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Ce blog comporte quatre parties :

– les articles simplement actuels

– des textes de fond, insistant sur le point de vue expressément politique adopté partout ici

– des rédactions plus anciennes par exemple à propos de simples citoyens d’un côté, de potentats de l’autre, aux Etats-Unis

– des échanges avec correspondants qui seraient trop restreints à l'intérieur des cases prévues.


dimanche 21 août 2016

Actuel 101 Valeurs

                       Un immense élan humain porte ces mots : liberté, justice, vérité, égalité, fraternité ; puis aussi d'autres plus sourds, dont tous ne perçoivent pas d'abord les étendues et les résonances, comme paix, savoir, équilibre et raison.
            On ne devrait pas jouer avec ces mots-là. On ne devrait pas tricher ignoblement avec des mots comme amour, et les dévier si fort qu'on puisse en faire, comme des chrétiens et autres "fidèles", des prétextes déclarés ou sournois à des guerres, aux pires maladies politiques. On devrait éliminer par tous moyens ceux qui par tous moyens s'efforcent d'éliminer les pensées et les penseurs au service, eux, de l'humanité entière ; on devrait sanctionner pour crimes contre elle ceux qui, à force de terreur, ont tenté ou tentent de réserver le dire et l'écrire à leurs inquisiteurs, prêcheurs et idéologues d'infamie et de trahison essentielles.
            Cependant tout pouvoir punit les justes et récompense ses brigands : c'est situer le chemin à faire, et dire la nécessité de la lutte — tandis qu'au contraire souvent, surtout lors d'urgences mal saisies, les éternels trop pressés courent s'agiter au lieu d'agir, et éloignent ainsi davantage du vrai et de l'utile.
            C'est le cas aujourd'hui : il faut à nouveau livrer le plus délicat dans des vibrations folles de dangereuse et négligente impatience. D'où cet essai.

                       Peut-être que choquer d'abord aidera à aller plus vite. Alors en une ligne : il faut placer vérité au-dessus de liberté. Ce n'est pas facile à démontrer. Mais en bonne foi — le contraire de ce qu'on appelle une foi —, on peut au moins condenser rapidement beaucoup de l'indispensable et aboutir à une conclusion humaine, que ce soit pour l'accepter déjà ou pour exiger de poursuivre.
            Parmi les meilleurs repères — ni ceux-là ni le reste ne sont faciles à saisir dans leur importance —, Camus comme Orwell ont répété : justice et liberté. De même, quand on a demandé, tout à la fin de sa vie, à Abraham Serfaty de résumer d'un mot la cause pour laquelle il avait combattu, il a répondu d'un mouvement : justice.
            En face, dans les parodies hideuses où les pouvoirs salissent les étoiles nos repères de leurs pollutions, brouillasses et remugles, on fait par exemple jurer impossiblement "la vérité, toute la vérité, rien que la vérité" pour en fait rendre des jugements qui souvent sont seulement l'institution judiciaire des privilèges et non la justice ; ou bien, contre ceux qui osent parler de science pour établir le vrai, on brandit que le journal de Staline s'appelait Pravda — le mot russe pour vérité.
            En tout donc, c'est dans une jungle qu'il faut s'orienter et s'éclairer.

                       Si on emprisonne une bête dans des liens ou des cages, elle se débat et lutte ou au moins le tente : une simple bête a un sentiment de liberté, et ce peut être un crime que son enfermement. Surtout, cela aide déjà à mesurer en affaires humaines, politiques, les crimes d'oppression, inquisitions, esclavages, répressions et guerres. Mais plus haut encore — et quoiqu'une bête puisse être éclairée de quelque conscience, de quelque sentiment de réalité —, nul animal hors l'humain n'atteint ce que représente notre expérience en histoire et en science, base de vérité. C'est essentiel.
            Car c'est de cette valeur — non seule, mais strictement indispensable — que peut procéder la justice. Un chien peut être merveilleusement éduqué à défendre un enfant, jusqu'à donner sa vie : mais les chiens des S.S. aussi, rappelait Camus, étaient fidèles à leurs maîtres. L'élaboration en ce qui mérite d'être appelé culture — non aux sens viciés d'expressions locales, mais de nouveau au sens humain le plus général, planétaire et panchronique —, ce qui au plus long terme conserve les chances de survie de notre espèce, LA civilisation, universelle, LA culture, universelle, cela ne peut être qu'affaire humaine.
            Voilà l'une des raisons, indubitables, pour lesquelles au bout de tout la vérité est valeur première. C'est au fond pour cette même raison que les pires traîtres prétendent ériger en "vérité" une soi-disant révélation, par exemple déclarée "parole de dieu" par les plus constantes et cruelles violences sur des siècles et des siècles, et ensuite perpétuée par viol précoce d'âmes infantiles, évidemment incapables encore d'autonomie et donc de raison. A l'opposé de telles trahisons, c'est seulement au nom de l'expérience universelle, peu à peu reconnue dans sa justesse par l'humanité entière, en multiple cohérence avec le monde et dans l'accord de tous les êtres, qu'on a le droit de parler de vérité — que ce soit sur l'origine du monde, sur celle de notre espèce, ou sur les nécessités politiques.

                       A partir de là, peut-être que s'effaceront un jour les distinctions entre savoir et empathie : peut-être que l'on verra comme unité d'un côté l'intériorisation profonde du déjà acquis (départ des renouveaux d'art et science), et de l'autre côté la résonance immédiate et chaleureuse à l'éventail de toutes les sensibilités humaines. Mais en tout cas c'est dans la vérité — il faut répéter : en ses étapes, ouverte, provisoire, et cependant universelle — que gît la condition initiale et indispensable de LA justice, pour que celle-ci à son tour puisse être dispensée au nom de tous et dans le respect de chacun.
            Ainsi, parce qu'une bête n'a pas accès à la vérité — au sens expérimental, profond, sans cesse redit ici —, elle n'a pas accès à la justice qui, même vis-à-vis des bêtes, ne peut être qu'humaine : parce que seule l'humanité accède à la vérité. Un tigre assassinant une antilope ne peut être convaincu d'injustice, au contraire un oligarque faisant assassiner des révoltés peut bien les accuser d'être "infidèles" ou d'attenter à la sûreté de l'Etat, il n'est qu'une brute immonde cherchant des moyens d'égarement et propagande, et cette brute doit être accusée, convaincue et sanctionnée pour injustice. Ce qu'il faut faire des tigres et des oligarques, ce n'est pas à leurs hyènes et chiens couchants qu'il faut le demander, mais au savoir universel, accessible aux humains universellement. Là, seulement là, justice.
            Car ce schéma n'est pas, lui, soutenu pour sa commodité à quoi ou qui que ce soit. Au contraire il vient d'une exigence de cohérence incluant l'humanité dans son ensemble et les conditions de son équilibre, l'essentiel du savoir déjà présent en elle et en chacun de ses êtres. C'est cela qui impose d'abord la vérité. Ensuite, la justice est à la fois la valeur la plus haute et la lutte la plus nécessaire.

                        Mais dans cette ligne, la liberté perd de son rang. Car si l'on sait assez complètement ce qu'il faut faire, il est injuste de ne pas agir pour le faire : le savoir commande l'agir, le savoir oblige au juste, en ce sens on n'est donc pas libre. Certes tout notre passé nous fait ressentir d'abord la révolte contre les volontés de pouvoir, les hargnes de domination folle qui écrase des vies — et bien souvent celles déjà épanouies contre la psychose de pouvoir — : ainsi la revendication historiquement apparue la première crie liberté, non sans quelque justice. Mais c'est là aussi que passent les contre-révolutions en "liberté" des "propriétaires" de biens, de travaux, enfin de vies des autres, telle l'actuelle "liberté" "d'entreprise". De telles perversions ne peuvent naître que violences : l'équilibre et la paix, d'après l'expérience, vont à l'opposé de ces "libertés"-là.
            C'est pour cela que la revendication de liberté, quoique la plus immédiatement naturelle, doit être dépassée. C'est pour cela qu'il faut apprendre à exiger d'abord la vérité, la diffusion du savoir universel : ensuite seulement on peut réaliser ce qui mérite de l'être, en toute justice — et qu'il vaut sans doute mieux appeler épanouissement que liberté.


                       D'une certaine façon d'ailleurs, les oppresseurs et menteurs qui prétendent gouverner accentuent cette démonstration, aujourd'hui plus que jamais : car jamais l'alliance entre les anciens et les nouveaux professionnels de la menterie, les prêtres et les journaleux, n'a fait d'aussi grands efforts pour voiler ou au moins éparpiller ce qui devrait être ramassé en vrai savoir. Les déchaînements largement confluents de propagandes nouvelles et d'anciennes religions sont des conditions obligées des égarements, des terreurs et des crimes qui empêtrent actuellement la lutte démocratique mondiale. La vérité, donc sur tout, dont les guerres intérieures ou extérieures, cette vérité est désormais clairement ce qu'il faut répandre d'abord pour la survie humaine : non seulement comme condition première, mais parce que lutter pour elle suffit à faire voir où sont les ennemis de l'humanité, et ce que doit être la lutte suprême — celle pour la justice.