bienvenue, welcome, welkome,etc

Ce blog comporte quatre parties :

– les articles simplement actuels

– des textes de fond, insistant sur le point de vue expressément politique adopté partout ici

– des rédactions plus anciennes par exemple à propos de simples citoyens d’un côté, de potentats de l’autre, aux Etats-Unis

– des échanges avec correspondants qui seraient trop restreints à l'intérieur des cases prévues.


dimanche 30 décembre 2012

Echange 7


Reçu le 12/12/12 de Suffrageon :


Cher Redire,

J’ai lu tes 2 derniers emails avec retard car je ne consulte pas ma messagerie régulièrement. Toujours le même souci : le manque de temps… et tout autant de bonnes dispositions mentales : le boulot ça peut vraiment aliéner…

Dans mon boulot les « manadjères » ne comprennent plus le fond de ce qu’ils dirigent — même on leur a appris à mépriser la ‘technique’ …. et par extension les gens de métier ; c’est la méthode pour se conforter, via l’entre-soi, d’être dans le vrai, dans le noble. Et le méta-métier (aux mains quasi-exclusives de diplômés d’école de commerce) vit comme cela, coupé des réalités, en se gobergeant de réunions, de documents ‘powerpoint’ et ‘tableurs’… saupoudrés de pédantismes anglophonisés.
La solution personnelle pour ne pas trop en souffrir serait de prendre en charge des ‘projets’ plus importants ; mais mes enfants, petits, et le retour en "formation" de leur maman, m’empêchent de m’investir dans un jeu encore plus chronophage avec à la clé plein de voyages à l’étranger…
Malheureusement ma plainte est loin d’être ni unique ni la plus importante ! Cette triste évolution n’est confinée ni à la boîte et ni à la branche où je me trouve. Ce n’est qu’une expression de l’air nauséabond (de plus en plus) des temps que nous vivons. Je ne t’apprends rien.

En attendant mieux mes jeunes collègues maghrébins m’appellent « Oncle S. » et me sollicitent pour des conseils sur le boulot et même extra-boulot : ça me flatte ! Mais là où j’ai un blocage car je n’y comprends rien, c’est la question religieuse. Qu’ils aient grandi ici ou outre-Méditerranée, ils ont tous le même comportement : une observance des préceptes qui n’existait pas chez les jeunes garçons de 25 ans de ma génération : manger hallal, jamais d’alcool, aller à la mosquée….C’est de cela que je te parlais pour l’Iran : d’où a pu venir ce retour en bigoterie en Iran ? Et cela avant 1979, donc bien avant que les USAïens aient décidés de donner de la puissance à la frange très minoritaire des « fous de dieu » afghans.
J’ai lu Persépolis qui m’a beaucoup touché. « Incendies » est le titre d’un film canadien très dur auquel il m’a fait penser : film canadien tiré d’une pièce de théâtre écrite par un libanais qui nous parle de son pays. Je te le prêterai dès que possible. Néanmoins je regrette qu’il n’y ait pas d’équivalent avec le point de vue d’un pauvre qui aurait fait le chemin « des ténèbres vers la lumière » si je puis dire. Je n’ai vu ça que dans le cinéma militant où de petites gens racontaient comment les curés leur disaient quoi faire, quoi penser, quoi voter... et aussi comment la soumission aux dogmes leur était agréable.
Je pense moi aussi que le Hitchens ("dieu n’est pas grand") est à garder en référence. C’est ma prof' d’anglais qui me l’a fait connaître : elle a viré ‘intégriste athée’ après avoir mal vécu deux conversions : à l’islam d’abord et ensuite au judaïsme ; et maintenant, en pensant à ses ex-maris elle a demandé à sa fille, au cas où elle se lie avec un jeune homme religieux, d’exiger de lui la conversion sans discussion à l’athéisme….
Pour ‘Inside job’, je suis d’accord avec toi : on n’a rien à négocier avec le capitalisme. Mais j’y trouve tout de même un intérêt dans les petites informations indirectes délivrées :
– les universitaires sont à la remorque : ils ne sont plus ni écoutés ni respectés par les gens qui sont aux manettes du pouvoir ; leurs constructions théoriques se font après coup pour aller dans le sens des décideurs plus gougnafiers et incultes que jamais
– le court terme prime dans toutes les stratégies décrites (banques, entreprises et politiques) tant il y a pression du capital (actionnaires).
– les décideurs ne semblent pas aussi organisés qu’ils pourraient l’être et qu’on pourrait le croire.


Réponse de Redire le 14/12/12 :

Cher Suffrageon,

Ça, c'est de l'échange ! Merci !
Les "manadjères" et le méta-métier (bien dit) sont en effet partout, et les patrons ne jurent que par eux. Un jour ou l'autre, là aussi inévitablement et hélas imprévisiblement, ça va péter à force d'ignorance du réel. Faudra prendre en marche le train — ou le déraillage, et ce sera dur —...
Sur les affaires religieuses, obsédantes même chez des gens remarquables (cf. le site <survie.org>) je ne prétends pas avoir compris, c'est psychiatrique et donc très difficile. J'avance du moins ce que je crois essentiel, quitte à me redire-comme-mon-nom-l'indique.
Des "quatre grandes" pulsions animales (faim, préservation, sexualité, affirmation de soi = "agressivité" contre les congénères, chez nous les autres humains), la dernière venue de l'évolution, l'agressivité, est de loin la plus forte et la plus refoulée (sans ce refoulement, pas de société possible). Tout être humain a besoin, de façon pressante, de décharger l'énergie correspondante. Ce peut être par la domination, la prise de possession plus ou moins totale (époux sur épouse... et réciproquement, mère et père sur enfants, maîtres sur disciples ou esclaves) jusqu'à la violence à tous niveaux, du familial au guerrier. Mais pour que ça passe socialement, ne serait-ce qu'en haine manifestée plus ou moins directement, il faut l'organisation et le contrôle, la ritualisation, avec tout ce que cela apporte de sentiment de force par appartenance à un clan et aussi de bonne conscience pour rêver ou agir par décharges, évidemment souvent immorales, de violence. D'où le recours, si fréquent, à l'observance religieuse.
Les Iraniens comme tout le monde ont besoin de s'affirmer, et les vols et crimes perpétuels de l'Occident crétin chez eux (pétrole, mais aussi Mossadegh etc.) les ont convaincus de rechercher un terrain où se sentir eux-mêmes, ralliés contre les brigands. Les Anglo-Salcons, très rodés là-dessus, ont laissé grande ouverte la porte de "l'identité" musulmane iranienne chiite (dans la vieille Perse conquise puis soumise par les Arabes, et qui a gardé son écriture propre, tu parles !). Dans ce sens, les services secrets CIA-MI6 ont guidé, orienté, perdu les pédales, repris... et ce n'est pas fini : les "sanctions" économiques recréent en ce moment là-bas une misère assez terrible, seuls les réseaux sociaux islamistes ont permis jusqu'ici de résister à l'embargo (à Cuba, sous forme marxisante, on a un phénomène analogue de résistance à l'étranglement international). Mais en aucun cas les néocolonisateurs ne renonceront à avoir à Téhéran un régime plus docile. Tu sais là-dessus ce que je pense du billard à n bandes dans la région, avec la malheureuse Syrie.
Ceci dit, je ne crois pas à un 'intégrisme athée'. Je suis croyant en l'humain, rationalisé trop lentement hélas parce que l'univers est indifférent à l'humain. Comme je t'ai dit, je n'aime pas Hitchens ami de Blair et trop ignorant de la démarche de fond des Lumières (méthode et philosophie expérimentales : prise en compte toujours enrichie et plus rigoureuse de toutes les réalités, ou de tous les aspects de la réalité, en politique comme partout). Mais son livre est un travail à utiliser, évidemment. Il me paraît signifier que même à Washington et Londres, on se rend compte qu'une élite instruite et distante à la calotte peut aider à conforter l'En-pire, alors que les télévangélistes, fort utiles pour maintenir la connerie populaire, finissent par être affaiblissants et de mauvaise image pour le niveau mental des nations impériales...
Nous aussi nous avons nos armes, dont le cinéma. Les gens de "Nova", à Bruxelles, font de véritables merveilles d'éducation populaire dans ces zones. Il faudrait que toute l'Europe aille à leurs projections...

lundi 17 décembre 2012

Actuel 30 : Autonomismes, régionalismes, communautarismes et autres aberrations


L'En-pire anglo-saxon fait merveille, de l'ex-Yougoslavie et de l'ex-Tchécoslovaquie à la Lybie et (avec moins de succès jusqu'ici) à la Bolivie, pour utiliser des forces largement incohérentes et morceler les nations et groupes encore capables de citoyens opposants. Pour notre part d'Europe aussi, on nous saoule de façon récurrente par exemple de libération de la Bretagne, de la Corse ou du pays basque, et de "quadrige européen" (Bade-Wurtemberg, Rhône-Alpes, Lombardie et Catalogne). Ce n'est pas sans contradictions entre eux, mais partout de même les pouvoirs se servent aujourd’hui des guerres néocoloniales, des mafias et de répressions plus sourdes — économismes, dressage au lieu d'éducation, media, harcèlement obsessionnel par flicage, espionnage, surveillances, mises en condition de toutes sortes — comme ils se sont servis hier des fascismes ou avant-hier des guerres féodales : c'est-à-dire en utilisant de plus en plus finement les tendances sectaires, séparatrices et brutales. Il y a certes aussi des armes matérielles toujours plus terrifiantes : mais le fond consiste à faire d'un homme, broyé par les hasards cruels de l'histoire, bien pire qu'un loup pour d'autres hommes.
En face la plupart des progressistes, eux, refusent par orgueil aveugle de reconnaître nettement cet irrationnel. D'où, pour les pouvoirs actuels, des succès croissants de violence. Si on songe à l'avenir humain, peu importe que cette violence soit menée plus ou moins consciemment, peu importe qu’elle passe par la collusion avec des clergés, des “identités” régionales ou nationales ou d'autres “communautarismes” : peu importe donc que les conflits soient prétendus de religion, idéologiques, ou de clans ou classes d’extension et de définition variables. Ce qui compte, c'est que le pouvoir-aujourd'hui-par-l’argent cherche les moyens de repartir par de nouveaux crimes pour un autre cycle, après des violences et des ruines atroces : comme il fit en 1914-45.
Il importe donc de se dégager en toute occasion de ce jeu mortel. Or c'est y entrer que de s'en tenir à des revendications étroitement économiques, aussi bien que de favoriser la faiblesse des zones européennes en parcellisant l'Europe en régions — comme y poussait Hitler, et comme y poussent le Vatican notamment depuis Pie XII et les Etats-Unis notamment depuis Roosevelt.

L'important, la ressource contre les mauvais prétextes, la seule référence, c'est la seule identité réelle : humaine et planétaire. La lutte pour la survie de l'espèce se passe désormais entre cette référence universelle et l'éternel diviser-pour-régner.

Actuel 29 : Hitchens, "dieu n'est pas grand"


Les gens qui ont parcouru assez de chemin en réflexion cohérente ont constaté, dans des myriades de faits, la fausseté et la méchanceté des religions et de religieux. Mais ils n'ont pas toujours présent à l'esprit tel ou tel élément pour éclairer le niveau de vice mental et affectif de telles déviances, et ils ne peuvent éviter toujours une censure intérieure qui les fait ménager des amis parfois très chers, emportés hélas par les torrents historiques de croyances aberrantes. Il est donc hautement utile de disposer de bilans des fautes et des crimes ridicules ou sadiques dont ne cessent de se rendre coupables les chefs religieux et leurs sectaires et fanatiques. Hitchens  ("dieu n'est pas grand", traduction française chez Belfond éd., Paris 2012) propose une telle somme : qu'il soit bienvenu.
Chaque lecteur trouvera ce qui le touche le plus dans cet amas d'horreurs. Peut-être que la lutte des religions en faveur du Sida — condamnant des relations inévitables et le préservatif — est un sommet remarquable, très actuel surtout dans le monde pauvre, et où le Vatican par exemple se montre toujours égal à sa pérennité inhumaine : mais on ne cherchera pas ici à résumer quatre cents pages dont beaucoup parlent haut et juste.

Par contre : une critique doit tout dire, donc aussi le moins bon. C'est dommage cette fois, car par exemple le sous-titre du livre, "Comment la religion empoisonne tout", donne envie de s'en tenir à des éloges. Mais on peut en cherchant trouver de quoi se plaindre un peu.
Certes, contrairement à Dawkins, Hitchens ne prétend pas être l'inventeur de l'athéisme. On trouve même chez lui (rarement, et cités de loin) Voltaire, et (une fois) Diderot et D'Alembert qui paraît-il ont écrit l'Encyclopédie : les collaborateurs de celle-ci sont mentionnés vaguement comme géniaux — ce qui n'éclaire guère leur mouvement —, et on se réfère une fois ou deux aux Lumières... Mais tout cela reste très anglo-saxono-centriste.
Il y a aussi des prises de positions étranges, à propos du 11 septembre entre autres. On dirait que Hitchens craint de finir par passer pour un des repoussoirs du maccarthysme : il ne se veut pas trop athée, et surtout pas "communiste", c'est-à-dire en langage CIA franchement démocrate et anticapitaliste...

N'empêche : avoir Hitchens sous la main peut aider à ce qu'il faut, en particulier à voir clair — les tabous comme des tabous, les dieux comme des illusions qui entraînent bien des crimes et des guerres, et les dérapages mentaux en général comme des pestes historiques à soigner par tous moyens —. Ce n'est pas rien.

lundi 10 décembre 2012

Actuel 28 : ATTAC attaque


Dans une page mise en ligne sur la Toile ce mois de novembre, un tentacule d'ATTAC — le Comité pour un Audit Citoyen de la dette publique (CAC) — se vante que ses initiatives ont "contribué à provoquer un débat public sur la question de la dette et de l'austérité". Il reconnaît toutefois que "les oligarchies financières s'obstinent" dans une indifférence totale à ces bruits — chose incroyable ! et cela même lorsque les bruiteurs s'aventurent à qualifier la prétendue dette publique d'"instrumentalisée pour  imposer des politiques d’austérité socialement injustes, économiquement stupides et écologiquement irresponsables" — qui l'eût cru ?
Les mêmes s'inquiètent aussi de voir mener "l'Union européenne à l'éclatement" : comme ce serait triste ! Ils vont jusqu'à remarquer que François Hollande ne semble pas changer grand'chose à la politique gouvernementale, mais se font un agréable devoir de noter ses "premières mesures fiscales positives" ; ils sont navrés de "l'austérité" budgétaire et des "cadeaux fiscaux aux actionnaires" accompagnant la hausse de la TVA, mais surtout du manque de sérieux dans l'engagement pour "la transition énergétique" — gentil appel du pied électoralo-démagogo au plan C du gros capital (A la droite, B la gauche) : la récup écolo.
Une phrase incohérente, fruit sans doute d'un beau travail collectif, annonce toutefois fièrement un "grand évènement" : le lancement PUBLIC d'un processus d'Altersummit, en franglais dans le texte ! Pour "aider à la structuration des mobilisations à l’échelle européenne", cette arme de destruction massive contre la finance internazionale sera irrésistible de par la création... d'un "espace favorisant la convergence des mouvements sociaux, en coopération et dialogue  avec les forces politiques". Cet ESPACE tout-puissant "s’inscrirait dans la continuité du Collectif pour l’audit citoyen et de la mobilisation contre le Pacte budgétaire, en articulant son action et celle de ses collectifs unitaires locaux avec la dynamique de l'Altersummit". C'est sûr qu'avec ça, la "vaste offensive néolibérale en cours en France et en Europe" est victorieusement anéantie d'avance : on signalera toutefois que, si on sait la date de "l'espace" de contestation féroce en question (le 12 janvier prochain), ses coordonnées vulgairement matérielles ne sont pas données...

On doit faire grâce au lecteur du reste de ce journal parlé à la France-Culture. En tout, des cadres du capital qui n'ont pas assez fait carrière expliquent combien ils seraient bons s'ils avaient le pouvoir, et d'avance ils "rassurent les marchés" : leur vocabulaire est typique de "l'éducation populaire" que prétend faire ATTAC, avec "décryptage, instrumentalisée, compétitivité, irresponsables, visibilité"... A ce propos, pour les linguistes, un point amusant : un texte écrit en français ordinaire fait en gros cinq caractères par mot (hors espaces), mais on dépasse six dans le texte en cause — ce qui, si on tient compte d'incompressibles, est une augmentation bien plus considérable que le simple rapport des chiffres...
Bref : ce ne sont là que tentatives qui laissent toute véritable initiative à la "Commission Européenne" et à ses représentations nationales. Il est risible de simplement dire qu'au fond les "Holland-ais" à grande gueule aléatoire et à gesticulation de l'espèce Montebourg ne changent rien : dans les merveilles récentes et qui comptent, il faut au contraire mettre en avant par exemple l'imposition des heures supplémentaires des pauvres qui tentent de survivre, rare joyau qui va au fond et résume tout. Aider à dissimuler de telles affaires sous un "Alter summit" est un sommet... de tromperie, comme la soumission au blablabla "néolibéral" : on cache sous des mots ronflants le retour du capitalisme sauvage en totalitarisme financier. Si les mobilisations sont faibles vis-à-vis de la détermination et des forces notamment policières de ce totalitarisme, elles ne peuvent que demeurer faibles tant qu'on égare par un vocabulaire puant des forces qui pourraient s'allier au peuple : il faut en finir tout ensemble avec le légalisme et les déviances verbales. Les choses bougeront seulement si, par exemple, des manifestations trop sauvagement réprimées en entraînent d'autres illégales, non encadrées, toujours plus vigoureuses et débouchant sur des actions de plus en plus violentes et systématisées : les compulsions du pouvoir à aller toujours plus loin se chargeront de provoquer de telles situations si les lucidités n'y parviennent pas.
C'est à cela qu'il faut se tenir prêt.
En attendant, il est très simple de rappeler à tous que le système d'argent a toujours fait aller, et continue à faire aller, les richesses de plus en plus vers les parasites, nuisibles et vampires au détriment de ceux qui travaillent et créent. Il est très simple de rappeler que le capitalisme "régulé" n'a cessé historiquement, ne cesse pas davantage sous nos yeux, et ne peut cesser de ramener au capitalisme "dérégulé". C'est bien joli de faire ou d'aller voir un film comme "Inside job" : mais si c'est pour rêver que Soros vaut mieux que les gangsters plus voyants encore de Goldman Sachs & Co, c'est temps perdu. Il n'y a pas de solution bancaire à la crise bancaire. Il n'y a pas de fin au chômage tant que le capital survit, et ne peut survivre que par l'entretien de la misère. Ce n'est pas seulement Arcelor, Mittal ou pas, qu'il faut nationaliser : c'est l'Etat, dont à présent on a privatisé (c'est-à-dire rendu aux tyrans bourgeois) même les banques centrales. Tout raisonnement en termes d'argent est anti-économique comme anti-moral : seuls ceux qui, dans la mesure de leurs moyens, aident ou ont aidé à produire et répartir justement les richesses, ont droit à leur partage — au contraire "droit" par l'argent est vol.
C'est cela qu'il faut répéter en économie.
Et tout le reste "économique" est mauvaise littérature.

mercredi 5 décembre 2012

Actuel 27 : Ordre, morale et politique


Il y a des merveilles déjà cent fois citées, et que dans l'actuel des foules continuent d'ignorer avec un désolant entêtement. Est-il naïf de les répéter ? Camus écrivait dans le journal "Combat", le 12 octobre 1944 :
«  l'ordre social, est-ce seulement la tranquillité dans les rues ? Cela n'est pas sûr. Car enfin, nous avons tous eu l'impression, pendant ces déchirantes journées d'août, que l'ordre commençait justement avec les premiers coups de feu de l'insurrection. Sous leur visage désordonné, les révolutions portent en elle un principe d'ordre. [...] L'insurgé qui, dans le désordre de la passion, meurt pour une idée qu'il a faite sienne, est en réalité un homme d'ordre parce qu'il a ordonné toute sa conduite à un principe qui lui paraît évident. Mais on ne pourra jamais nous faire considérer comme un homme d'ordre ce privilégié qui fait ses trois repas par jour pendant toute une vie, qui a sa fortune en valeurs sûres, mais qui rentre chez lui quand il y a du bruit dans la rue. Il est seulement un homme de peur et d'épargne. Et si l'ordre français devait être celui de la prudence et de la sécheresse de cœur, nous serions tentés d'y voir le pire désordre, puisque, par indifférence, il autoriserait toutes les injustices. »
Idem, le 29 octobre 1944 :
« ... cette mécanique de la concession qui a conduit tant de Français à la trahison. Chaque concession faite à l'ennemi et à l'esprit de facilité en entraînait une autre. Celle-ci n'était pas plus grave que la première, mais les deux, bout à bout, formaient une lâcheté. Deux lâchetés réunies faisaient le déshonneur. [...]
La France vivait sur une sagesse usée qui expliquait aux jeunes générations que la vie était ainsi faite qu'il fallait savoir faire des concessions, que l'enthousiasme n'avait qu'un temps, et que, dans un monde où les malins avaient forcément raison, il fallait essayer de ne pas avoir tort.
Nous en étions là. Et quand les hommes de notre génération sursautaient devant l'injustice, on les persuadait que cela leur passerait. Ainsi, de proche en proche, la morale de la facilité et du désabusement s'est propagée. Qu'on juge de l'effet que put faire dans ce climat la voix découragée et chevrotante qui demandait à la France de se replier sur elle-même. On gagne toujours en s'adressant à ce qui est le plus facile dans l'homme, et qui est le goût du repos. Le goût de l'honneur, lui, ne va pas sans une terrible exigence envers soi-même et envers les autres. Cela est fatigant, bien sûr. Et un certain nombre de Français étaient fatigués d'avance en 1940. »
Faut-il rappeler que les textes ci-dessus étaient rédigés juste après août 44 et la Libération de Paris ? que la « voix chevrotante » qui avait, en 40, parlé en faveur de la lâcheté était celle de Pétain ?

Ce n'est pas l'essentiel. Le fond de la question est que l'abdication morale est au départ de toutes les politiques et de tous les moments réactionnaires, et que dans de telles conditions l'ordre de la rue, et les forces qui le font régner, sont la représentation actuelle de l'immonde.
Entendons-nous bien : ce ne sont pas seulement des porteurs d'uniforme qui sont les vecteurs de ces forces-là. Ce sont tous les « malins » de Camus. Un bourgeois doit des milliers d'euros à une jeune entreprise : il ne paie pas, car il joue au golf avec le président du tribunal local de commerce, et il sait que l'intégrité de ce magistrat ne saurait aller jusqu'à condamner un partenaire de ce noble sport. Un faraud s'est placé sur une liste municipale, et abuse de ses relations de conseiller pour faire faire aux frais de la commune les travaux qui avantagent son exploitation : le parti dont il a choisi l'étiquette veille sur lui. Un syndic de copropriété met dans sa poche les chèques d'assurance qu'il est censé transmettre : il a appris les lenteurs et impuissances de l'institution judiciaire. Un administrateur monte une cabale et désarçonne un chef de service ou un inspecteur trop honnête pour accepter ses tricheries : il connaît assez de monde pour être tranquille...
L'exemple vient de haut, si ce terme n'est pas de trop dans la hiérarchie politique. On a vu un président, de longue date professionnel en relations d'argent plus que douteuses, joindre à ses malpropretés et insolences de campagnes électorales le dévergondage d'une augmentation aussi énorme qu'injustifiable de ses émoluments officiels. On a vu un ancien député, ancien ministre, s'asseoir dos tourné à une juge d'instruction devant laquelle il était convoqué pour affaires mafieuses, tandis que ses avocats se chargeaient de régir l'entrevue à laquelle seul il n'aurait su résister. On a vu une énorme et honteuse fortune française tâcher de se faire belge pour payer moins d'impôts. On ne compte plus les détenteurs de capitaux qui fuient en Suisse et ailleurs pour abuser en paix de ce qu'ils ont volé, légalement ou non...
Pour ce monde de grands et petits « malins » vote un tas d'ignares et d'imbéciles qui ne profitent même pas — parfois tout le contraire — du système : ils admirent les ordures et deviennent des sales, pour avoir une voiture ou des vêtements qui les font "paraître". C'est ainsi que la pourriture descend profond dans ce qui pourrait être le peuple, et qui ressemble de plus en plus à la populace.
Finissons par un retour au pire. Il y a des gens qui, lorsqu'un jeune être est victime d'une crapulerie pour avoir osé être vrai, lui recommandent d'aller faire excuse à la crapule pour tenter d'atténuer sa punition : et les gens en cause déclarent que c'est ainsi qu'on devient "adulte". Camus disait ci-dessus cette « sagesse usée », on répètera ici pour conclure : ce n'est pas devenir adulte, c'est propager la facilité et le désabusement, prolonger la réunion des lâchetés en déshonneur. C'est ainsi qu'on prépare un nouveau tour d'élimination des Résistants, c'est-à-dire des justes et des meilleurs.
C'est ignoble.