Le DVD du
film "Les nouveaux chiens de garde" est donc sorti. Il offre les
moyens de diffuser, d'un citoyen à l'autre, des images remarquables à propos
des liens entre argent et journaleux. Il est accessible, si l'on veut à partir
d'Internet, autour de 15€. Chacun peut en faire sa critique, à une condition
que ce blog recommande vivement de satisfaire : d'abord le voir.
Les préoccupations étroitement économiques sont déjà dépassées,
à juste titre, dans cette vidéo. C'est très bien : ce sont des raisons de
plus d'espérer que, d'ici quelques siècles, peut-être quelques décennies voire moins,
même les honnêtes gens finiront par se préoccuper de la manipulation des foules
et de ses bases éthologiques. Ainsi la révolution se rapproche, mais pas très
vite...
La folle révolte ne la devancera-t-elle pas, à
force de retard des organisations progressistes en synthèse d'expérience,
science comme histoire, à force de retard de la théorie sur la réalité et les
rages que celle-ci engendre ?
Tant que ce blog existera, il désignera ce
malheur.
Sur un
sujet apparemment autre, à peu près tout le monde — droite et gauche
bourgeoises, économistes et historiens, progressistes et réactionnaires —
reconnaît un tournant important dans les années 1970. Qu'on le situe par des
mots comme "fin des trente glorieuses" ou "début de crises et chômage
de masse", le changement est net. Il est naturel d'en chercher l'explication.
Il n'est pas juste d'en chercher une cause unique. Mais c'est une part de
l'exigence de cohérence que de définir, autant que faire se peut, une hiérarchie
des importances de causes. C'est de cela que parle, avec plein de choses intéressantes
et profondes, le livre de François Ruffin ("Leur grande trouille", éd.
"Les liens qui libèrent", 2011).
On écartera ici dès l'abord, comme l'auteur, les
devantures comme "abandon de l'étalon-or" ou "choc pétrolier" :
ces effets marginaux peuvent être prétextes à étalage de connaissances raffinées
et sans intérêt, mais pas à une analyse de déterminations. Ce serait déjà plus
raisonnable de se souvenir des rencontres mafieuses précoces, et comme prémonitoires,
autour de Lucky Luciano. En tout cas l'évidence est politique : la lutte
pour le pouvoir, aux échelles nationales et mondiale, a vu s'établir un
basculement qu'il faut beaucoup de malhonnêteté pour ramener simplement à des
classes. La grande affaire est donc que les modes de domination ont changé, et
changé aux mêmes échelles : à l'intérieur des frontières et sur la planète.
Mais par quels intermédiaires ?
Pas simplement militaires. La supériorité des
armes ne peut à elle seule expliquer la victoire de l'impérialisme
anglo-saxon : ainsi, l'URSS ne pouvait plus supporter la course aux
missiles et aux bombes parce que son économie en faisait un colosse aux pieds
d'argile.
On peut glisser de là sur une pente
dangereuse : l'économisme. Tout n'y est pas faux. Par exemple, il est vrai
que du côté de l'argent, la liberté de pillage et accaparement dissimulés par
la "dérégulation" (l'absence de tout contrôle démocratique et
notamment judiciaire sur les vols mafieux, dont la fuite en paradis fiscaux),
avec son corollaire en abaissement vertigineux des droits de douane, joue un rôle
considérable dans la mise en œuvre de l'écrasement des peuples et spécialement
des travailleurs : la menace du chômage a pu être exercée avec la dernière
violence, par mise en concurrence
– des travailleurs qui acceptent n'importe quel
niveau de paye sous le terrorisme — impérialiste ou "communiste"
chinois —
– et des ouvriers survivant dans les pays
riches, jusque-là préservés par les nécessités de façades démocratiques.
Seulement à partir de là et dans l'actualité, si
on pense trop aux salaires en Asie, au rythme des "délocalisations", aux
coûts du travail ratatinés par la production en famine du monde pauvre, on
risque de ne plus voir que cela. On risque d'en faire l'explication universelle
de ce qui s'est passé depuis les années 1970.
Ce serait très grave. Ce serait manquer
l'essentiel historique. On doit essayer de lire plus loin.
Dans les
années 1960, les audaces étudiantes, ouvrières, tiers-mondistes permises par un
relatif mieux-être terrorisaient les pouvoirs, notamment à l'Ouest. Un fort
intelligent Prix Nobel d'économie (ça existe) multipliait les exposés sur la
possibilité d'une automatisation rapide et presque complète, en utilisant en
investissements très orientés une part relativement faible des profits. Wassili
Leontieff pouvait mener sa démonstration notamment grâce aux technologies de
pointe où les plus-values battaient déjà d'incroyables records (ainsi :
1000% pour des photocopieuses). Technique et surprofit : un des domaines où
tous les marxismes, relativement fidèles ou déjà totalement corrompus, ne
cessaient d'accuser un retard pathologique. Qu'on réfléchisse à partir de là :
à quel système pouvait le plus profiter, dans la lutte pour le pouvoir, ces
avancées extraordinaires ? celui où il y avait propriété privée des moyens
de production (et donc accaparements des retours d'investissement), ou celui
paralysé par le droit de tous au travail ?
Dans le système capitaliste, productivité et
profit énormes signifient possibilité de produire en masse sans travailleurs ou
presque, donc efficacité multipliée de la menace du chômage. Dans le système se
réclamant du socialisme, production plus facile signifie richesse potentielle
pour tous et menace pour la domination de la bureaucratie (car celle-ci régissait
d'abord à partir du niveau des usines) : il valait bien mieux parader dans
l'espace en Gagarine & Co.
Concluez, s'il vous plaît. Ne vous contentez
pas de relire l'histoire.
En
bref : les capitalistes n'ont pas tout compris tout de suite, mais ils étaient
quotidiennement confrontés à l'expérience par leur pouvoir, et des conseillers
hors pair (tels ceux des présidents des Etats-Unis, très spécialement von
Neumann et Wigner — en France André Lichnérowicz) les incitaient énergiquement à
mesurer ce que leur offrait le monde du "microscopique" : à côté
des bombes et missiles, l'automatisation dans l'industrie CIVILE — on parle
moins aujourd'hui de Norbert Wiener, beaucoup moins féroce, et de ses
propositions "cybernétiques" —.
Si l'on pense à ce que cela représente, on ne
peut plus voir la baisse des tarifs douaniers que comme simplement UN des
engrenages. Le moteur (même en économie), c'est la volonté de pouvoir passée
par l'automatisation à outrance, menace et réalité de chômage : d'un côté,
on voit que l'abaissement des taxes aux frontières n'a guère accéléré ni diminué
de 1945 à 2000 ou 2010 ; de l'autre côté au contraire, c'est sans conteste
à partir des années 1970 que les robots ont ENVAHI les usines et les bureaux
(et les téléphones personnels, s'il faut préciser : appelez donc votre
gare au départ d'une grande ville, votre revendeur ou votre administration, et
vous revivrez plaisamment ce que serveur vocal veut dire).
Voilà le cœur de la question, voilà
l'essentiel, voilà la grande affaire.
Ne comptez pas trop sur les "chiens de
garde" pour vous en informer clairement. Mais quelle tristesse, que leurs
dénonciateurs mêmes n'en disent pas davantage !
Ceci posé,
bien des données reprises par Ruffin ou dans le DVD gardent tout leur intérêt.
On va ici les éclairer du point de vue de Gray et consorts, c'est-à-dire des
ancêtres de Marx et Proudhon : la grande nécessité est de ne jamais perdre
de vue
1) la carte de travail pour tous — donc l'interdiction
de toute fortune personnelle excédant la durée de travail d'une vie
2) le problème politique central, l'expression
directe de la volonté générale, au-dessus de toute banque d'Etat.
Même
en se restreignant à ce qui concerne la production (tant pis ici pour l'éthologie),
on propose donc d'équilibrer déjà l'économique par le politique et on reconnaît
les perversions inévitables de toute appréciation en monnaie.
Sur ces bases alors, juste quelques touches
significatives : dans nos années 2010, l'ordre de grandeur des dividendes
versés aux actionnaires des entreprises du CAC 40 (ce ne sont pas tous les
profits) est de quarante milliards €. Il y a (à la louche et pour arrondir)
quatre millions de (foyers) de chômeurs ou (gravement) pauvres en France. La redistribution
des sommes perçues en dividendes leur permettrait donc de recevoir une
allocation de DIX MILLE €, soit neuf fois le SMIC net, PAR FOYER ET PAR AN.
Idem : les données sur Internet placent les
dividendes versés en Allemagne aux environs de 25 à 30 milliards €, soit le
tiers en moins. On doit remarquer alors que la population outre-Rhin est de
quelque 80 millions d'êtres, contre quelque 60 millions ici. Cette comparaison
doit être accompagnée d'une note pour mémoire : Marx et Engels rappelaient
que la France est le pays de la férocité inégalitaire. Cela résulte-t-il de
chromosomes français ?! ou arrive-t-il que des réalités historiques sur
des siècles ne s'expliquent pas par la seule écono-manie ?
Bien
d'autres choses valent, sur les mêmes bases, le détour par le DVD et le livre
en cause. On en retiendra ici deux seulement :
1) La durée moyenne de vie chez "les
riches" (les "20% les plus riches") est dans l'hexagone de
l'ordre de 80 ans, contre 65-70 chez "les pauvres" (aussi : les "20%
les plus pauvres" ; en fait, la différence devient nettement plus
grande si on raffine). Ecart résultant : 10 à 15 ans. Au Royaume-Uni, on
en est à plus de vingt — près de trente, 30 ! d'après l'étude citée dans le
DVD, dans la ville de Glasgow — : "a beacon to the world" (un phare
pour le monde), comme a dit pour le rôle des thatchériens Monsieur Anthony
Blair (SVP lisez "Les dépossédés", de Robert McLiam Wilson)...
2) Tous les ministres sarkozystes, et bien
d'autres depuis, serinent sans se lasser qu'il faut attirer beaucoup de riches
en France en réduisant leurs impôts, pour... qu'ils enrichissent l'Etat par les
impôts ! Pour ridiculiser tout à fait cette absurdité, passons à la limite,
et imaginons :
afin
de faire venir tous les riches en France, on annule leurs impôts dans ce pays ;
ils arrivent en foule ; soit N leur nombre, mais ils ne paient RIEN en
contributions à l'Etat : en tout, celui-ci touche N fois ZÉRO.
Ça
fait combien, à votre avis ?
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