On doit
certes répéter (cf. Actuel 63) qu'il est, encore aujourd'hui, incomparablement
plus facile d'entraîner des foules à la guerre et à tous les crimes que de les éveiller
à la puissance et aux splendeurs de la raison, de l'expérience. Mais il faut
aussi l'expliquer. Cet essai s'en tient à constater deux ordres de passion
collective, sans encore chercher les refoulements antiscientifiques dans leur
source essentielle.
Mahomet a
déclaré : "si quelqu'un dit que ce n'est pas Allah qui fait que le
soleil se lève à l'Orient et se couche à l'Occident, qu'il fasse se lever le
soleil à l'Ouest !"
Qu'on
se figure alors une foule déjà bien encadrée mentalement, et qu'on devine sa réaction
devant cette énorme stupidité : ce sera une approbation enthousiaste. Plus
terrible : "si quelqu'un dit" qu'à ce compte on peut remplacer
Allah par Jupiter, Apollon, Bouddha ou le dieu des chrétiens ou des juifs et
quelques autres suivant les régions et les temps du monde, et que cela
suffit à faire percevoir le honteux dérapage intellectuel de cette idiotie, au moins deux cas sont possibles
– si pareille audace se produit en pays
musulman, surtout en présence de Mahomet, un coup de sabre fera vivement rouler
à terre la tête qui a tenté de se dresser
– si au contraire cela arrive en assemblée
libre, le rire et la force ne seront pas du même côté.
Bien. Mais où y a-t-il des assemblées
libres ?
Après la
première explosion nucléaire chinoise, la propagande de Pékin déclarait que cet
énorme pet technique "prouv[ait] pleinement que, lorsque la pensée Mao Tsé-toung
est saisie par les masses, elle est porteuse d'une puissance
incomparable".
Lorsqu'on
prétend "prouver" quelque chose par des procédés de cette sorte, au
moins deux cas sont possibles
– si cela se passe en Chine ou en Albanie des
années 1970, on a des chances d'être reçu en bureaucratie du Parti
– si cela se produit en assemblée libre, la réception
ne sera pas la même.
Bien. Mais où y a-t-il des assemblées
libres ?
Par ailleurs,
si par exemple on justifie l'embargo contre Cuba ou l'invasion de Grenade ou de
l'Irak ou de l'Afghanistan etc. etc. par des "arguments" au fond très
semblables à ce qu'on vient de lire, cela pourra se passer aux Etats-Unis d'Amérique.
Ou en Europe.
Toute allusion à la Syrie, à l'Ukraine ou au Vénézuela
serait-elle ici déplacée ?
Un peu. En particulier, les foules d'Europe
aujourd'hui sont pour une part plus exigeantes, et les raffinements médiatiques
semblent d'abord faire une certaine différence, soit : il ne faut pas
noircir. Mais s'il y a progrès, ce n'est pas très ancien : parmi les
peuples les plus civilisés, des chefs comme Mussolini, Hitler, Franco et Pétain
ont en leur temps rencontré quelque succès. Il n'est pas certain que Berlusconi
ou Sarkozy vaillent beaucoup plus cher (liste non limitative). Mais enfin ne peut-on
admettre que le plus puant soit passé en certaines parties du monde, et considérer
au moins des apparences plus favorables ?
Non. Il faut voir plus profond.
En
France, où il y eut des Lumières et d'autres essais pour libérer le peuple des
chaînes, des prisons et des guerres religieuses, les régimes féodaux peu à peu
constitués en monarchie "de droit divin" ont fait régner les servages
et asservissements à l'ombre des églises chrétiennes pendant une bonne (!) dizaine
de siècles, soit une trentaine de générations. Cela signifie que dix séquences
de suite, comme par exemple père, fils et petit-fils ou mère, fille et
petite-fille, se sont fait imposer certains rites, sons, odeurs et lumières à
coups de carottes et de bâtons, de crimes inquisitoriaux et de fêtes encadrées.
D'où un sentiment ridicule mais très fort d'éternité : car la mémoire inconsciente
naturelle ne cherche guère au delà de quelques décennies, surtout en l'absence
d'enseignement historique — et certes ce n'est pas un hasard si le retour
violent du cléricalisme s'est accompagné, sous Rycokos Salnazi, de la
suppression de l'histoire dans les programmes de Terminales : donc pour
les élèves à l'âge de l'éveil politique et philosophique —.
Là-dessus, dans la mesure où la vie se fait
plus facile, par révolution, colonisation, exploitation d'autres peuples ou par
techniques, les Français les plus installés aujourd'hui retiennent volontiers
les carottes et les fêtes encadrées, et oublient de leur mieux les crimes et
les bâtons des religieux d'un côté, les révolutions de l'autre. Cet exemple très
clair peut assez faire voir comment une religion prétendue éternelle, fomentée
par les hasards de l'histoire du côté du Croissant Fertile, codifiée et enrobée
de légendes, poèmes, calendriers, faussetés franches et purs mensonges, a pu
servir de référence à l'abrutissement et à la soumission (en arabe :
islam) en France actuelle, donc loin en temps et espace : à l'aide de systèmes
de tortures en durées séculaires. Simplement, les souvenirs terrifiés des
horreurs clouées en chairs et nerfs sont refoulés, repoussés, enfouis en rares études
sans écho populaire — et menacés du fameux "délit de blasphème" !
L'humanité
a quelque quatre cents siècles. Les misérables vingt (et encore) de chrétienté
ou les treize d'Islam, par exemple, sont une ponctuation minable dans la
construction historique et ses aboutissements humains universels : en
particulier, l'opposition pathologique de la chrétienté au mieux-être a permis
d'éliminer des siècles durant, comme sorciers et sorcières, les êtres assez généreux
pour risquer leur vie en soignant leurs semblables — ce qu'ils ne savaient
faire qu'à partir des connaissances accumulées dans le camp combattu par les
Croisés. On a ainsi ajouté aux monstruosités inquisitoriales la propagation des
malheurs de pathologies microbiennes et physiologiques. De même, il ne faut pas
l'oublier, bien des sectes chrétiennes s'opposent encore aujourd'hui aux
vaccinations comme contraires aux "desseins de dieu", ces nuées
noires et remugles : suite indéniable, preuve nouvelle, des crimes accumulés
les siècles passés parmi les pestes.
Or qui se charge en France d'enseigner et
rappeler de telles réalités, et qui d'imposer le refoulement, cet "assassinat
de la mémoire" ? Qui est conscient de cette histoire ?
On tient là le principe de toute horreur religieuse :
au commencement est l'extrême violence, d'autant maladivement déchaînée qu'elle
prétend servir la plus noble cause. Elle se perpétue ensuite plus obscurément,
plus venimeusement, et plus efficacement à terme, par tous mensonges et par le
viol des âmes d'enfants : le catéchisme. Il faut relire à ce propos les
fureurs hystériques de Pie XI lorsqu'on l'encourageait à négocier avec
Mussolini, que le Vatican accabla pourtant de bénédictions, comme Hitler et
Franco : sur la question des écoles
pour les petits, posant comme indiscutable une citation plus ou moins
incertaine de ses textes de référence — "laissez venir à moi les petits
enfants" — ce pape, comme tous les autres, s'autorisait à décider de ce
qu'il faut enseigner d'abord ; et bien entendu ce serait un crime spécial,
un "blasphème", de ramener pareil "argument" à sa juste
valeur : nulle, car au nom de l'humanité dans son ensemble, que vaut un racontar établi par la terreur et le
massacre (et d'interprétation douteuse) ?
Pareillement dans les pays d'Islam, évidemment
il n'est pas question de laisser les enfants libres d'apprendre d'abord ce qui
est universellement admis. Mais c'est aussi un crime de remettre en cause
l'esclavage : il est avalisé par le Coran (et les Africains musulmans
trouvent cela très juste, oubliant les razzias qui ont dévasté leur
continent : voyez "Le génocide voilé", de
Tidiaye N'Diaye). Les chrétiens de 2014 en tirent aujourd'hui motif de supériorité,
et osent parler de "violence de l'islam" (mots du dernier
pape) : c'est drôle, quand on se souvient de la conférence de Valladolid
et du commerce triangulaire. Mais qui s'en souvient ?
On peut bien poursuivre un peu cette
oscillation entre les deux principales lignées de massacres monothéistes. Le
pire est sans doute la systématisation de l'esclavage africain, dont on
commence seulement à montrer le pan de responsabilité musulmane. Mais de façon au
fond peut-être plus complète, en tout cas plus proche de nous : le grand
Yacine Kateb faisait remarquer que, si la colonisation française en Algérie avait
été particulièrement présente treize décennies durant, ce sont treize siècles,
donc dix fois plus, qu'a duré la colonisation par l'Islam. Eh bien avisez-vous,
si vous l'osez, de poser alors quelques questions sur les composantes de
"l'identité algérienne", après la délimitation insensée des frontières
de nos voisins Outre-Méditerranée...
Vous serez mûrs ensuite pour parler d'autres
"identités". Par exemple vous pourrez vous renseigner sur la pénétration
du français dans les campagnes (où vivait la très large majorité de la
population) au cours des cinq derniers siècles — cf. édit de Villers-Cotterets
puis applications, longtemps avant et passablement après 1789 s'il vous faut
des dates-repères —. C'est la même leçon : la "nation" est,
d'accord, un indéniable progrès dans l'effort contre l'obscurantisme pur et
simple, mais elle ne s'en est pas moins construite dans la barbarie, comme
la "foi".
Dans ce mouvement des faits de tous temps, pour
un peu sonder ce qu'a représenté au cours des siècles et des millénaires
"l'assassinat de la mémoire", il faut aussi placer l'acharnement avec
lequel chaque nouvelle religion s'est efforcée de détruire les traces des
civilisations antérieures, et parfois bien supérieures. La bibliothèque de
Cordoue en est un des exemples des plus illustres : elle fut
successivement brûlée par les musulmans lors de leur invasion, puis par les chrétiens
lors de la Reconquista. Dans
les deux cas, bien entendu, au nom des textes sacrés respectifs : car (dirent
Tarik le conquérant puis le jésuite Jiménez) "si les livres sont conformes
à nos textes sacrés, ils sont inutiles ; s'ils n'y sont pas conformes, ils
sont impies ; il faut donc y mettre le feu"... Hélas ce n'est qu'un
tout petit cas de ces crimes : qui nous rendra d'abord au moins l'aveu de
l'incendie, ensuite jamais les trésors, de la bibliothèque d'Alexandrie ? Ceux-là
furent détruits, pour amoindrir la salutaire influence hellénistique, par des
moines chrétiens — qui en accusèrent ensuite les troupes de César, à quatre siècles
de distance —. Qui mesurera le degré de falsification et de destruction des
documents anciens par quoi on interdit encore aujourd'hui la recherche sérieuse
sur les soi-disant paroles de dieu, par quoi on autorise encore aujourd'hui les
affirmations-égarements de la "vérité catholique", remarquable
contradiction dans les termes ? Le livre de Christopher Hitchens est une
actualisation remarquable des rappels nécessaires à l'échelle de la Terre (God
is not great — traduction dans de
nombreuses langues) : mais l'auteur est finalement de ces conservateurs
voltairiens, irrités pour eux-mêmes des inhibitions dues aux religions,
cependant fort peu tentés par l'accès direct des êtres ordinaires — du peuple —
à la claire conscience des enchevêtrements de privilèges et de mensonges...
Sans
encore aborder le plus important, restant à la surface la plus visible, il faut
maintenant rappeler comment fonctionne entre citoyens la discussion sur ces
matières. L'histoire pourrait les éclairer : mais on n'enseigne pas
l'histoire. Les manipulations des programmes ministériels sont là (comme en
philosophie plus particulièrement ; mais en science aussi) pour ne délivrer
des titres de compétence qu'à ceux qui s'abaissent à se conformer : tous
les manuels de toutes les nations "prouvent" la justesse de leurs
causes. Comment alors se passe le débat ? A base de sentiments qui
s'opposent : d'un côté des gens aspirent à la liberté mais n'en voient pas
les moyens, de l'autre des brutes et abrutis acceptent la domination au jour le
jour, en purs primates, avec sa stabilité par toutes violences.
D'où l'avantage considérable des imbéciles. L'échange
suppose, chez l'être vraiment humain, l'écoute de l'autre, la prise en compte
de son ressentir et de ses mots, l'appel à la logique et à la réalité, ce qui
est énorme et fort pesant. Le crétin, lui, simplement s'entête : il répète,
il cite des litanies qu'on ne peut toujours faire éclater dans leur vanité
parce que l'irrespect n'est pas toujours possible : il a pour lui tout
ensemble les violences, avec leurs menaces, et sa fixité. Même s'il laisse
parler son interlocuteur, il offre à un auditoire les facilités de repères,
inamovibles et pour cause. Son triomphe lui est donc assuré dans des cas
innombrables. Les enquêteurs connaissent bien le problème : un coupable
(et même un non-coupable) intelligent et cultivé veut expliquer trop précisément,
il "se coupe" d'autant mieux ; une brute se contente de nier, ne
se fatigue pas à raisonner, et gagne souvent même devant des preuves matérielles
accablantes. En public c'est pire : tout ce qui fait penser est
"subtil" — accusation de perfidie qu'il n'est pas simple de
retourner. A l'opposé, toujours la bêtise se pose comme image de la
force : les foules, facilement revenues à la primitivité (la primativité)
sont loin d'y être insensibles.
Dans ces armes de la folie, du refus de
raisonner et de faire ou laisser raisonner, intervient de même certaine fausse tolérance,
également assurée des plus grands succès. Cela s'appelle par exemple "le
respect de toutes les convictions". En géométrie euclidienne, nul ne se
satisferait d'entendre affirmer que la somme des angles d'un triangle (au sens
simple, donc rectilignement délimité) fait n'importe quoi : car cela fait "un
angle plat" et rien d'autre. Ainsi, sur une matière dont les incidences ne
sont pas les plus importantes, on admet fort bien qu'il y ait un repère très généralement
admis : et sur des affaires de vie et mort, individuelles et sociales, on
prétend ne laisser la parole qu'à des sornettes variées, pour défendre les
privilèges en place ! Qui ose redire que la science et l'histoire n'ont
pas, et ne peuvent avoir, ce "respect de toutes les convictions" :
elles ont des vérités à établir et des erreurs à écarter ?
Il y a un autre "respect" dont on
finit par se méfier presque autant : c'est celui, tout humain, qui veut éviter
de heurter des sensibilités. C'est pour une part juste : même tactiquement,
si on dit trop vrai trop fort, on peut très bien bloquer, empêcher la compréhension
souhaitable et souhaitée. Mais dans un texte de fond comme celui-ci, il faut
laisser par exemple les catholiques s'arranger avec les crimes de leur
Eglise ; il faut dire haut et net ce que ces crimes n'ont jamais cessé ni
ne cessent d'être. Il n'y a d'ailleurs souvent pas trop à se gêner avec de tels
inhibés : non seulement ils vous catégorisent en marxiste ou anarchiste
parce qu'on reconnaît la nécessité de l'éducation et de l'instruction publiques
face au crime de l'école qu'ils osent dire "libre", mais ils le font en
vous marquant quelle répugnance, quel dégoût — qu'ils ne se gênent pas, eux,
pour étaler ! et c'est encore pire si on fait clairement état de sens
social, en affaires de travail, soins, presse... Ces gens, qui profitent
largement de toutes les conquêtes "laïques" (dont, soit dit en
passant, les relations sexuelles hors mariage et le divorce) laissent, eux, très
volontiers parler leurs rangements catégoriques, leurs moues et leurs distances
dédaigneuses, dès qu'on parle d'une autre tradition que leur chapelle...
De même encore, les religieux ont pour eux de
savoir triompher des malheurs des autres : c'est le principe de toutes les
"preuves" de "punition" et de "puissance"
divines. On connaît certaines excitations vulgaires devant des catastrophes de
toutes natures : mais cela devient sadique et nauséabond, c'est un abus
immonde des fonctionnements psychiques inconscients, que de faire se confondre
maladie et punition, d'enfoncer la plaie du sentiment de culpabilité, de la dépression
qui abat les affaiblis. Toutefois "ça marche", et les religieux ne se
font pas faute de s'en servir : telles sont les "consolations"
de la foi — une bonne part des conversions de l'Indonésie à l'islam repose sur
l'épouvantable éruption du Krakatoa —. De même, on ne compte plus les malédictions
de juifs et de chrétiens contre les pauvres "pécheurs", part très
importante de l'ambiance des monothéismes correspondants : malédictions sur
les enfants qui n'obéissent pas, malédictions sur des générations à n'en plus
finir (comme le crime du "peuple déicide"), et quoi sans fin !
Certes,
nul être sain ne peut admettre de se laisser emporter à de telles perversions,
et les facilités à comprendre l'identité humaine à l'échelle de la planète
devraient largement l'emporter si quelque raison parlait assez fort. Mais les
dirigeants savent faire : la fraternisation est efficacement interdite,
des tranchées de 14-18 à l'assassinat de JFK (« coupable » d'avoir
sollicité de ses compatriotes qu'ils voient les autres humains de la Terre, « même
» les Russes, comme surtout des humains...)
Que dire aujourd'hui, d'Abou Ghraib à Guantánamo,
des trafics d'héroïne afghane aux injections de Captagon, et des guerres de
religions (dites "de civilisations" !!!) aux propagandes d'Etats,
médiatiques et scolaires ?
Tout ce qui précède montre l'ancrage des crimes
contre l'humanité, d'après les pesanteurs de l'histoire. C'est mieux que de ne
rien voir, mais ce n'est pas assez expliquer. Car d'abord l'histoire n'est que
poursuite sauvage de l'évolution, ensuite l'humain n'est pas sorti de son
animalité : c'est quelque chose de le dégager, ce n'est pas le démonter.
Il faut pourtant bien qu'on y parvienne. Il n'y a, il est vrai, qu'un demi-siècle
qu'on en a les moyens — et que les progressistes n'en font rien, comme il a déjà
été dit.
Il faut répéter ce que répète l'éthologie. On répètera.
cf.
Actuel 65
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