Au hasard du cœur : 1962, Mouloud Feraoun ;
1965, Mehdi ben Barka ; 1992, Mohamed Boudiaf ; et 2013, Chokri Belaïd.
Entre "le fils du pauvre" et
l'opposant d'Ennahdha, un demi-siècle d'acharnement dans l'assassinat de l'espérance.
On a pu écrire ici (Archives 1, "Financiers anglo-saxons, vampires du
monde") : "Partout est menée aussi loin que possible l'élimination de quelque légitimité
nationale ou sociale que ce soit. Dans la démonstration de cette méthode, le
cas arabo-islamique mérite une mention spéciale. Certes il est vieux comme le
monde politique de pousser un adversaire à choisir l'hystérie, mentalement
reposante, au lieu de la lutte consciente et fermement organisée ; mais le
martyrologe des démocrates laïques arabes est spécial dans l'histoire :
presque tous ont été physiquement éliminés, en tant que vrais et dangereux
ennemis de la domination anglo-saxonne, par les services ad hoc britanniques et USAïens — entreteneurs obstinés et
régulièrement assassins au service de l'intégrisme islamique, et en communion
avec lui."
"Presque tous" les laïques du monde
arabe seulement, en effet : les services et fanatiques de la colonisation
française ont leur part. C'est clair pour Feraoun, exécuté par des fous d'OAS.
C'est déjà moins clair pour ben Barka, car indépendamment des antennes en
France de "Notre ami le roi" Hassan II, la CIA cherchait à
embarrasser de Gaulle dans une sale affaire, et à l'affaiblir dans tout ce qu'il
représentait de lutte contre le dollar et pour le retour à l'étalon-or (ce qui
le faisait surnommer chez les superpatriotes US : Dgaullfinger).
C'est encore plus compliqué pour Boudiaf :
les généraux parvenus à la tête de l'appareil du FLN, après s'être débarrassés
de bien des Krim Belkacem, redoutaient toujours la référence aux grandes
figures de la décolonisation algérienne. Boudiaf, bien que retiré au Maroc, en
faisait partie, et l'on savait ses ironies sur les réinvestissements de
corruption des militaires d'Alger dans l'ancienne métropole. Ils réussirent à
le faire rentrer en lui offrant un rôle présidentiel, pour au moins retarder
l'explosion que la misère ne pouvait manquer de produire et reproduire. Puis
ils chargèrent un "fou isolé" (décidé islamique, évidemment) de l'exécuter
devant les caméras — leçon qui acheva de convaincre bien des opposants de
simplement fuir à l'étranger.
Les choses redeviennent claires et simples avec
Belaïd : après son meurtre, Rached Ghannouchi, tenant et grand chef des
purs et durs de la charia et d'Ennahdha, a filé... à Londres !
Il y a eu
d'ailleurs, sur la Toile, des Tunisiens révoltés par l'aveu que constitue cette
dernière lâcheté. Ils se sont moqués de Ghannouchi enfoui derrière des
compagnies entières d'équivalents CRS britanniques, et de ce que représente de bien
mal acquis l'appartement où il s'est barricadé (le mètre carré immobilier
londonien est l'un des plus chers de la planète). Mais il s'est trouvé un
compatriote pour les agresser... au nom de l'antisionisme — comme si le
Royaume-Uni était un Etat hostile à Israël — ! Dans le texte qu'il a mis
en ligne, ce super-com-patriote oppose à la dénonciation de Ghannouchi un
argument imparable, qu'on
recopiera ici sans autre commentaire : "peut-être que son logement
est cher, mais au moins ça vient de lui !"
Voilà donc comment la médiatisation fonctionne,
comment on en vient à donner des signes terrifiants de nullité mentale, comment
sous prétexte d'histoire on déclare la religion patriotisme ! Ainsi au
hasard : la France est "fille aînée de l'Eglise", il n'y a jamais
eu de Lumières ni de Révolution ; Carthage n'a existé que dans
l'imagination de quelques Romains, de même sans doute que la lutte des femmes
tunisiennes pour leur émancipation — point de Gaule avant les roitelets
germanisés récupérant le baptême comme moyen d'oppression, jamais de Berbères
fort évolués avant l'invasion musulmane... Partout ainsi on veut faire croire
qu'il n'y a de nation que dans un choix religieux mortel : la Yougoslavie
l'a revécu il y a vingt ans à peine — on parlait, souvenez-vous, de Serbes et
Croates, jamais de traditions et manipulations orthodoxes et catholiques, alors
même qu'étaient rendus publics les chèques de soutien du Vatican aux héritiers
des nazis oustachis...
Tant
qu'il y aura de tels gens de "foi", hystérie et stupidité pures, les
puissances d'argent et les traîtres vendus à l'impérialisme ont de beaux jours
devant eux. Car ce ne serait pas assez, et ça ne pourrait pas durer, si on se
contentait de meurtres : il ne suffit pas de tuer, il faut aussi exalter
les traîtres et salir les êtres et les moments d'espérance du monde. Ben Barka
participait à la préparation de la Tricontinentale en 65, au moment même où
Guevara dénonçait la bureaucratie "communiste" dont on sait ce qu'elle
est devenue : et c'est la maudite Trilatérale financière Anglo-Saxons-Europe-Japon
qui s'est bâtie, sur des ruines, des cadavres et la généralisation de la
torture, d'abord en Amérique latine sous l'impulsion du patron de la CIA de l'époque,
et puis en mondialisation avec l'aide de tous les pourris des Etats pétrodollariens.
Il est monstrueux qu'on trouve aujourd'hui tant
de gens pour entrer dans la maladie où on cherche à faire voir les grands
mouvements internationalistes des années 1960 comme des trahisons, tout à la
fois de l'"Occident chrétien" et de l'Islam "éternel" :
comme si la Grèce de Thalès et d'Archimède devait tout à Jésus, ou comme si le
sud de la Méditerranée ou l'Indonésie commençaient aux terreurs mahométanes...
En réalité, tout simplement : les
religieux embarqués en fanatisme deviennent très vite des traîtres à l'humanité
d'abord, à leurs propres peuples ensuite, et à l'histoire en général. Il ne
faut manquer aucune occasion de le refaire voir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire