A-t-on
quelque excuse à oublier de répéter le plus évident ? Voici quelques
semaines, Actuel 68 cherchait à
montrer les mécanismes éthologiques qui conduisent aux guerres de toutes
sortes : et il n'y est dit nulle part que les hiérarchies les plus
fortes et les plus exemplaires des conflits humains sont dans les armées et les
Eglises, chez les prêtres et chez les guerriers. L'animale fierté de parade et de situation dans
la horde, puis les débauches d'agressivité permises par la force de groupes
disciplinés, sont revendiquées avec une ferveur particulière sous les uniformes
et par les membres de ces institutions : ces troupes et troupeaux qui bien
sûr ne manquent pas de protester d'être humbles serviteurs et ouailles.
Ainsi les ancêtres espagnols des nazis, en Amérique
fraîchement ouverte à leur syphilisation, brûlaient vifs, plus ou moins sadiquement
et lentement, les indigènes par groupes de treize afin d'honorer Leur
Seigneur Christ et ses douze apôtres : ce qu'on ne rappelle peut-être pas tous les dimanches aux messes,
mais qui n'est pas le moindre fondement des succès de l'Occident chrétien.
Ce sont justement deux relectures — Howard Zinn
et sa courageuse tentative pour une "Histoire populaire des
Etats-Unis", puis de là le retour au texte fondateur de Las Casas sur la
"Destruction des Indes" — qui ont fait revenir ici à l'horreur
centrale de l'aventure humaine. Ce qui suit n'est pas méchant reproche, mais incitation
à de nouveaux courages : on va tenter d'expliquer que Zinn, à partir de
l'intention plus que louable de réveiller les mémoires, a tendance à idéaliser
les opprimés — en particulier il veut voir, dans les civilisations anéanties, de
moindres tendances à la cruauté que chez les trop fameux conquérants et
bourreaux —. C'est compréhensible et généreux, mais ce genre d'ignorance éthologique
fait beaucoup de dégât aux plus justes causes : voilà ce qu'on veut préciser
ici.
Les gens
qu'on traite aujourd'hui de précolombiens, c'est-à-dire ceux qui vivaient de
l'autre côté de l'Atlantique avant Christophe Colomb et les débarquements de
sauvages chrétiens, étaient aussi humains, c'est-à-dire d'abord inhumains, que
les plus fraîchement arrivés. Par simple exemple, mais qui en dit long si on réfléchit
à ce que cela représente d'élaboration de pulsions animales dans ces zones comme
partout : c'était une coutume
répandue d'arracher le cœur de très jeunes filles encore vivantes, choisies
parmi les plus jolies, avant de les écorcher pour que les prêtres préposés à ce
charmant sacrifice dansent sous leur dépouille et permettent ainsi (juraient-ils)
les renouveaux saisonniers. C'était donc, on le voit, pour le bien et au
service de la communauté : nul n'imaginerait que le printemps se fasse en
quelque contrée que ce soit sans ces doux rites.
Toutefois, il serait éthologiquement
souhaitable que quelques personnes se figurent les tragédies que devaient vivre
de telles jeunes filles et leurs sœurs, surtout les plus séduisantes, s'il
arrivait qu'elles soient confrontées au choix, soit de laisser les bons prêtres
les utiliser pour leur plaisir, soit d'accepter d'être élues pour le massacre.
Certes et que cela soit bien dit, ni les mésaventures des malheureuses bâtardes
comme les filles de Galilée, ni les contes et leçons d'histoire de Voltaire entre
environ cent mille millions d'exemples, ne sauraient conduire à quelque
rapprochement que ce soit avec les procédés par lesquels s'est ancrée la
catholicité : et d'un autre côté ce n'est là sans doute que questions sans
intérêt, pour les profonds savants qui expliquent tout de l'histoire par les
confrontations de classes dues aux nécessités de la production.
Bien
entendu, il n'a pas manqué d'étudiants attentifs aux sociétés anciennes des
actuelles Amériques. Mais trop souvent, malgré les faits et les documents de
papier ou de pierre, ils ont souligné l'absence fréquente de propriété privée et
déclaré que, si les Européens imitaient la sagesse des anciens habitants de ces
régions, ils connaîtraient la paix et la prospérité perpétuelles : Zinn le
rappelle avec tant de complaisance qu'il est bien difficile ensuite de ne pas imaginer
des tableaux dénués de guerres, ou du moins avec peu de pertes humaines, dans
l'histoire en cause. Or il est éthologiquement parfaitement évident, et
toutes les archéologies ne manquent pas d'attester, que les guerres sévissaient
là-bas comme ailleurs, et que
comme ailleurs elles ne s'arrêtaient ou n'avaient quelque limite parfois, que quand une extinction complète des populations
locales par elles-mêmes était assez menaçante, ou se réalisait. Les leçons de la Grèce antique et de ses entours
(comme de la totalité planétaire) ne sont guère différentes. Bref et pour la
millième fois, les capacités à s'entretuer et produire n'étaient pas les mêmes
partout, mais partout, à partir de l'agressivité naturelle, pour faire hiérarchie
les dominants ont fait guerre autant qu'ils ont pu, et c'est cela qui fait
le fond de toute histoire — plus
terrifiant et plus actuel que jamais. Il est plus que plus que temps d'en
prendre conscience.
Donc : non, à vous Zinn et à d'autres, d'intentions
plus ou moins bonnes, il n'y a pas de bons sauvages, et ce qu'on nomme civilisation jusqu'ici ne vaut
mieux que dans des Déclarations de droits aussi ronflantes qu'encore peu
appliquées, servant bien souvent de devantures, d'hypocrisies et de prétextes à
des barbaries plus féroces que tout ce que le passé a fait connaître — parce
que l'essentiel agressif de l'humain n'est pas saisi, puis éduqué comme on
en a pourtant enfin les moyens.
L'issue,
claire et incontestable, avec tout ce qu'elle demande de courage immédiat et à
terme, c'est la prise de conscience et l'action qu'elle entraîne si elle est
assez nette et complète. Il est vrai que les mots dont ils n'ont pas l'habitude
font ricaner les ignares et les stupides, or éthologie n'est pas un mot à la
mode, et il ne s'agit que de science du comportement (ethos en grec) : très curieusement pourtant, il en
résulte que l'éthologie politique est science du comportement politique —
mouvements de foules dont guerres, luttes sociales, capacités à répondre aux
propagandes des religions comme des media, votes et autres : bref une
paille.
Qu'est-ce que cela représente, vis-à-vis de fêtes
qualifiées d'éternelles et en fait seulement instituées par des siècles de
violence oubliée, comme Noël ou Pâques, les Aïds et plus généralement les
bonheurs en cérémonies de toutes les fois, de toutes les liturgies, de tous les
Verbes de pouvoir, de tous les textes sacrés et consacrés en catéchismes et dialectiques ?
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