Divers
textes depuis quelques semaines ont, ici (cf. Actuels 63 et 64) et ailleurs,
tenté d'indiquer des voies d'accès vers une connaissance désormais vitale, et plus
soigneusement voilée encore que les données historiques et politiques. On a tâché
de rédiger brièvement ce que représente la réinsertion de l'aventure humaine
dans la théorie de l'évolution, on a rappelé comment situer Renaissances et
Lumières, et au contraire les échecs religieux et nationalistes. Dans la mesure
où cela confronte à des faits massifs et essentiels, c'est déjà un peu explication :
mais partielle, surtout si on n'approfondit pas la question de l'animalité humaine.
On propose ici une analyse plus radicale.
Konrad
Lorenz disait : il faudra bien que les historiens le regardent en face, les
sauvageries de l'histoire ne font que reproduire celles de la "sélection
naturelle". Mais qui lit
Konrad Lorenz ?
En attendant, en violence extrême, promesses
folles, entretien des plus naïves illusions, obligation de suivre des règles de
la naissance à la mort en passant par les interdictions sexuelles, la religion
va plus profond et fort que la nation — celle-ci n'entretient officiellement
que les incitations agressives —. Mais dans les deux cas c'est occasion de vérifier
que, par rapport même à la sexualité, la pulsion agressive, la plus tard
venue de l'évolution, est reine et maîtresse (les théâtres classiques le rappellent de leur côté). La libération dite
laïque est donc bien relative, si on veut aller au fond — le terme seul de laïcité
porte clairement la marque de ses origines —. Voilà rappelé le contexte, autant
qu'on peut songer à résumer ces siècles de forfaits sans noircir trop de pages,
voilà la part d'explication sans guère parler d'éthologie : seulement pour
dire après bien d'autres, sans mentionner la science centrale en ces matières.
Il est temps de faire mesurer la puissance du nouvel outil.
Le fond éthologique
est très clair et très simple : dans l'héritage historico-évolutif
il y a primauté des affects contre l'effort de
rationalité,
car l'humain est primairement un animal, et le
plus "agressif" de tous
—
ceci ne peut être modifié que par éducation et instruction rationnelles et
scientifiques, c'est-à-dire par l'appel conscient et global à l'expérience dans
son universalité humaine, l'appel aux faits établis pour tous parmi tous les
humains —.
Plus
précisément, la passion (agressive)
pousse à se trouver de fausses "raisons" (par refoulements) :
sans jamais le percevoir, l'humain cherche à garder bonne conscience en se
livrant aux décharges agressives les plus folles et criminelles. Telle est la source de toutes les idéologies et
recherches "d'absolu" — alors que raison véritable, savoir et science
sont évidemment approximatifs —.
D'où la faute, insondable mais dictée par les refoulements les plus importants,
de la psychanalyse arrêtée aux premières tentatives de Freud, ou du 1984 d'Orwell : cette erreur voit la puissance
principale dans la sexualité, qui n'est rien à côté de l'omniprésente tendance à
s'étendre et se grandir, de toutes les manières et de toutes les illusions
possibles — tendance qui
malheureusement est dénommée jusqu'ici "agressivité" en science éthologique
—.
En illustrations actuelles parmi des
milliers : tout ce qui va du vœu d'immortalité aux déchaînements de
sauvageries chrétiennes et musulmanes, ou l'exemple effroyable d'Israël : car
on voit dans ce sinistre Etat ce dont est capable un ensemble de groupes
humains pourtant lui-même stigmatisé et martyrisé des millénaires durant, si à
son tour il dispose de la violence. Semblablement, les dictateurs africains
expriment, à l'échelle de l'histoire (dès avant la colonisation), que les caractéristiques
animales de l'humain ne dépendent nullement de la quantité de mélanine dans la
peau, ni de prétendus "caractères" vite anthropométrisés. Plus stupéfiant
encore, de faux chercheurs font mine de poser des questions sur les retours de
barbarie au vingtième siècle, et puis s'extasient par exemple devant les
logorrhées d'un Heidegger, en maintenant la censure sur l'évidence éthologique
et la constance des déchaînements agressifs...
Or c'est seulement si on revient à la seule définition
scientifiquement acceptable de notre espèce (à savoir : universellement
interféconde) qu'on est capable d'y intégrer scientifiquement ses traits de
comportement : avec en priorité cette tendance "agressive", plus
considérable chez elle que dans toutes les autres.
L'humain
n'est pas bon. L'humain n'est pas mauvais. L'humain n'est nullement "page
blanche" à la naissance. Tous les menteurs, tous les faux philosophes
parlent de ces affaires comme de tout et de n'importe quoi, pour dire tout et
n'importe quoi. L'expérience seule est capable de répondre aux désirs et aux
questions que le philosophe a métier de poser : l'éthologie, humaine et
notamment politique, est la pièce la plus importante aujourd'hui de l'immense
et resplendissante construction des disciplines scientifiques.
On peut alors
revenir en synthèse, à partir de cette indispensable explication, sur une
constante des procédés actuellement revivifiés de propagandes, religieuses
comme nationales : l'incitation à se ranger en communauté (réalisée surtout
en ressentir lors des cérémonies), le fond d'a grég ation, l'appel cavernicole aux pulsions de clan, grég aires, avec tout ce que cela comporte — l'illusion
d'une supériorité inévitablement, qu'elle se traduise en mots de foi, race,
classe ou nation par exemple : mais les variétés en sont infinies —. Par
quoi cela passe-t-il ?
Au plus moteur et au plus profond, il y a le vécu initial. Dès avant la naissance,
il y a "imprégnation" par des sons, des rythmes et mouvements, et même
(par le sang de la mère porteuse) d'odeurs. C'est à ce fond que, tout-petit
puis enfant et adolescent, un être se réfère d'autant plus complètement qu'il
n'en sait rien au niveau de la conscience, et on voit ce que cela veut dire au
niveau de la raison. De façon plus reconnue aujourd'hui et plus visible, plus
contrôlable aussi un jour, il y a les initiations et incitations des cérémonies
religieuses et nationales, jusque dans l'enseignement officiel sous des formes subtiles
ou brutales. Voilà ce que cerne le chapitre "Habit, Ritual and Magic" de l'ouvrage fondamental de Lorenz. Chez
tous les animaux assez évolués, dès leur "imprégnation" à leur milieu
autour de la naissance (notamment la reconnaissance des guides parentaux — chez
les anatidés déjà, et que dire chez les mammifères !), il y a des règles,
des éléments "éth"ologiques, qui encadrent l'être et lui donne son
"éth"ique :
– certes avec souvent un équilibre pour sa
subsistance élémentaire et sa préservation (ainsi une réaction de défense
contre "une fourrure menaçante" est une protection contre des prédateurs,
efficace et largement préparée génétiquement, ou comme on dit trop vite innée)
– certes avec des guides utiles (mais pas
simplement réalisables ni réalisés) pour son épanouissement sexuel
– mais surtout avec des tabous et
inhibitions d'une extrême puissance en affaires d'agressivité-expansivité-insertion-sociale : et cette extrême puissance est
indispensable si l'espèce doit survivre, car la pulsion correspondante est la plus énorme et de loin.
Voilà le fondement évolutif, incomparablement
plus ancien que l'histoire et donc encore plus complètement forgé en barbarie
et ignorance. Or c'est cela qui devient chez l'humain normes de comportement("eth"os).
On doit songer à mieux s'il faut mériter le nom de morale — et politique.
L'intériorisation par héritage, presque aussi
inconsciente dans notre espèce que dans les autres, ne peut être humainement
guidée que par une éducation et une instruction scientifiques, c'est-à-dire
faisant appel à ce qui est admissible et contrôlable par tous les membres de l'espèce dans toute l'expérience, dont certes l'expérience historique.
Or de par la sauvagerie des choses et aussi des religieux et des nationalistes,
c'est cette éducation primordiale qui est la plus férocement combattue, comme on l'a déjà explicité et rappelé notamment à
propos des catéchismes (rage des prêtres auxquels on tente d'ôter le viol des âmes
d'enfants — pas toujours des âmes seulement, soit, mais il faut bien dire
surtout l'essentiel).
Ainsi a-t-on abouti à l'absence du consensus
humain général : celui-ci est farouchement évité par tous les Etats et plus
encore par tous les clergés. C'est-à-dire que l'humanité est empêchée de
parvenir au stade où tout enfant jusqu'à l'âge de quinze ou seize ans considèrera
comme avéré seulement ce
que la science et l'histoire lui donneront pour vrai à l'échelle de toute la
planète et au nom de tous les humains.
Au
contraire, actuellement l'agressivité est déclenchée automatiquement, et réduit l'être à des automatismes, vis-à-vis
de ses semblables mêmes et surtout ceux qui présentent quelque différence
d'apparence, langage, coutumes, etc.
En somme il y a :
– d'un côté, toute la violence des excitations
et des tabous imposés par l'histoire et, plus volontairement, par les privilèges
— il n'a jamais existé de société de primates, humains ou non, sans dominants
c'est-à-dire sans privilégiés : or, chez les humains surtout, il y en a
qui savent bien ce qui est favorable à leur statut
– de l'autre côté, la tentative rationnelle.
On
conçoit alors la source des horreurs dont sont capables les brutes parmi nous,
et ce n'est pas toujours encourageant ; mais ce n'est pas entièrement négatif,
car ainsi par exemple à force de "Commission Européenne", même des téléspectateurs,
ces dévoiements de citoyens, finiront par se révolter du fait que les gens
de pouvoir, essentiellement êtres de compulsions, ne savent pas s'arrêter. Autrement dit : d'un côté les gens même non éduqués
ne peuvent supporter le crime indéfiniment, de l'autre côté les sadiques du
pouvoir s'y entêtent toujours plus.
Cette vision immense de l'héritage animal dans
le comportement de notre espèce, il n'y a que quelques éthologues pour en avoir
saisi des bribes — bien souvent une lâche prudence fait éviter aux autres de dépasser
les intimismes individuels et
individualistes —. Au contraire, il ne manque pas de sociologues et autres
paradeurs d'études dites humaines pour de leur mieux voiler l'essentiel :
qu'on aille rire un peu, après avoir relu Lorenz dans le chapitre cité, devant
les contorsions, cabrioles et verbiages d'un Bourdieu sur "l'habitus"
dans la "doxa"... Souvent on préfère de faux mystères, alors qu'il
pourrait être bien simple et bien fort de faire ressentir la grandeur et la
portée du schéma vrai : insérer l'humain dans les ancrages inconscients réels
pour toutes les espèces assez évoluées — ancrages non seulement profonds, mais
constamment renouvelés : les prêtres n'ont jamais assez de la fréquentation
de leurs messes, ni les nationaux de brandir leur drapeau.
Donc, l'humanité
court à sa perte si, au lieu de science, elle fait référence aux religions,
monothéistes ou dialectiques entre autres. Ce n'est pas par des incantations et
jeux verbaux qu'on répond aux besoins de guérir les maladies physiologiques ou
politiques : voilà la prise de conscience la plus nécessaire. Cependant
les réflexes de primates poussent à l'acceptation aveugle des dominants, et
l'autoritarisme est encore très vivace ("vous ne sauriez penser mieux
que" Marx, Moïse, Jésus, Bouddha ou Mahomet) qui fait taire les larges
majorités des foules dans les larges majorités des cas. Sauf...
... sauf si les misères et férocités d'un côté,
les gens de savoir de l'autre, forcent enfin à quelque prise de conscience. Cela
ne demande ensuite qu'à se développer, s'universaliser, se radicaliser. Les
progressistes sont là pour y aider.
Annexe
Sans trop allonger ces lignes, on peut faire vivre
tout cela et en faire mesurer les difficultés sur deux cas déjà extraordinaires
de rationalité : Einstein et Langevin.
Le premier, le
plus grand physicien de l'histoire, était plus que méfiant de la
politique : son temps, avec les totalitarismes, et son être, avec ses
qualités et exigences d'intelligence et de cohérence, lui en donnaient de
fortes raisons. En outre, comme beaucoup de ses amis, il ne croyait guère à la
possibilité de fonder scientifiquement la morale : la complexité des
affaires humaines et l'intensité des sentiments et désirs lui semblaient hors
de portée de toute logique. Bien qu'indéfiniment dévoué à toutes les causes qui
lui semblaient justes, il soupirait de quitter les zones de cosmos où les
dangers de chair et sang n'avaient pas de place. Il a dit et écrit ce qu'il
fallait sur le mensonge dialectique : mais il ne disposait pas de l'éthologie ;
il a renoncé à s'allier ; il a abandonné l'espoir politique.
Langevin, lui,
ne pouvait supporter de rester à l'écart de l'engagement directement humain. Il
a osé déclarer, dans des circonstances bien dangereuses (procès des députés
communistes, mars 1940) : « L'organisation sociale actuelle fait
que les nouveaux moyens de production, au lieu d'améliorer le bien-être de
tous, ne font qu'exagérer les inégalités en augmentant sans limites la richesse
et la puissance des uns, en créant pour les autres le chômage et la misère.
L'absence de justice internationale fait que l'accroissement illimité de nos
moyens de destruction se traduit par un déchaînement de violence, qui met en
danger l'avenir de notre espèce et de sa civilisation. » Quelle justesse ! Or le même homme se croyait
obligé d'adhérer au Parti Communiste, et pire que cela (même si ce n'est pas
indépendant) : Langevin a cru de son devoir d'adhérer à la propagande qui
affirmait l'utilité de la dialectique jusque dans la physique... C'était nier
sa propre œuvre, et les témoignages d'Einstein. Quelles fausses raisons à
cela ?
1) Langevin, contrairement à Einstein, a en partie
perdu de vue le principe réaliste à la base de la science : on oublie
aujourd'hui la violence du choc qu'a été la mise à bas du cadre spatio-temporel
par la physique quantique ; presque tout le monde y a vu "la fin de
la physique" (Einstein), et il n'a été que trop facile aux mystiques et
techniciens (Bohr et von Neumann) d'en "déduire" la soumission
abjecte aux pouvoirs, en idéologie comme en industries de production et
d'armements. La préface de Langevin à la sotte déviance de London et Bauer sur
la "théorie de la mesure" en mécanique quantique est une véritable
capitulation, avec les parapsychologismes sur le rôle de
"l'observateur". En outre, le fatras dialectique autorisait toutes
les tricheries, et en particulier de fausses sorties faciles aux savants perdus
d'angoisse, à qui on inculquait que c'était de la philosophie. Ça ne s'est pas
arrêté en ce temps-là : des saligauds comme Garaudy et des vanités murées
comme Althusser et sa clique, tous les intellectuels de l'abaissement dans les
PC n'ont cessé de prétendre enseigner une "philosophie" à l'envers
des sciences et l'histoire.
2) A la même époque (années 1920 puis 1930, pleine
bagarre autour du "Front popu" et contre la pénétration des fascismes
en Europe)
– la vie en
France bouillonnait de luttes politiques
– Langevin était
environné de gens engagés : les Joliot-Curie comme les Perrin — sa fille Hélène
avait épousé le physicien Jacques Solomon qui, avec tant d'autres, cherchait
des moyens d'action dans le Parti ; fondateur de la Résistance
universitaire sous l'Occupation, Solomon est mort fusillé au mont Valérien —
– ils répétaient
(pas Einstein, mais il avait dû fuir en Belgique, en France, et finalement aux
Etats-Unis) que la dialectique était la référence du progrès.
Sous de telles pressions, comment ne pas se laisser
emporter ? Il y a un moment où on ne sait plus rester seul, même si on
croit aux plus fortes exigences de la conscience. Langevin était effaré des
remises en cause, bonnes et mauvaises, dans sa science même. Il n'avait pas
l'appui de l'éthologie. Il avait contre lui l'appel de tous les siens. Il s'est
engagé : avec des gens merveilleux — et avec des politicards traîtres — ;
avec sa fille et son gendre — et du côté de Thorez (enfui en URSS) —...
Que ceux qui pensent
dominer tous ces problèmes lui jettent la pierre, et aussi à Einstein, s'ils
veulent. Mais plutôt, qu'on se mêle enfin un peu de comprendre comment on peut
se perdre, et ce que veut dire la science, à l'opposé de toutes les "technosciences",
et de toutes les fausses Encyclopédies. Qu'on revienne à la première, la grande
Encyclopédie, celle de Diderot et d'Alembert, dont le message est plus présent
et plus fort aujourd'hui que jamais : la science est toutes les
sciences ou elle n'est pas. Or cette
science vraie resplendit aujourd'hui de puissances énormément accrues,
enrichies, d'esprit et de raison.
Il n'y a donc qu'une réponse à faire
aujourd'hui au refus d'engagement einsteinien comme aux erreurs de
Langevin : l'éthologie politique est là, et il n'y a pas cent pages de
Lorenz à lire pour être convaincu de sa justesse et de sa puissance. Le plus
important est sans doute que, d'après l'éthologie, c'est un crime contre
l'humanité de confronter de force les enfants, à un âge où ils n'ont ni choix
ni repères, à des croyances et racontars qui n'ont pas reçu le sceau de vérité universelle :
donc le sceau de toute l'humanité, parmi tous les faits connus, avec les inévitables
approximations qu'exige le vrai savoir.
Les religieux,
les plus traditionnels et les dialecticiens, comme les nationalistes, ne
voudront pas de sitôt en entendre parler. Lorsque se fera l'inéluctable
diffusion des connaissances nouvelles et irréversibles, ils lutteront pied à
pied pour préserver leur rôle de clercs privilégiés, pour l'égarement, la
tricherie et le crime. Puissent les progressistes ne pas cesser d'en éliminer
le plus possible, par tous moyens efficaces à tous termes.
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