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Ce blog comporte quatre parties :

– les articles simplement actuels

– des textes de fond, insistant sur le point de vue expressément politique adopté partout ici

– des rédactions plus anciennes par exemple à propos de simples citoyens d’un côté, de potentats de l’autre, aux Etats-Unis

– des échanges avec correspondants qui seraient trop restreints à l'intérieur des cases prévues.


dimanche 21 juin 2015

Act88 Ethopathologie de la psychanalyse


Ce travail-ci est une simple remarque à propos surtout de la psychanalyse actuelle, mais aussi à propos du livre bouleversant du Dr. Marie Pezé, "Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés" (éditions Pearson éducation France, 2008).
Le récent "Fond 9" de ce blog, sur Lorenz, a lui aussi demandé qu'on passe par-dessus de fervents sentiments d'admiration pour s'en prendre, au nom d'un essentiel humain, à des erreurs de fondation et d'orientation. La démarche critique est encore plus difficile ici, sur un autre fond psychanalytique. Car certains paris de Lorenz, politiquement intolérables, sont faciles à condamner : au contraire, on est amené à bien plus de précautions concernant Madame Pezé, car son regard sur ses patients est resplendissant de chaleur humaine et son dévouement mérite plus qu'éloges et reconnaissance — ce dont sa hiérarchie par exemple n'a guère été généreuse —.
Seulement il y a plus important que des sentiments d'admiration : c'est que l'absence d'une certaine part vitale de science fait en ce moment un mal terrible à tous ceux qui luttent humainement et que, quitte à encourir pendant quelque temps une incompréhension même grave et même de ceux dont on se sent le plus proche, le service à long terme de vérité, liberté, humanité doit rester strictement prioritaire.

1. Darwin, Freud, Lorenz
Ecrire comme on le fait ici, c'est reconnaître qu'on a renoncé à faire comprendre leur niveau d'absurdité à bien des sociologues et autres spécialistes de choses dites sciences humaines quand, tout en se réclamant de l'expérience, ils prétendent se fonder sur des blablablas de pseudo-philosophes et s'arrêtent à un empirisme en s'aveuglant sur ce qui va nous occuper : l'histoire replacée dans l'évolution et donc l'animalité de fond encore trop présente dans le comportement et le ressentir humains. Grâce à Freud, l'aveuglement est moins dramatique en psychanalyse. Mais tout de même, de façon inévitable et comme on va le rappeler, l'aventure freudienne est partie d'un tremplin dévié, et il faut d'abord une vue historique pour situer l'ampleur et la gravité du débat.
Un des immenses mérites de Lorenz est d'avoir placé son œuvre, et le travail éthologique en général, dans la lignée de Darwin et de Freud, c'est-à-dire dans la compréhension de l'évolution biologique globale :
les développements d'organes et de comportements sont strictement inséparables, et seule l'éthologie a su l'éclairer suffisamment.
Darwin avait déjà aperçu cela, et ainsi rendu aberrante une trop grande séparation de l'homme et de l'animal. Freud à son tour était certes imprégné de Darwin (qu'on pense au minimum à Totem et tabou), mais sa découverte de l'inconscient et du "refoulement" s'est faite comme il était inévitable qu'elle se fasse : là où le "refoulement" n'était pas trop actif. Or
des quatre grands moteurs du comportement,
les deux plus anciens en termes évolutifs, la faim et la préservation,
sont relativement peu sociaux et donc moins sujets aux inhibitions sociales,
alors que les plus récents, la sexualité et surtout "l'agressivité" (l'expansivité)
ne se développent qu'à coups de réorientations et refoulements,
dans des aléas historiques que rien de rationnel n'a encore maîtrisé.
Freud ne pouvait donc pas découvrir les fonctionnements de l'inconscient sur l'essentiel social, parce que l'essentiel social se passe au niveau de ce qui est  le plus actif, constant et omniprésent, donc le plus réorienté ("refoulé") dans toute telle relation : la tendance à l'expansion parmi les semblables (vite déclencheur d'agressivité), et non pas la sexualité. Pour caricaturer : Freud a inévitablement découvert et étudié le "refoulement" là où c'était accessible en son temps, c'est-à-dire en matière sexuelle, mais par conséquent là où, si violent que ce refoulement puisse être, il est faible ou négligeable à côté de ce qui se passe tout le temps et partout : les poussées expansives.
De là les fautes sur "l'instinct de mort" et autres déviations, au lieu de la prise en compte de "l'agressivité", incomparablement plus neutre, féconde et éducable ; de là le pessimisme et les échecs de Freud et du freudisme.
Dont des pans considérables de la psychanalyse actuelle.
Ce n'est pas une mince affaire, mais il est souhaitable qu'avant de hausser les épaules et de refuser de lire ce qui suit, comme presque à chaque fois que se fait jour une évidence non encore tamponnée grégairement, quelques personnes s'informent sur les travaux de Lorenz dont revoici une vue particulièrement géniale, due à Lorenz lui-même, et que tous ceux qui ont lu assez d'éthologie ne peuvent qu'approuver :
[L'évolution est un fait] : auréolé d'une puissance convaincante absolue, d'une beauté enchanteresse, d'une grandeur qui bouleverse d'admiration. Quiconque le saisit ne risque pas d'être écœuré par la reconnaissance, due à Darwin, que nous partageons avec les animaux une commune origine, ni par la découverte, due à Freud, que nous sommes encore menés par les instincts de nos ancêtres préhumains. Au contraire, ce savoir inspire de nouveaux sentiments de respect pour les fonctions de raison et de responsabilité morale survenues au monde avec l'humain et qui, pourvu que cet humain ne s'acharne pas à la dénégation aveugle et arrogante de son héritage animal, lui donnent le pouvoir de le contrôler.
(K. Lorenz, Sur l'agressivité, ch. XII, d'après la traduction anglaise de M. Latzke, éd. Methuen, Londres 1970 — p. 193)

2. On ne peut éviter le politique en psychanalyse
Le livre du Dr. Pezé (référence en introduction ci-dessus ; les numéros de pages indiqués ci-après renvoient à cette édition) parle de souffrance au travail, et précise les effets notamment psychiques des conditions actuelles de ce travail. Il ne s'agit pas de refaire ici le tableau des crimes contre l'humanité qui aboutissent à surmener et pervertir les travailleurs alors que jamais il n'a été aussi facile de produire : mais on peut au moins redire d'une phrase que
le problème actuel des psychotiques portés au pouvoir par la barbarie historique
est d'écarter de la contribution sociale positive le plus de gens possible
pour diviser les êtres et les peuples et ainsi perpétuer une domination insensée.
Il est donc inadmissible de se contenter de parler de "système" chaque fois qu'on rencontre le couple mortel pervers/victime, et d'ainsi manquer l'explication à la fois globale et locale qui restitue le rôle de l'agressivité-surdéveloppée-en-perversion
– dans l'effet politique planétaire (automatisation-chômage-dévoiements-commerciaux, nationalement ; bellicisme morbide, internationalement)
– aussi bien que dans le psychisme individuel du bourreau et de la victime.

Est-ce la sexualité qui fait que le bureau de Madame Pezé a été changé de lieu vingt-sept fois (p. 13) pour tenter de l'empêcher d'exercer son métier — ou l'agressivité contre une "femme à abattre" (il y en a d'autres dans l'actualité) est-elle une explication au moins envisageable ?
Est-ce la sexualité qui reproduit, au niveau des dirigeants et cheffaillons d'entreprise, l'art des monstres politiques à diviser par la brutalité — ou les évidences de cultures et déchaînements agressifs méritent-elles d'être plus directement considérées ?
Est-ce la sexualité qui "virilise" par l'attribution de gadgets directoriaux (voiture de fonction ou téléphone satellitaire) — ou le goût de la domination issu de l'agressivité des primates vaut-il enfin d'être considéré dans sa simple et illuminante puissance explicative ?
Est-ce la sexualité qui peut donner l'extraordinaire tableau (pp. 55-56) d'agressions contre les sub/ordonnés, tableau complété ensuite sur plusieurs pages (manques éclatants au savoir-vivre élémentaire, contrôles en harcèlements, étalage de jouissance à imposer des tâches impossibles), sans que le mot d'agression ou ses dérivés soient écrits une seule fois — ou en ces affaires d'agressions est-il permis de mentionner l'agressivité ?

C'est comme ça tout au long de ce (très beau) livre. On est ainsi gratifié d'un "second corps", le corps "érotique" (pp. 48, 129, 183) comme si la détente après décharge par exemple (et en général le rééquilibrage par "principe de plaisir") n'existait qu'en sexualité : comme si par exemple le combat sous toutes ses formes était forcément sexuel, à coups de poings, de mots, de jeux, de balles ou de bombes — les guerres, les sports (dont les arts martiaux), les élections ou les conseils d'administration etc., pures manifestations d'Eros ?
Mais il faut arrêter parce que les erreurs de ce livre — si souvent bouleversant de vérité et de générosité attentive — ne sont qu'un cas, il faut le répéter, de certains aboutissements  partis de l'erreur freudienne : la simplification sexualiste au lieu de la compréhension éthologique. Plus précisément, pratiquement tous les êtres humains actuels en sont vis-à-vis de l'énorme agressivité à un stade de naïveté incomparablement plus primitif qu'on ne l'était vis-à-vis de la sexualité il y a un ou deux siècles.
Simplement, parce qu'à force cela prête à sourire, on peut retenir encore une petite aventure, où la censure totale, freudienne, de l'agressivité, se manifeste de façon assez spéciale. L'affaire est contée p. 174. Madame Pezé convoque un directeur après une tentative de suicide d'un employé (torturé par la chefferie des mois durant). Bien entendu le cheffaillon se défend par défausse technico-commerciale (logiciels d'évaluation et autres obsessions de benchmarking) — car on ne dit plus, comme les anciens nazis, "j'avais des ordres" mais "je n'ai fait qu'appliquer les règles du métier" (relisez ce même parallèle dans le livre de François Emmanuel, La question humaine, éd. Stock 2000, avec les précisions aussi très "techniques" pour les gazages en camions dans les camps de la mort) —. Avec tristesse et colère, Madame Pezé rend compte d'une longue tentative de dialogue, brisée par la surdité et l'opposition de telles références informatisées ; enfin, n'en pouvant plus, au moment de faire sortir la brute, elle écrit : "j'ai envie de lui taper dessus".
Seulement avec votre corps érotique, docteur ?

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