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Ce blog comporte quatre parties :

– les articles simplement actuels

– des textes de fond, insistant sur le point de vue expressément politique adopté partout ici

– des rédactions plus anciennes par exemple à propos de simples citoyens d’un côté, de potentats de l’autre, aux Etats-Unis

– des échanges avec correspondants qui seraient trop restreints à l'intérieur des cases prévues.


dimanche 10 décembre 2017

Actuel 120 Contre les totalitarismes

                                   Le texte ci-après tente de condenser d'une part une brochure achevée ces jours, d'autre part la contribution essentielle de ce blog. Il est donc assez long. Il a demandé beaucoup de travail. Sa diffusion dépend avant tout de ses lecteurs.

                       Parce que jamais jusqu'ici dans l'histoire la production des richesses n'a été à ce point facile, jamais la lutte pour le pouvoir des pervers de la domination n'a été à ce point laissée débridée, folle : jusqu'ici il y avait toujours eu quelque contre-pouvoir des producteurs — au contraire aujourd'hui les grèves (surtout partielles) ne font le plus souvent mal qu'aux grévistes, etc.
            Il en résulte le déchaînement en notre temps des luttes proprement politiques, et l'impuissance des progressistes s'ils en demeurent aux critères économiques (à l'économanie). Mais grâce à l'étude des tendances agressives chez tous les animaux supérieurs et spécialement l'espèce humaine (la science du comportement ou éthologie), la compréhension de la rage de domination et pouvoir à tout prix éclaire de façon extraordinaire les comportements en général et l'histoire en particulier, et donne des moyens inouïs contre les brutes. En particulier, le grand basculement totalitaire, comme l'insuffisance théorique, tiennent à l'absence de prise de conscience de ces acquis essentiels de la science en affaires politiques :
le principal moteur, le plus élaboré de l'évolution et le plus actif surtout dans l'espèce humaine, est la tendance à trouver une place aussi considérée et considérable que possible parmi ses congénères (êtres de la même espèce).
C'est l'origine des sociétés, des guerres et plus largement de tous les grands traits d'histoire, c'est ce qui se manifeste effroyablement par l'unité ou au moins le large consensus de tous les dominants et dictateurs ("mondialisation"), tandis que les individus dans les peuples sont maintenus, autant que les brutes le peuvent, dans l'incapacité à communiquer et se rassembler contre l'oppression. Il est essentiel de comprendre cette dissymétrie :
les pervers et déséquilibrés, obsédés de domination à n'importe quel prix,
sont excités par leurs systèmes et les font fonctionner de façon absolument continue
alors que les gens plus épris de raison sont en général préoccupés
de survivre s'ils sont dans la misère et sinon de se réaliser plus humainement.
C'est cette dissymétrie politique qui entrave l'épanouissement humain global et menace la vie et la planète : la forme économique — techniques de production et répartition des richesses — est au contraire accessoire (il est lamentable qu'il y ait des dominants : qu'ils existent aussi en "entreprises" n'est qu'un corollaire).
            Il ne suffit donc pas de répéter comme des ânes que dans son Que faire, Lénine a écrit : sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. Il faut enfin se décider à comprendre que la théorie est étranglée par des séquelles de fautes énormes : la plus terrible est, contre Diderot et son temps, l'enfouissement sous la Sainte-Alliance et Hegel de l'essentielle nécessité de mise à jour globale des connaissances, l'oubli de la philosophie expérimentale. La diffusion aussi large que possible du savoir le plus sûr — dans ses données les plus importantes, donc science et aujourd'hui éthologie en tête — est un principe vital. Il a été étouffé par les astuces de mise en condition déployées par le pouvoir, à partir de sa pratique d'égarement des foules par les religions et autres faussetés, et le relais en a été pris par le Verbe de pouvoir marxiste, la dialectique de Hegel. Le monde crèvera, comme il crève surtout depuis près d'un siècle, tant qu'on ne sortira pas de cette folie.

                       La tendance à trouver une place aussi considérée et considérable que possible parmi ses congénères (les êtres de la même espèce), la base éthologique, doit être mise au cœur de la compréhension de l'histoire, et du présent plus particulièrement : car il n'y a pas de limites à la violence exercée par les êtres devenus dans la barbarie historique des suragressifs, et tout démontre qu'ensuite
des bourreaux peuvent être recrutés parmi des laquais,
êtres aussi vicieux, malsains et pervers,
la rage dite volonté de pouvoir n'étant pas seulement l'affaire des dominants : elle est contagieuse parce qu'elle trouve des valets en masse dans les semblablement infectés de sadisme, puis par grégarité pure ; par régression, cet effet d'ensemble primitif peut agir contre, et au delà de, toutes les élaborations civilisatrices : environné de tortionnaires, tout le monde (presque, mais surtout ceux qui n'ont pas d'éducation éthologique) est potentiellement tortionnaire (cf. Obedience to Authority, de Milgram, analyse ici en Actuel 68). A partir de la théorie éthologique comme de la pratique historique, il est immédiat que des soldats peuvent être recrutés dans toutes les "classes" (en fait : parcours sociaux), comme le savent et le pratiquent les dirigeants depuis des millénaires.
            Plus précisément, l'éthologie affirme que de façon générale
il y a une classe, une seule, celle des dominants
contre une poussière de non-classes, regroupements de hasard et surface. Les échecs constants des révoltes tiennent à ce que les révoltés — comme les outils mêmes de répression (prêtres, flics, militaires) — n'ont pas conscience de l'essentiel : le blocage de l'expansivité naturelle et donc la barbarie absurde de refoulements intérieurs et violences extérieures, d'où la nécessité de décharge agressive. Or au contraire non seulement les dominants constituent, eux, une classe,
LA, LA SEULE, classe
d'abord à petite échelle avant de passer au cadre national puis (aujourd'hui) internazional, conformément à la tendance plurimillénaire d'expansion des conquêtes d'un côté, de concentration du pouvoir de l'autre, mais ils ont et cultivent par leurs échanges au moins un sens empirique de l'agressivité. De sorte qu'enfin, dans une déraison presque générale,
l'histoire de l'humanité n'est pas celle de la lutte "des classes",
mais celle de la lutte entre savoir et pouvoir,
la nature du pouvoir implique sa concentration, sa tendance à la dictature,
la nature du savoir implique sa diffusion, sa tendance de fond à la démocratie.
L'absence de théorie, c'est donc l'absence de diffusion de la prise de conscience, du savoir essentiel, ce qui renvoie au principe vital,
sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire
car le seul moyen de rassembler des forces capables de s'opposer à l'organisation vicieuse en pouvoir, c'est de rassembler des gens de partout, et la condition nécessaire pour cela est la vue commune, le sens commun des choses que seule la science sait faire voir (et non un quelconque Verbe de pouvoir destiné à empêcher la compréhension populaire et à porter un clergé de Parti ou Eglise, une bureaucratie de transmission des ordres et diktats de la seule classe constituée à diverses échelles par des dirigeants) : tous les fous de pouvoir, relativement rares mais vite proches, sont des malades mentaux irréversibles que seule la cohérence organisée peut arrêter. C'est la leçon éclatante, de la "mondialisation" comme de la trahison des Partis prétendus communistes russe et chinois — les milliardaires correspondants se retrouvant par exemple à la BIS, Bank of International Settlements : banque infâme entre toutes, spécialement conçue pour court-circuiter toute influence d'institutions liées au suffrage universel, déjà gestionnaire principale au temps de la seconde guerre mondiale (cf. Tower of Basel, d'A. LeBor, et infra).

                        Tout cela est une occasion remarquable de saisir ce que chacun peut savoir à condition d'accepter d'apprendre : le Manifeste communiste commence par une éclatante dénégation d'histoire, en affirmant que l'histoire est celle de la lutte des classes. Car il n'y a jamais eu QU'UNE classe assez clairement délimitée : celle des plus dominants, des plus farouches oppresseurs, comme on va le détailler un peu et comme le démontre avec une clarté aujourd'hui aveuglante la leçon juste redite de l'histoire ("mondialisation"). Il y a une différence essentielle entre un ensemble social structuré ou classe et un ensemble social amorphe, repéré par des critères de résonances très diverses (âge, sexe, dose de mélanine dans la peau, frontières, conditions de subsistance, n'importe quoi). Certes chaque secte ignare tour à tour s'empresse de déclarer que la question a été définitivement  traitée par son gourou, et renvoie à des œuvres plus ou moins incompréhensibles. Ce n'est pas ainsi qu'on procède en affaires de savoir : il faut se référer à ce que chacun peut vérifier, sur des faits F considérables, et en dehors des hurlements autoritaires.

                        F. 1. La seconde guerre mondiale avec ce qui s'en est naturellement suivi a été surtout une affaire montée par quelques grands banquiers, contre les espérances d'un système politique différent suscitées par l'URSS. Ce sont surtout deux personnages, tous deux fermes soutiens du nazisme vu comme moyen, Montagu Norman (gouverneur de la Banque d'Angleterre jusqu'en 1944) et Hjalmar Schacht (principal financier de Hitler) qui ont créé la fondamentale BRI, Banque des Règlements Internationaux, à l'occasion de l'affaire des "réparations" après 14-18, puis qui ont le plus directement guidé son fonctionnement pour permettre les financements de l'ensemble industriel européen au service des fascismes (Roger Auboin, synarque devenu OSS 651 — itinéraire entre tous exemplaire — a été le secrétaire général de la BRI de 1938 à 1958). A partir de là, c'est dans toute l'Europe hors URSS que les ouvriers ont travaillé pour la machine de guerre nazie, sans compter le soutien des dirigeants des Etats-Unis, alliances IG Farben avec Standard-Oil (alias S-O puis Esso puis Exxon), ITT avec Siemens (connections électriques et électroniques, les premières cartes perforées de la filiale IBM ont servi à faciliter la gestion des déportés vers les camps de la mort), General Motors avec Opel (camions du Blitzkrieg), etc.
            Il n'y a pas ici à insister sur ces détails, mais sur l'essentiel : en tout, ce sont au plus quelques douzaines d'individus — formant un groupe très uni, très organisé, UNE CLASSE — qui se sont trouvés d'abord héritiers d'une expérience plurimillénaire de conquête et domination violente, puis portés par les circonstances aux moyens de renouveler la barbarie à leur profit. Plus nettement : même des banquiers comme le misérable Charles Rist n'ont rien vu ou rien voulu voir de ce que visaient et préparaient leurs collègues d'une autre envergure — Norman et Schacht donc en premier lieu, mais aussi les Rockefeller, Strong, Dulles, Behn, McCloy et son intime Jean Monnet, plus tard mais fort efficacement McKittrick, en France les traîtres de Cagoule et Synarchie (que les pseudo-historiens de la honte et du mensonge organisés s'entêtent indéfiniment à cacher, en injuriant à coups d'accusations de "complotisme" ceux qui les découvrent), etc.
            F. 2. La suite naturelle dans la conquête planétaire du pouvoir par UNE classe a certes comporté l'anéantissement de l'URSS, largement obtenu par la barbarie nazie dès 1945, mais remarquablement poursuivi par la course aux armements réels ou supposés (super-bombes ou "guerre des étoiles") et couronné par la subversion de la bureaucratie au pouvoir sur place (de devanture communiste mais de contacts incessants avec les dirigeants US). Cet anéantissement est presque annexe. Les deux temps les plus forts ensuite du pouvoir réel ont été, non 1989-90, mais
            la reconversion de la lutte et de l'hystérie anticommunistes en lutte et hystérie anti-islamistes : ce fut vers 1975 la mise en place de "l'équipe B" par le père Bush, alors directeur de la CIA, et par le central Paul Nitze (aussi "négociateur" depuis 1950 des affaires de traités sur les armements avec, et pour la ruine de, l'URSS)
            la préparation du déchaînement militaire tous azimuths par le PNAC (Project for a New American Century) et son début de réalisation à l'occasion du 11/9/2001.
Cette continuité de LA classe, unique, à la source de ces évènements, est démontrée dans des montagnes de bibliographie notamment aux Etats-Unis, et aussi assez bien résumée dans les textes de P. D. Scott (ainsi La route vers le nouveau désordre mondial).
            En face, dualement en quelque sorte, de moins en moins d'organisation et de société, une poussière de plus en plus fine de non-classes — jusqu'à l'écœurement et l'impuissance devant la violence, de niveau jamais atteint, de LA classe au pouvoir (violence des techniques de production, armes comprises, comme de l'espionnage des citoyens), et enfin la croissance de l'égoïsme-individualisme forcené, l'isolement des citoyens à un niveau lui non plus jamais atteint de non-solidarité, d'a-socialité.
            F. 3. Il faudrait ici grâce à The Brothers de S. Kinzer (sur les Dulles), éclairer un autre point. C'est, dans le psychisme des potentats, la suprématie primaire des pulsions animales, inconscientes, et surtout de la perversion dominatrice venue des primates, sur les devantures risibles des présentations idéologiques, "conscientes". En simple résumé : la leçon est la même partout à travers le microcosme des pouvoirs, et l'hystérie exprimant le triomphe de l'animalité sur l'humanité sert de détermination — elle finit toujours par payer individuellement et socialement contre la raison insuffisamment éclairée, notamment si celle-ci est ignorante de l'éthologie.

                       Cet ensemble F de faits considérables dicte les conditions de l'organisation progressiste aujourd'hui : il suffit de tenter d'organiser la diffusion de ce savoir pour saisir que l'action résultera immédiatement de cette diffusion. Car tant que les progressistes s'égarent en marxismes et anarchismes, on les laisse au moins un peu parler ; mais dès qu'ils s'occuperont de faire voir ce qu'est la perversion en pouvoir conformément aux données ci-dessus, la répression se fera assez féroce pour éveiller l'attention et le courage de tous ceux qui cherchent à augmenter les chances de survie humaine, contre les cinglés de domination à tout prix dont Donald Trump n'est qu'un cas clownesque et caricatural (et, en raison des oppositions qu'il suscite dans son propre Etat, peut-être pas le plus dangereux).
            Que les progressistes véritables s'occupent donc de la diffusion du savoir le plus important : la dénonciation de la maladie mentale des dominants actuels — mais vite, car les fous ont de nombreux leviers de mort entre leurs mains.

                       C'est ce sur ce caractère d'urgence qu'il faut conclure.
            Dans son Eté 1914, Roger Martin du Gard raconte en particulier le vendredi 31 juillet de cette "année terrible". Il y avait déjà depuis un moment, et il allait y avoir bien davantage, le feu au monde. A Paris, au centre de l'histoire, il faisait très chaud. Depuis des semaines, partout en Europe, l'Internationale tentait par tous ses moyens de bloquer l'horreur ; le soir, Jaurès allait être assassiné ; le lendemain devaient paraître en France les affiches de mobilisation générale... Cependant ce midi de vendredi encore, des entêtés à ne rien comprendre chargeaient, sur les omnibus des gares pour la Normandie, des filets pour la pêche à la crevette en famille.
            Trump est à la Maison Blanche ; les néocons US dirigent Wall Street-CIA-Pentagone ; les gens du temps présent n'ont même pas une Internationale, et veulent encore moins comprendre qu'en 1914. Mais est-ce seulement leur faute ?

Il est toujours difficile d'inciter
à penser-agir, donc à s'occuper de cohérence humaine,
tant que les fouets des circonstances n'imposent pas de réponses urgentes.
Ainsi ordinairement aujourd'hui,
d'un côté les fauves se déchaînent et s'unissent pour faire le mal,
pour être de plus en plus des  fauves,
de l'autre les esclaves s'enfoncent dans leur quotidien et ne se fréquentent que
pour être de plus en plus des moutons :
mondialisation des dirigeants,
désocialisation des citoyens,
CONCENTRATION  mondiale DU POUVOIR.
Pour en sortir, PRENDRE ET FAIRE PRENDRE CONSCIENCE
— même si les crétins "n'y croient pas".

            En somme,
sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire
or une théorie qui se fonde sur la lutte des classes est une fausseté noire : c'est en réalité la rage dite volonté de pouvoir qui crée et structure les luttes et parcours sociaux (et non des "classes") dans l'héritage, chez les potentiellement humains, des primates. Non seulement l'histoire entière le prouve, mais la science du comportement le resitue dans l'ensemble de l'évolution (cf. ici Actuels 84-5-6).
            La religiosité marxiste fonctionne donc comme rempart de la réaction (cf. ici Fond 7, octobre 2014). Avec son sectarisme, son dogmatisme, son insistance sur les formes économiques accompagnant son aveuglement sur l'essentiel politique, ses références criminelles à des abstractions sans contenu précisé, "classes" ou dictature "du prolétariat", cette religiosité constitue désormais chez les progressistes eux-mêmes le principal obstacle à la théorie et aux mouvements révolutionnaires ayant une chance de sauver l'humanité des désastres que prépare la classe au pouvoir, tandis que celle-ci de son côté abuse d'une autre pensée totalitaire (en termes de nations et donc de guerres : "la France" contre "son Empire", "les Etats-Unis" contre "la Corée du Nord"), dans l'ignorance active des enfants et des opprimés de tous les pays de cette malheureuse planète :

des deux côtés, ignorance totalitaire des réalités historiques, humaines, universelles.

jeudi 9 novembre 2017

Actuel 119 Lumières et voiles

                       A lire tout ce qui s'écrit sur la révolution russe en ce centenaire, et à y opposer la diffusion du savoir véritable (diffusion qui fut la vocation de Diderot comme de nul autre), il m'a semblé qu'il fallait redire un peu de ce que je rédigeais il y a un demi-siècle contre certains sectarismes sous le titre Ou marxisme ou révolution. Sacrifice aux rites du moment, dira-t-on. Je ne crois pas.
            Déjà en années soixante, on crevait d'avoir si longtemps vu des progressistes étouffés par des bureaucrates autant que par les réactionnaires avoués : il y avait eu le grand Langevin, si impatient de s'allier aux opprimés du monde qu'il se laissa convertir à la dialectique par des salopards à la Garaudy, ce qui lui valut la colère de Benda ; il y avait eu l'admirable Prenant, supportant d'abord tout, comme il avait supporté la torture nazie, mais renonçant finalement à la lutte à l'intérieur du Parti pourri parce que Lyssenko et trop, c'est trop. Et tant d'autres, savants ou simples militants de la raison en toutes affaires, ici et ailleurs !
            Il faut redire, donc. Redisons.

                       L'histoire des Lumières commence à la grande Révolution française. Elle se perpétue en bien d'autres par des traductions enthousiastes comme, entre mille exemples, celle en arabe des discours de Robespierre, ce qui donna en Egypte un rejeton en somme digne du farouche acteur de la Terreur : Gamal Abdel Nasser. Celui-ci fut à son tour hésitant dans sa laïcité : mais en tout, il accomplit une des plus salutaires mises à jour du monde hélas mahométanisé — comme son illustre ancêtre par l'esprit l'avait fait du monde hélas christianisé. Tout cela n'est pas fini, certes : toute prise de conscience se poursuit aussi longtemps que l'humanité survit, même si les menaces sur notre espèce sont lourdes à porter en ce moment.
            De l'autre côté, l'histoire des marxismes est celle de leurs dictatures, de leurs échecs et de leurs scissions. Ainsi les trotskistes et les staliniens savent se haïr les uns les autres, et cette haine est à peu près tout ce qu'ils ont en commun, en dehors de leur indigence mentale et de leur prétention à être seuls détenteurs de la "vérité" dialectique. En outre, on se déteste aussi très bien entre trotskistes etc. : la décomposition ne s'arrête parfois que lorsque c'est l'individu lui-même qui doit se scinder, et l'on connaît des cas (cela s'appelle schizophrénie) où les choses vont plus loin encore. Ainsi vont les déterminismes des choses en toutes religiosités : l'enthousiasme grégaire tenant lieu de justification, rien n'arrête ni n'arrêtera l'entêtement dans la faute puis le crime dont sont capables des "fidèles". Chez les marxistes, on appelle cela le sens de la praxis, mais ce n'est pas fondamentalement différent de ce qui se pratique dans d'autres aveuglements et clergés.

                        L'égarement en scolastique a toujours servi les avides de pouvoir. Il leur permet de se couvrir d'empressement aux affaires humaines et de se poser, s'imposer en dominateurs, paradeurs en prêches dits vérité suprême : ainsi avec des prêtres et autres traîtres, les vacuités d'Aristote firent l'enfermement de la science pour des siècles dans tout un côté du monde (en face, il y avait Al-Khawarizmi et Ibn Al-Haytham avant Ibn Rushd, puis même à la décadence Ibn Khaldun — tous non marxistes je le jure — : cependant les insondablement ignares islamophobes déclarent qu'il n'y a jamais eu de savants en terre d'islam !). En ce sens pérenne d'opposition des baratineurs à la science véritable, l'affaire hegelienne n'a donc rien de nouveau : pourvu que, se targuant de savoir, on mêle à l'ignorance un langage pédant et vide, pourvu qu'on ramène à des mots sans suite et jamais définis ce qui est passé de bruit des connaissances dans la tête d'abrutis et de paresseux, les circonstances historiques se chargent très volontiers de faire passer pour grand esprit. Ainsi va trop souvent l'animal d'apparence humaine, en fait bête grégaire au fonctionnement cérébral aisément réduit à imitation et entraînement, et chez qui la part de conscience véritable, cohérence, contrôlée, rationnelle, proprement humaine, est en général rare ou absente.
            On me répliquera que la scolastique est déjà élaboration : c'est vrai, mais élaboration régressive. La Bible, ce fatras de légendes et mensonges, ne vaut certes pas mieux qu'Aristote : mais la déblatération revue de là en Thomas d'Aquin a fasciné, et fascine encore, ceux qui confondent parade ridicule en Verbe de pouvoir, parsemée d'affects et dérapages, et solide construction intellectuelle.
            De même, en se faisant élèves du théologien Hegel — renouvellement contre l'Encyclopédie de l'horreur aristotélicienne, avec l'aval fervent de la Sainte-Alliance résolue à effacer jusqu'au souvenir de la mise à jour en histoire et science par Voltaire et Diderot —, Marx, Engels et Bakounine directement, Proudhon indirectement (par Marx) ont tous aiguillé les progressistes et révolutionnaires vers le déraillement assuré. D'où l'état de notre planète en ce centenaire d'Octobre. Ce n'est encore pas trop grave, si on arrête la chute. Mais qui songe à se raccrocher à l'effort de raison et vérité, à l'effort des Lumières ?
            A peu près personne. Des hordes et des masses continuent à tenter de croire que c'est le marxisme qui a fait 1917, et ne verront pas, parce qu'elles ne veulent pas voir, que les cyclones de découvertes scientifiques et techniques renouvelaient partout l'espérance de mieux-vivre, dans le peuple russe comme chez bien d'autres. Sur quoi, il s'est trouvé des gens pour chevaucher cette espérance : parbleu ! Mais parmi ces gens, de valeur morale fort inégale comme toujours en pareil cas, il y a eu un héritier, encore de ce Robespierre dont quelques-uns se souviennent et que certains ont même étudié : c'est Lénine.
            Robespierre était trop attiré par Rousseau ou, peut-être, il croyait qu'il fallait accepter de se poser en mage parce que les humains sont encore souvent des primates mal embouchés, et qu'il leur convient souvent d'avoir un mâle dominant pour manifester audace et loyauté. Tendance ou faute, c'était très grave. En fait, le grand héritier de l'Encyclopédie au moment de la Révolution, n'était pas dans cette lignée mais, bien plus justement, dans celle de la transmission-élaboration du savoir le plus assuré dans toutes les couches populaires, dans le prolongement direct de la grande œuvre et de Diderot : c'était Condorcet. Seulement, dans l'ouragan révolutionnaire il faut aussi autre chose que voir juste : il faut, vite, rassembler des gens pour rassembler des forces. Condorcet ne l'a pas assez vu.
            Robespierre, si. Lénine, de même.
            Jean-Pierre Vernant m'avait dit que Matérialisme et empiriocriticisme de Lénine était "son plus mauvais livre". Je ne suis pas d'accord. Certes il y a bien des fautes dans ce texte qui, par colère (souvent juste) contre Mach, passe effroyablement à côté de l'essentiel renouvellement physique et scientifique. Mais Lénine a l'immense mérite de ranger Diderot à sa place dans la tentative réaliste — alors que Marx n'a pas un mot, autre que de mépris, pour le "dix-huitième siècle français" —. Déjà Engels finissant commençait à percevoir, et avouer, ce que représentaient les d'Holbach et contemporains : Lénine enfin n'est pas passé si loin de reconnaître la "rétrovolution" hegelienne. Mais il y avait le feu au monde, et le rendu infâme de la mécanique newtonienne en verbalisme de description par opposition (action et réaction), la syphilis dialectique, pouvait être vu comme une façon de synthèse des sciences — au moment même hélas où ce procédé primitif achevait de perdre toute valeur pour le progrès, la découverte —.
            Bref Lénine a accepté le verbalisme, et suivi Marx pour l'investir d'une méthode universelle de compréhension. (Vernant encore disait en haussant les épaules : "ils peuvent toujours déclarer que tout est contradictions : comme personne ne sait ce que c'est...")
            Aujourd'hui, il est bien plus facile de savoir, de sonder la monstruosité du prophétisme de Marx, de revenir au courant de connaissance d'après Galilée, de rénover la philosophie enfin à son tour expérimentale avec Diderot, de se ressourcer à tous les immenses progrès accomplis en science contre le dogmatisme criminel et ridicule des marxistes, de saisir et briser ce qui a fait l'égarement des progressistes. Il faut repartir, asservir les retombées techniques et surtout les plus beaux acquis de la science même au mieux-être des gens et aux chances de survie de l'humanité. C'est vrai en affaires de machines, d'économie, de synthèse et vue d'ensemble, c'est vrai en compréhension du comportement des foules et donc en histoire. Les marxistes n'en veulent rien voir ni savoir. Contre eux, il est urgent de comprendre :
Ou marxisme
ou révolution-mise à jour-progrès-diffusion du savoir, science

en tout, partout, contre tous les Verbes de pouvoir, contre toutes les religions.