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Ce blog comporte quatre parties :

– les articles simplement actuels

– des textes de fond, insistant sur le point de vue expressément politique adopté partout ici

– des rédactions plus anciennes par exemple à propos de simples citoyens d’un côté, de potentats de l’autre, aux Etats-Unis

– des échanges avec correspondants qui seraient trop restreints à l'intérieur des cases prévues.


mercredi 5 décembre 2012

Actuel 27 : Ordre, morale et politique


Il y a des merveilles déjà cent fois citées, et que dans l'actuel des foules continuent d'ignorer avec un désolant entêtement. Est-il naïf de les répéter ? Camus écrivait dans le journal "Combat", le 12 octobre 1944 :
«  l'ordre social, est-ce seulement la tranquillité dans les rues ? Cela n'est pas sûr. Car enfin, nous avons tous eu l'impression, pendant ces déchirantes journées d'août, que l'ordre commençait justement avec les premiers coups de feu de l'insurrection. Sous leur visage désordonné, les révolutions portent en elle un principe d'ordre. [...] L'insurgé qui, dans le désordre de la passion, meurt pour une idée qu'il a faite sienne, est en réalité un homme d'ordre parce qu'il a ordonné toute sa conduite à un principe qui lui paraît évident. Mais on ne pourra jamais nous faire considérer comme un homme d'ordre ce privilégié qui fait ses trois repas par jour pendant toute une vie, qui a sa fortune en valeurs sûres, mais qui rentre chez lui quand il y a du bruit dans la rue. Il est seulement un homme de peur et d'épargne. Et si l'ordre français devait être celui de la prudence et de la sécheresse de cœur, nous serions tentés d'y voir le pire désordre, puisque, par indifférence, il autoriserait toutes les injustices. »
Idem, le 29 octobre 1944 :
« ... cette mécanique de la concession qui a conduit tant de Français à la trahison. Chaque concession faite à l'ennemi et à l'esprit de facilité en entraînait une autre. Celle-ci n'était pas plus grave que la première, mais les deux, bout à bout, formaient une lâcheté. Deux lâchetés réunies faisaient le déshonneur. [...]
La France vivait sur une sagesse usée qui expliquait aux jeunes générations que la vie était ainsi faite qu'il fallait savoir faire des concessions, que l'enthousiasme n'avait qu'un temps, et que, dans un monde où les malins avaient forcément raison, il fallait essayer de ne pas avoir tort.
Nous en étions là. Et quand les hommes de notre génération sursautaient devant l'injustice, on les persuadait que cela leur passerait. Ainsi, de proche en proche, la morale de la facilité et du désabusement s'est propagée. Qu'on juge de l'effet que put faire dans ce climat la voix découragée et chevrotante qui demandait à la France de se replier sur elle-même. On gagne toujours en s'adressant à ce qui est le plus facile dans l'homme, et qui est le goût du repos. Le goût de l'honneur, lui, ne va pas sans une terrible exigence envers soi-même et envers les autres. Cela est fatigant, bien sûr. Et un certain nombre de Français étaient fatigués d'avance en 1940. »
Faut-il rappeler que les textes ci-dessus étaient rédigés juste après août 44 et la Libération de Paris ? que la « voix chevrotante » qui avait, en 40, parlé en faveur de la lâcheté était celle de Pétain ?

Ce n'est pas l'essentiel. Le fond de la question est que l'abdication morale est au départ de toutes les politiques et de tous les moments réactionnaires, et que dans de telles conditions l'ordre de la rue, et les forces qui le font régner, sont la représentation actuelle de l'immonde.
Entendons-nous bien : ce ne sont pas seulement des porteurs d'uniforme qui sont les vecteurs de ces forces-là. Ce sont tous les « malins » de Camus. Un bourgeois doit des milliers d'euros à une jeune entreprise : il ne paie pas, car il joue au golf avec le président du tribunal local de commerce, et il sait que l'intégrité de ce magistrat ne saurait aller jusqu'à condamner un partenaire de ce noble sport. Un faraud s'est placé sur une liste municipale, et abuse de ses relations de conseiller pour faire faire aux frais de la commune les travaux qui avantagent son exploitation : le parti dont il a choisi l'étiquette veille sur lui. Un syndic de copropriété met dans sa poche les chèques d'assurance qu'il est censé transmettre : il a appris les lenteurs et impuissances de l'institution judiciaire. Un administrateur monte une cabale et désarçonne un chef de service ou un inspecteur trop honnête pour accepter ses tricheries : il connaît assez de monde pour être tranquille...
L'exemple vient de haut, si ce terme n'est pas de trop dans la hiérarchie politique. On a vu un président, de longue date professionnel en relations d'argent plus que douteuses, joindre à ses malpropretés et insolences de campagnes électorales le dévergondage d'une augmentation aussi énorme qu'injustifiable de ses émoluments officiels. On a vu un ancien député, ancien ministre, s'asseoir dos tourné à une juge d'instruction devant laquelle il était convoqué pour affaires mafieuses, tandis que ses avocats se chargeaient de régir l'entrevue à laquelle seul il n'aurait su résister. On a vu une énorme et honteuse fortune française tâcher de se faire belge pour payer moins d'impôts. On ne compte plus les détenteurs de capitaux qui fuient en Suisse et ailleurs pour abuser en paix de ce qu'ils ont volé, légalement ou non...
Pour ce monde de grands et petits « malins » vote un tas d'ignares et d'imbéciles qui ne profitent même pas — parfois tout le contraire — du système : ils admirent les ordures et deviennent des sales, pour avoir une voiture ou des vêtements qui les font "paraître". C'est ainsi que la pourriture descend profond dans ce qui pourrait être le peuple, et qui ressemble de plus en plus à la populace.
Finissons par un retour au pire. Il y a des gens qui, lorsqu'un jeune être est victime d'une crapulerie pour avoir osé être vrai, lui recommandent d'aller faire excuse à la crapule pour tenter d'atténuer sa punition : et les gens en cause déclarent que c'est ainsi qu'on devient "adulte". Camus disait ci-dessus cette « sagesse usée », on répètera ici pour conclure : ce n'est pas devenir adulte, c'est propager la facilité et le désabusement, prolonger la réunion des lâchetés en déshonneur. C'est ainsi qu'on prépare un nouveau tour d'élimination des Résistants, c'est-à-dire des justes et des meilleurs.
C'est ignoble.

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