera pour le dollar comme tous ses prédécesseurs, frôlant et effleurant la guerre mondiale. Dans l'identité fondamentale des milliardaires russes ou chinois et USAïens (ou assimilés israëlo-arabes, comme on va y revenir), il y a consensus de préservation commune : on a son clan et ses alliés, on se dispute un peu la place, mais on est d'accord pour ne rien laisser de parole et de droits aux peuples. Chaque fois, les tyrans de Russie et de Chine (qui ne sont pas leurs peuples, ni "la Russie", ni "la Chine" — ne jamais oublier) reculent et reculeront devant le modèle qui les encercle géographiquement comme politiquement, parce que rien de ce qu'ils représentent ne peut trouver d'écho assez profond ailleurs dans le monde. En face, le sinistre "invisible government" par CIA & Cie, désormais bien établi, sait qu'il peut compter sur l'absence de protestation organisée nationale ou internationale, il en use et en abusera jusqu'à toute horreur — si rien ne change.

Une synthèse des réalités militaires vers la Syrie peut être trouvée sur <mondialisation.ca> sous la plume de Michel Chossudovsky : pour ce qui compte ici, l'action sur le sol syrien depuis la Turquie, par les mercenaires qataris et autres, est en marche depuis des semaines, elle n'attend plus que les frappes aériennes et les navires de l'OTAN — c'est ce que les journaux de l'espèce du "Monde" exaltent comme révolte d'un peuple contre une dictature —. Tout est donc prêt pour adapter le scénario colonial habituel (Irak-Afghanistan-Libye derniers exemples) au cas syrien, avec bien entendu en synchronisme la lenteur de préparatifs proprement guerriers, notamment navals, et le temps laissé pour le déchaînement médiatique et le bourrage de crânes en accompagnement. Reste à voir de plus haut.
Car la Syrie n'est qu'un pas de plus vers l'Iran et la Russie, et à cette dimension on ne peut plus se contenter de reproduire le schéma de violence locale qui a si bien fonctionné récemment en Libye. D'où la porte ouverte à l'Iran, pour le moment, par l'Arabie Saoudite, et l'intervention d'Israël. C'est cela qu'il faut analyser.

Pour Israël, le fond de la question est simplement dans le caractère d'extrême insertion de cet Etat dans le système capitaliste international, mais les détails sont croustillants.
D'abord Netanyaou, le premier ministre actuel, vieux cheval de retour des mœurs en cause, est un sharoniard pur jus : enrichissement personnel dévergondé, mafia de corruption effrontée, conseillers religieux intégristes sauvages, lois antisociales toujours plus oppressives, et tout et tout. A force de scandales, il était pratiquement contraint à la démission voici quelques mois : par le plus grand des hasards, un autocar israëlien était mitraillé dans le sud du pays, et un vaste tam-tam médiatique a rangé sous la bannière du nazionalisme les parlementaires de la Knesseth, qui étaient au bord d'une efficace révolte. En ce moment, c'est une augmentation pathologique d'une taxe du genre TVA (le type d'impôt, indépendant du revenu, le plus dur pour les pauvres) qui rend de nouveau Netanyaou trop... visible, et de bons préparatifs de guerre contre l'Iran sont très bienvenus pour détourner la colère populaire : nous laissons nos lecteurs décider de ce qu'a pu être l'ordre choisi ou non dans la planification du vol fiscal et de l'intox belliqueuse.
Mais quoi ? Faut-il s'attendre à une guerre totale avec l'Iran, ou à des bombardements plus ou moins restreints aux centrales nucléaires honnies par la "Communauté Internationale" en la personne de l'AIEA ? Souvenez-vous : sous la haute autorité du colonel-professeur Ne'eman (cf. la Toile), les centrales irakiennes avaient été anéanties en juin 1981 par des avions israëliens — les conséquences notamment françaises n'ont pas fini d'intéresser les historiens : affaires d'uranium entre France, Iran et Irak, Eurodif, Georges Besse, Véronique et Michel Baroin (le père) —. Retenons au moins que de telles frappes se sont faites, et peuvent se refaire. Et voilà le contexte de la réunion de l'Organisation de la Communauté Islamique (OCI), avec les ayatollahs chez les amis saoudiens redevenus frères, et surtout musulmans qu'ils disent.

C’est dans ce contexte que prennent tout leur sens les anciennes et bonnes paroles d'un démocrate algérien : "Israël, c'est la station-service des dictatures arabes : chaque fois que leurs peuples n'en peuvent plus de les voir, les fascistes de ces pouvoirs vont se réalimenter en popularité par des rodomontades contre Israël". C'est ce qui est en train de se préparer. Avec sa perversité ordinaire, France-Cul(ture) déclarait ces jours qu'une intervention militaire israëlienne contre l'Iran serait "très mal reçue par l'opinion publique de tous les pays arabes", ceci comme "explication" à la réunion de l'OCI et à la refraternisation saoudo-persane. La réalité est en fait celle-ci.
Le régime des mollahs a indéniablement un gros défaut pour les inféodés à Washington : la pauvreté matérielle est efficacement combattue, et ceux qui crèveraient de faim sous le "libéralisme" ont de quoi manger. C'est un très mauvais exemple. Toutefois, les tendances à la liberté politique et de pensée ont été anéanties par Khomeiny et ses suiveurs avec une efficacité dans la barbarie qui fait rêver les Frères musulmans aussi fort que la CIA. Ce capital (c'est le mot) de sympathie des antidémocrates "all over the world" n'a pas fini de servir Ahmadinedjad & Co. : c'est là le nœud du problème, et des forces qui commandent de laisser finalement le pouvoir aux mollahs.

Mais il y a aussi le global, et la pérenne rivalité entre Occident et Russie en Méditerranée orientale depuis (au moins) la guerre de Crimée. Or il y a une base navale russe en Syrie, et l'éclatement du pays à la manière yougoslavo-libyenne permettrait d'y installer pour l'OTAN une base concurrente, d'où les bâtiments et marins du cher Occident pourraient Koursk-er de près leurs homologues kremlinois...
Tout peut donc s'arranger. On mènera depuis Bruxelles aussi loin que possible l'intervention de l'Atlantique Nord en Syrie ; Israël de son côté anéantira dans le tohu-bohu les rêves de Téhéran de devenir une puissance nucléarisée ; les peuples arabes furieux exigeront de leurs dirigeants les déclarations anti-sionistes que ceux-ci tiennent déjà prêtes ; au moment où l'attaque contre l'Iran pourrait s'étendre, la Russie profèrera enfin les plus terribles menaces ; et Poutine ridiculisé à Damas pourra sauver ce qui lui reste de face en se posant en sauveur des mollahs, qui eux-mêmes auront gagné un soutien accru de leur peuple. Chacun sa carotte...

Vidal-Naquet disait : "internationale des Etats" — on peut ne pas être d'accord sur tout avec Vidal-Naquet et lui reconnaître la paternité de la formule —. Ceci posé, vous pouvez achever votre lecture et ne plus bouger, ou au contraire faire lire cet Actuel 22 au plus possible de gens autour de vous : il y a des prévisions faciles qu'il faut diffuser tôt, et qui feront réfléchir. Longtemps. Surtout qu'avec un peu de chance, il y aura sur la Syrie une Conférence et des accords "de paix" : nous pourrons aller y manifester notre soutien aux diplomates...

lundi 20 août 2012

Actuel 21 : Sites proposés : mise à jour août 2012


Montaigne disait qu'il aurait voulu davantage de locutions sur le thème : "je pense", "il me semble", "peut-être", "à l'adventure" (que c'est joli) etc. : ce n'est pas notre genre — autres situations, autres temps, autres styles —. Mais quand il s'agit de critiquer des compagnons de lutte, quelques précautions ont leur place. Alors ceci : on trouvera ci-dessous des méchancetés directes sur les sites recommandés en page d'accueil ; ce n'est pas se croire infaillible que de parler franc — et voilà tout.

Il y a un nouvel affiché : <mondialisation.ca>. La présentation très serrée n'est pas idéale, mais il faut le signaler pour toutes les raisons : d'abord il est remarquable de contenu et actif de longue date ; ensuite il se passe des choses au Canada en ce moment, et il est très important de saisir chaque occasion de constater que vont ensemble, toujours, la réflexion à long terme et les mouvements qui font bouger dans l'immédiat. Ça vaut déjà bien le voyage, et puis ça fait revenir sur une réflexion ici obsédante : on doit partout et tout le temps accélérer, comme en ce moment les étudiants québécois (pas assez), l'union de la vue large et de l'action du jour — combien coûte aux progressistes ce manque de puissance, cette absence de coordination dans le temps et entre les gens, alors que les références communes leur tendent les bras !

Dans la richesse des textes du Réseau Voltaire, on trouve à la fois du percutant et du précis, en masse. Il n'y a pas de raison de trop regarder aux origines et aux soutiens qui permettent la diffusion d'informations aussi importantes : il faut surtout y voir une irremplaçable base critique, contre les ignobles media qui se disent à eux seuls — prostitués en nombre infime — "Communauté Internationale". Par contre il est évidemment indispensable de confronter à d'autres sources : on n'a pas à choisir entre milliardaires US et chinois, ni entre l'atlantisme d'asservissement à Wall Street-City et les pillards de l'ex-Union Soviétique ; cette exigence n'est pas toujours nette chez Meyssan et ses amis (pour des raisons qu'on peut imaginer). En outre, c'est une maladie chronique des opposants au pouvoir de sombrer dans le triomphalisme : il n'est pas très drôle de lire et relire dans le Réseau Voltaire que l'Empire USAïen est mort ou presque. Dans le même genre : on ne publie pas, d'un côté, une liste sans fin des attaques de plus en plus déterminées et féroces contre la Syrie, et de l'autre des répétitions illimitées que "cette fois" le régime d'Al Assad a "définitivement" gagné. Ne pas tenir compte d'aussi simples éléments de présentation n'aide pas la cause humaine.

L'excellent site de Michel Collon n'échappe pas non plus à ces dernières critiques, et c'est pareillement dommage. Il faut signaler cependant un exemple exceptionnel de justesse : le débat entre Pierre Piccinin et Bahar Kimyongür à propos de la Syrie, et de ce qu'y ferait une intervention étrangère. C'est sur cette ligne de discussion brûlante qu'il faut se tenir : dénonciation des procédés mis en œuvre par une dictature et cependant avertissement de ce qui serait encore pire.

<Survie.org> demeure inégalé de précision et de justesse sur son thème, la "Françafrique" : c'est un ensemble déjà étendu, qui en dit long et net sur le reste du monde. Les actions de théâtre de rue par des militants de "Survie", rendues en vidéo, sont aussi remarquables : trop peu se servent de tels moyens. Le courage et le travail sous-jacents paient et paieront. Ceci posé, il faudra bien un jour ouvrir le débat sur la différence entre simples présentations, même admirables de vérité, et détermination jusqu'à la violence... "Survie" s'en tient encore loin. Cela aussi, c'est dommage.

Il y a eu voici quelques semaines sur <Rebellion antifasciste> de pseudo-traductions de l'espagnol, qui se contentaient à peu près de remplacer les terminales en o et a de cette langue superbe par des e muets français : c'était purement et simplement illisible. Idem, une présentation qui compte sur le temps et les efforts du lecteur noie sur ce site des choses souvent remarquables : ce ne serait pas péché de les rendre plus accessibles. Ibidem, ça fait plus que plaisir de voir afficher Brassens et Ferré : mais mettre Brel à leur côté revient à oublier que ce dernier fut soutien de Paul Touvier... Ce sont partout de ces fautes qu'on ne peut pas laisser passer : car une efficace tradition médiatique voudrait faire confondre dans le mot d'anarchie la lutte contre le pouvoir, accompagné de ses naturels excès, et le simple désordre. Apporter de l'eau au moulin de cette ignominie est mal pardonnable.

Reste à critiquer ce blog lui-même : nul ne s'en fera faute — qui ne le cite ou le diffuse pas toujours —... Avouons donc qu'on compte sans doute trop ici sur le goût de réfléchir, et sur quelques connaissances hélas pas très généreusement répandues : à ce train on risque gros de voir l'avant-garde coupée des masses, c'est vrai ; il faudra faire toujours plus d'efforts pour être lu plus largement. Tout de même, à titre de plaidoyer de défense : rappelez-vous, ou relisez, "Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée" (c'est dans les "Châtiments", au début du livre 7) — on reprochait alors à un certain Hugo de ne pas faire plus contre un autre Empire...

Bonnes lectures !

mardi 7 août 2012

Actuel 20 : Innocente arithmétique


Ce sont des statistiques qui ont motivé la présente écriture. L'INSEE (ne riez pas déjà !) a surenchéri sur le Ministère de l'Intérieur dans "l'analyse" des résultats des dernières élections françaises. Mais si l'on revient à des chiffres hautement probables derrière les brumes et fumées aussi ignobles que mathématisées, il y a de quoi penser. Courage.

Deux points faciles pour commencer. Parlant en millions d'électeurs, en 2007 les inscrits étaient 44,5 ; en 2012, 46. En voix, l'élu de 2007 en avait obtenu 19 ; celui de 2012 en a eu 18. Bref calcul fait pour vous : les inscrits ont augmenté d'une élection à l'autre de 1,5 ; les électeurs du glorieux victorieux ont diminué de 1. Voilà, on vous laisse déduire (ni le Ministère, ni l'INSEE, ni "votre" journal habituel ne se sont appesantis sur cette déduction, profitez du champ libre).

C'est plus difficile ensuite, mais c'est bien plus drôle.
Encore et toujours moins de gens ont mis en avant le fait que, alors même que le résultat des présidentielles demeure avec une louable constance depuis des décennies du type 50-50, les Assemblées législatives sont passées d'une majorité écrasante en faveur de l'UMP en 2007 à une autre écrasante en faveur du PS en 2012, et ce malgré des redécoupages électoraux destinés à surfaciliter la droite et les zones qui "votent bien" — au sens sartrien, défini dans l'étude "Elections, piège à cons", cf. dans ce blog Actuels 2 et 5, Echange 2 —. En langage clair : l'essentiel est d'opposer une moitié de la nation à l'autre. Comme ça ne suffit pas à une vraie obédience capitaliste, on fait tout encore pour sur-représenter la droite aussi ignorante et égoïste que possible.
Cette sur-représentation n'a d'ailleurs pas pour seule cause ces redécoupages — ni les sournoises et perpétuelles incitations racistes et associées —. L'écœurement du jeu électoral, déjà net dans les chiffres globaux ci-dessus, est particulièrement actif chez les opposants au système. Ainsi entre autres, et même en se contentant des cases très spéciales de l'INSEE, on constate aux législatives :
primo :
– 60% d'abstentionnistes, 40% de votants dans les foyers de revenu mensuel inférieur à 1200 €
– le contraire — 60% de votants, 40% d'abstentionnistes — dans les foyers à plus de 4500 €
(plus on est pourri d'argent, plus on vote)
secundo :
– 60% d'abstentionnistes, 40% de votants chez les ouvriers
– le contraire — 60% de votants, 40% d'abstentionnistes — chez les artisans-commerçants-"chefs d'entreprise"
(plus on est parasite "meneur", plus on vote).
C'est déjà assez pour se poser avec davantage d'insistance la question : dans quel sens la nausée des conditions de suffrage biaise-t-elle les résultats ? ou si vous préférez : de qui les élus sont-ils élus ?
Mais continuons. Tertio : à plus de 60%, les 18-24 ans ne votent pas ; à plus de 70%, les 60 ans et plus votent. Détail : l'espérance de vie des ouvriers est de quelque dix ans inférieure à celle des cadres, autrement dit ceux que le système a favorisé de façon pas toujours parfaitement morale (encouragement aux parachutes dorés et maintien des hauts salaires pour les auteurs de "plans sociaux") aident par leur simple survie à perpétuer... la mort précoce de leurs employés, chômeurs en début de carrière.
Suffit ? Non. Quarto : les cases artificielles de l'INSEE amalgament des réalités économiques et sociales très différentes, bien sûr en partie pour nier les repères de luttes en classes marxistes, mais surtout pour maintenir la fiction d'une perception politique analogue un peu chez tout le monde (la "démocratie", ce doit être une politique épurée de vils intérêts notamment économiques). Eh bien, malgré ces voiles supplémentaires, le chiffre le plus élevé de toutes les statistiques fournies est celui des votes à droite chez les commerçants-artisans-etc. déjà dits : plus des trois quarts — ce sont donc bien ceux regroupés en confortable ignorance qui, inquiets seulement de sentir leur parasitisme artificiellement entretenu et favorisé, accrochent leurs échoppes aux plus rustres du système : la droite haineuse et sur-réactionnaire.

On peut poursuivre, longtemps. Dans la perversion par arithmétique électorale, on l'a dit, la base est la division entretenue entre une droite et une gauche en faveur du perpétuel 50-50. Une preuve supplémentaire en est encore fournie par la dernière présidentielle : alors que jamais depuis les années 1960 le président en place n'avait été l'objet d'un tel rejet public, l'écart final au vote a atteint difficilement 3% en sa défaveur — et cependant le basculement de majorité législative est total !
Disons tout, simplement : à partir des media et de tous les conditionnements des votes, découpages géographiques ou par âge ou par revenu ou par tout, le parti unique dit alternance se maintient et se maintiendra tant qu'on comptera sur les urnes, en penchant en apparence dans le sens qui endormira le mieux la colère populaire. Voyez ce qu'est déjà en cet été 2012 la politique extérieure (africaine ou proche-orientale) dans la continuité absolue d'avant le "changement" (le nouveau Bongo du Gabon reçu des premiers à l'Elysée, la France fer de lance de l'attaque contre la Syrie, etc.). Voyez ce qu'est, ou n'est pas, la politique intérieure (utilisation du Conseil Constitutionnel, instance suprême où siège désormais Sarkozy) : on prétend interdire de par la Loi, et Loi fondamentale (où figure le programme du CNR), les essais d'affaiblissement de la dictature d'entreprise, et on maintient pratiquement toute la racaille de harceleurs qui a été mise en place en administrations privées et publiques pendant le quinquennat précédent...

Et surtout n'allez pas dire que la comédie électorale ne se passe que dans des magouilles, filouteries, tricheries, trifouillages, biais, falsifications, tripotages, fricotages, grenouillages, équivoques, illusions, mensonges, feintes, trucages, impostures, déloyautés, fourberies, dans notre Cinquième République putain !
Ni m'en vouloir si j'oublie une virgule...