La
stupidité des expressions en termes de lutte "des classes" prend désormais
des proportions angoissantes. Car d'un côté on entend clamer, à juste titre, l'urgence
d'agir pour éviter à l'humanité de courir à sa perte ; et de l'autre côté
demeure inamovible le refus du renouvellement dans la compréhension. Or sans cette base d'accord rien ne peut être mené de façon assez
large et puissante, dans la réunion d'assez de gens, assez de forces.
En particulier, l'écrasement des élans démocratiques
par les nouvelles technologies
est un cas remarquable de ce que les pouvoirs financiers parviennent à faire,
tandis que leurs victimes restent désarmées dans leur ignorance. Ainsi, l'un
des résultats de la barbarie par chômage imposé est que des masses de gens
peuvent être recrutés en "conseillers" techniques ou commerciaux, et
gagnent leur vie en infectant les autres de processus d'arnaques et harcèlements
— par exemple au service des banques et assurances ou des "fournisseurs
d'accès", quand ce n'est pas en participant à des escroqueries avec abus
de faiblesse comme on en voit de plus en plus fréquemment —. Est-il facile pour
de tels "travailleurs", qui sont légion et en croissance, de s'intégrer
à une "classe" ouvrière ? C'est en face d'eux, non à leurs côtés,
qu'il y a encore des gens de contribution sociale incontestablement positive : mais de moins en moins. En tout alors, les citoyens sont-ils de plus en
plus solidaires, soudés en classes ? Où y a-t-il solidarité, même ouvrière,
aujourd'hui ? quand voit-on manifester ensemble les ouvriers indiens et
chinois, voire en France seulement algériens et français ?
De
toujours mais de plus en plus en ce moment, la constitution en classe est le
fait de dominants.
L'extraordinaire poussée révolutionnaire venue de deux siècles n'a pas été
utilisée par les progressistes comme elle aurait dû l'être : en partie par
ignorance inévitable ("notre révolution est très mauvaise", disait Lénine,
"mais la première machine à vapeur l'était aussi"), en partie à
cause de l'atroce incohérence due à la rétrovolution hegelienne, à l'encontre
de la diffusion resplendissante de savoir qu'avaient voulue et largement réussie
les Encyclopédistes. Les débuts de
constitution d'un prolétariat n'ont pu résister aux forces omniprésentes de
volonté de pouvoir, d'agressivité. On l'a montré ici et ailleurs mille fois, en
particulier à propos du choix primitif, primatif, de horde qui a permis la
guerre mondiale en 1914 au profit des brutes, alors que l'intérêt de tous les
peuples, de l'humanité entière, proclamait les nécessités de la paix.
La reconstitution en Russie d'un système de
pouvoir aussi féroce que le tsarisme n'est qu'une des conséquences de cette
ignorance des priorités éthologiques. Non seulement l'agrégation en classe
est surtout vraie chez les dominants, mais elle se manifeste plus nettement
chez ceux que le système sert, ou au
moins ne dessert pas trop clairement. La sinistre "réhabilitation du
travail manuel" venue du giscardisme a eu pour écho direct les hommages à "la
France qui travaille" du sarkozysme aux Halles de Rungis : il s'agit
de pousser toujours à la considération pour des gens insérés dans le système
de fric et qui y trouvent leur compte, à l'opposé des valeurs
incomparablement plus humaines de culture et travail véritables. On entend bien
des Français se réjouir d'être chauffés au fuel-pas-cher, "grâce" à
ce qu'on fait aux pauvres dans les pays où il y a beaucoup de réserves de pétrole.
Dans une certaine mesure, ce ne sont que retombées populacières de ce que le même
sinistre a appelé "la France que j'aime", à savoir la racaille de
parvenus mafieux, chaleureusement accueillis par la finance parce que l'argent
sale lui est une ressource centrale.
La ligne de force des dominants se place en
tout et partout, mais s'amplifie : voici une ou deux générations, l'écrémage
des meilleurs étudiants se faisait en faveur des écoles d'ingénieurs, qui pouvaient
se targuer de contribution au progrès — car les 2 ou 3 % d'entrés en maternelle
sélectionnés en vue des "prépas scientifiques" se référaient à des
valeurs compatibles avec quelque démocratie —. Aujourd'hui, les sélectionnés équivalents
se précipitent en "écoles de commerce", contradiction dans les
termes : écoles et pancarte de savoir, commerce et exploitation d'ignorance,
grossier savoir-faire. De même contre les "intellos" (en fait contre
le savoir, cœur d'esprit démocratique), les citoyens enrichis de "classes
moyennes" crient fort, et revendiquent la classique revanche des médiocres
qu'est le sens supposé "pratique", "l'esprit" d'entreprise :
en réalité, ils sentent qu'ils ne sont pas bons à grand'chose hors système de
fric, et ils ne veulent pas entendre parler (comme bien des ouvriers) d'un
essentiel — à savoir que le sens civique, le sens humain véritable, exige qu'on
accepte d'apprendre un peu
d'histoire et des très grands courants des sciences, si on veut être capable de
juger de ce que sont et font nos politicards et leurs nervis matraqueurs ou médiateurs.
Ce n'est pourtant une insulte à personne que de
demander aujourd'hui à un artisan de se rappeler un peu ce qu'a représenté pour
l'instruction populaire la Convention en 1793, et au contraire l'enseignement
par les Congrégations catholiques. Si ledit artisan prend cela comme une injure,
ce n'est pas seulement de sa faute, il est vrai : il a certainement été
formaté par l'Eglise dans ce but. Mais qu'il n'en fasse pas reproche à ceux qui
savent de l'histoire. Qu'il lui arrive parfois plutôt de respecter le
savoir, typique de l'humain, au
lieu du simple statut social et du pouvoir des gros richards puants : ces
sadiques ont régulièrement envoyé ses ancêtres au massacre militaire et ensuite,
pour conserver assez d'esclaves, ils ont recruté en masse d'autres malheureux —
ces nouvelles victimes qu'ils lui apprennent à haïr sous le nom d'immigrés en
vagues successives, Italiens, Polonais, ensuite venus de toujours plus loin,
toujours plus pauvres —. Qu'il lui arrive parfois de respecter Mohammed au lieu
de se moquer de lui pour se sentir du clan dominant, et qu'il crache au
contraire à la face des "patrons de patrons", héritiers des criminels
contre l'humanité de l'UIMM, assoiffés de sueur et de sang tout au long des
temps initiaux de la révolution industrielle, et responsables des guerres monstrueuses
qui ont éliminé tant de ses ancêtres comme de ceux de Mohammed. Ce n'est une
insulte à personne de demander qu'on comprenne un peu, enfin, quelque chose à
la politique et à l'histoire.
C'est
plus difficile, certes, que de se laisser entraîner dans l'infamie animale et
grégaire. On devient facilement maire et corrompu, à Hayange et ailleurs, en
passant de Lutte ouvrière à
l'afFront nazional : mais on ne quitte pas pour autant les zones d'incompréhension,
on s'y enfonce seulement davantage. De même, des sociologues souvent
respectables par leur travail se sont donné voici trente ans le ridicule
d'aller applaudir un Georges Marchais, type du parvenu traître et infect :
et ils s'étonnent aujourd'hui, dans un bus de transport ouvrier, de n'obtenir
aucun écho parmi les représentants de la "classe" qu'ils ont cru défendre
toute leur vie. C'est cruel. C'est bien fait : le parti auquel ils ont adhéré
n'a cessé de trahir les ouvriers et de conduire à la disparition définitive de
ce qui aurait dû être constitué en classe — alors que les marxistes comptaient sur la Parole sacrée, prophétisant de
par l'histoire la venue par grâce, toute seule, du Messie prolétarien.
De même encore, il existe bien des médecins
(surtout généralistes, qui ont refusé le carriérisme) et bien des enseignants
(surtout instituteurs et c'est au fond pareil) qui sont prêts à soigner et éduquer
des ouvriers et des musulmans : les soins du corps et de l'âme recrutent
souvent dans les mêmes qualités humaines. Ces médecins, ces instituteurs, ne
sont disposés pour autant ni à subir la dictature dialectique du Politburo supposé
représentant ouvrier, ni à se convertir à l'islam d'une autre sorte de
fanatiques supposés représentants musulmans. C'est de tous les opprimés, de
tous les exploités, conscients et inconscients, qu'il faut faire force contre
les immoraux, les inhumains du pouvoir. Diderot, Voltaire, Rousseau n'étaient pas de "classes" délimitées,
et si même Diderot était loin d'assez d'ouverture humaine et de distance aux préjugés
effroyables de son temps, du moins a-t-il su mener l'essentiel : diffuser
non une horreur de Verbe, une
dialectique, une nouvelle source de tricheries de pouvoir, mais le savoir,
le plus possible.
Nous avons à refaire le même boulot. Pour trouver l'équilibre et la paix, il faut la
compréhension par la connaissance, historique et scientifique, il faut sans
cesse refuser l'inhumanité du pouvoir, il faut comprendre, malgré les
perversions et gadgets de notre temps, comment l'humain peut dépasser son héritage
de pulsions animales. Seuls les humains peuvent accéder au savoir, et il faut le
savoir pour tous : d'autant que parmi les nouvelles technologies, les plus terribles sont celles de manipulation-fanatisation
des foules — media, infiltrations, espionnages, gangs installés en armées par
CIA-MI6 — où la connaissance éthologique joue le rôle qu'on a tant dit ici même.
Mais qui y aura songé en lisant ce titre-ci ?
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