"Complotiste" est
un néologisme infâme que tout le monde utilise — alors qu'on n'a pas, que je
sache, qualifié comme il convient des trompeurs très officiels et actuels :
d'où ce titre. C'est pour aborder autrement l'effroyable réceptivité des foules
aux totalitarismes : en fait de tels dévoiements mentaux, le précédent Actuel
finissait sur l'intériorisation de la maladie monétaire, celui-ci parlera plus
directement de psychologie.
Les pouvoirs, donc,
surtout totalitaires, cherchent à dresser les citoyens en masses les unes contre les autres : cela peut être en guerre
au sens ordinaire du terme ; cela peut se passer entre maîtres de la
production, sous-fifres de commerce et consommateurs ; cela peut
fonctionner dans un quartier ou un immeuble, entre concierges très "aryens"
et locataires "sémites" — on l'a vu de façon intéressante lors des
proscriptions de juifs par Vichy (on fait tout pour oublier cette sinistre
origine de diverses fortunes françaises), on le revoit à peine différemment
dans l'islamophobie crétine du temps présent —. Mais il y a d'autres cas,
innombrables et tout aussi indifférents à l'obsession marxiste de classe :
mâles/femelles, vieux/jeunes, blancs/noirs, manuels/intellectuels — désignations
d'ennemis pour les susciter, tout pour séparer, rien pour enseigner à
comprendre.
C'est à tous niveaux. Il y a les catéchismes,
nationaux ou religieux — souvent confortés par des différences linguistiques ou
autres, mais ce renfort n'est pas nécessaire : on sait, au pays où les
guerres de religion ont été les plus barbares, que tous les brigands y
parlaient français —. Il y a aussi, avec une intensité déplorable alors même qu'on
commence à reconnaître ce qu'a été l'oppression correspondante, l'opposition
entre femmes et hommes : on la réexalte des "deux" côtés, comme
toujours, lamentablement, au lieu qu'on songe à éduquer, informer, instruire...
Telles sont l'universalité et la
facilité à éveiller l'agressivité dans l'espèce humaine (Actuels 84-5-6). Le
racisme et l'anticommunisme dans leurs expressions les plus criminelles n'en
sont que deux autres exemples. Cela ne vaut-il pas quelque approfondissement,
quelque effort pour en prendre conscience ?
La tendance vient de loin
qui refuse ce qui n'est pas soi :
refoulement de l'autre, refus du réel
hors de sa conscience, ou refus de ce qui n'est pas "comme moi" ou
"comme nous". Konrad Lorenz songe dans ses "fondements de l'éthologie"
à cette folie irréaliste (il dit "idéaliste", à la mode
universitaire). Il rappelle le vertige guettant tout cerveau humain sur le chemin
de l'éveil à la réalité : au moment de la réflexion, comme on dit si justement en latin (et en grec : psyché),
on ne peut manquer de se demander la différence entre le perçu venu de l'extérieur
et de soi, depuis sa pensée même. Un tas de gens n'ont pas résisté à la folie
qui peut en résulter — parmi les cas célèbres il y a Descartes aussi bien que Sartre
—. D'où les scolastiques, appelées philosophies en universités, où Hegel a pris
voici deux siècles la succession d'Aristote comme nul ne veut le voir. Le maître
de Marx (et de bien d'autres qui se crurent révolutionnaires) est, par son extrémisme,
le plus éclairant : une maison, dit-il par exemple, c'est d'abord une idée,
un plan architectural, et toute maison n'existe que postérieurement à ce plan,
"donc" les idéalités sont antérieures, "donc" plus réelles
que leurs matérialisations (idealia sunt
realia ante rem) — les maisons tombent en ruines, "l'idée"
demeure !
Ce n'est en fait, donc, qu'un vieux
sophisme moyenâgeux — tellement bête qu'il est arrivé même à Diderot d'en
rester quelque peu estomaqué : il y a d'autres cas où un abîme d'idiotie
laisse sans voix —. Lorenz n'a pas de mal à y opposer que nos ancêtres
cavernicoles avaient rencontré des chiens (précédés en cela par des ancêtres
non humains !) longtemps avant que des esprits faussés ne se mettent à égarer
les esprits par "l'idée" très
postérieure de chien... Mieux : on peut remarquer que notre
galaxie et beaucoup d'autres ont existé des
milliards d'années avant que "l'idée" en vienne à des savants
— au nombre desquels, il est vrai, on ne saurait ranger Hegel et ses compagnons
en pathologie mentale...
Cependant cette maladie demeure, et
sa contagion avec. De même, depuis sa répétition par Socrate, l'aberration du
"connais-toi toi-même", autre folle recherche du vrai "d'après
conscience d'abord", se poursuit en paroxysmes affreux. Comme aux temps
passés, on ne compte plus aujourd'hui les
mages qui veulent tout fonder sur leur intuition de ceci, de cela, du moi, du
soi, du divin et de n'importe quoi. Les renaissances de tels succès à la Gandhi
ou Khalil Gibran ne sont pas, de ce point de vue, très éloignées des séminaires
d'Ecône, des wahhabites ou des brahmanes et autres bouddhistes. On ne peut se
contenter d'en accuser les fous les plus en vue.
Il
faut donc bien faire retour à la tendance tout humaine qui dérape de l'effort
de réflexion à l'oubli du réel, et en réexaminer les racines.
La forme suprême de
conscience est le savoir, propre de
l'humain, et "extra-personnel"
(Einstein) : social, jamais restreint à un individu — deux et trois font cinq, la Terre n'est pas au
"centre" du monde, la vie résulte de l'évolution, des refoulements
psychiques interdisent de "se connaître" —. Toujours, ce savoir a été
combattu dans notre héritage par ce qu'il y a de plus actif chez les
primates : la recherche d'insertion parmi les congénères, élaborée en
obsession de parade-et-pouvoir
qui, elle, régresse en individualisme bestial.
L'évolution humaine a certes malgré tout donné les échanges intenses
aboutissant au plus élevé et impersonnel : la
culture. Mais les déterminismes aveugles du cosmos nous précipitent pour le
moment plutôt vers l'anéantissement de notre espèce : car les leviers de
commande des plus terrifiants robots — missiles ou automates — sont tombés entre
les mains d'obsédés absolus du pouvoir. En fait ces cinglés ne sont eux-mêmes
que les jouets de déterminismes de comportements hérités de singes, et ne comprennent
rien à leur essentiel : la rage de domination à tout prix, à tout risque. Ils
sont persuadés de leur capacité à jouer indéfiniment avec le feu nucléaire et la
misère des pauvres, et incapables de mesurer les dangers qu'ils font courir à
la vie et à la planète.
C'est déjà horrible. Mais il y a un
obstacle plus constant et ordinaire à l'éducation humaniste : c'est que la
perversion, l'affirmation bête
de son être au lieu de l'épanouissement humain, social et historique, atteint
des foules d'opprimés se complaisant dans l'ignorance. Cela peut aller jusqu'au
refus en bloc du réel et au repli absolu sur soi (solipsisme, relisez 1984 d'Orwell) ou au moins sur
l'entre-soi (oligarchie, ibidem) :
mais les refus partiels du savoir acquis — préférence pour des dadas ridicules,
goût de la parade, de se passionner et se poser même en petit comité, paresse contre
les patiences et bonheurs d'apprendre, empressement à discutailler au lieu de méditer
— sont loin de ne concerner que de telles brutes.
Ainsi
tentez de convaincre un écologiste ordinaire, par exemple hypersensible aux
dangers du pétrole ou du nucléaire, que ce n'est pas avec des éoliennes qu'on
va diminuer les risques d'anéantissement par la prochaine guerre. Tentez de
convaincre un marxiste orthodoxe de la crapulerie de pouvoir, hors
"classe", dans tous les partis "communistes" et autres
"refondés", trotzkisés ou non, notamment des infamies de
milliardaires chinois se posant encore en membres d'un P"C" au delà de
tous les ridicules. Ou bien, contre d'autres religions que le marxisme, tentez
de rappeler à un de leurs fidèles l'histoire et l'installation de sa foi...
Tentez de faire se souvenir de
"Nuit Debout", il y a à peine plus d'un an : sous prétexte d'éviter
une chefferie, on donnait la parole libéralement deux minutes à ceux qui
la demandaient — ainsi personne en fait n'informait ni n'écoutait personne :
mais le gourou Lordon parlait des heures ! Que dirait-on d'un médecin qui,
pour soigner une nouvelle peste, ferait défiler pour deux minutes,
"démocratiquement", chacun de ceux prêts à faire un diagnostic, et
qui laisserait ses patients crever tandis que le dernier avatar de Bouddha prêcherait
de nouveaux textes sacrés ?
Cette folie est partout. Chacun
des plus malades ramène sans peine à son hobby mental tous les débats, sur tous
les sujets. Et lorsqu'on s'avise de rappeler qu'il y a des tris à faire (en
quelle urgence !) on passe pour un dogmatique d'autant plus aisément qu'on
offre des faits et des relations dont l'étendue et la masse écrasent
les mesquineries érigées en opinions. C'est ainsi que la pathologie se soutient
chez les plus abrutis et se répand chez les autres. Comme chez Rousseau
achevant dans la solitude son obsession d'être mage et martyr, chaque psychose
est de plus en plus irréversible,
chaque psychotique est de plus en plus invulnérable,
de plus en plus inaccessible
aux données de faits : ainsi quand on relit en paix par exemple les
affirmations ineptes de ce Jean-Jacques sur l'histoire des sociétés humaines,
on se demande avec une angoisse toujours croissante comment cette dénégation prétentieuse
et absurde de la réalité peut encore être enseignée comme pensée de synthèse.
Mais il est vrai qu'on peut en dire autant de tout ce qui passe pour
philosophique en enseignements officiels : c'est un des cas flagrants où
le prétexte de "liberté" sert de refoulement
de la vérité.
De là si souvent le dégoût de la
philosophie comme de la politique, engendré par les hâbleries de discours électoraux
comme de "philosophies" officielles, par tous les prêchi-prêcha
d'ignares s'érigeant en grands sorciers. Il faudrait y opposer encore sous
d'autres formes que la seule vraie issue, à l'oppression de l'humain par la
sauvagerie naturelle, est d'inciter
chacun par le savoir à la société véritable, à la lutte démocratique tournée en
toute priorité contre les psychotiques suragressifs. Car ceux-ci
s'occupent, eux, avec constance, de politique-lutte-pour-le-pouvoir, tandis que
trop d'autres s'égarent ou se
laissent égarer. Peut-être qu'un
dernier exemple fera mieux penser à ce qu'il faut, et à ce qu'il ne faut
surtout pas.
Dans un petit groupe de
personnes cultivées, on vient de parler de terrorismes. On a dénoncé la manipulation des foules pour les
enfermer dans la crainte et la haine, pour dissimuler les accaparements de
biens, on a dénoncé l'inimaginable infamie des privilèges en "inégalités"
toujours plus cruelles, avec "lois" et "réformes de code"
concernant le travail, la création des richesses. Quel écho en résulte-t-il ?
Très vite, ressort d'abord comme remède
à la férocité des dominants l'analyse de soi ("connais-toi toi-même") :
pourtant on vient de rappeler l'impossibilité de ce faux savoir, les processus
de refoulement, l'inanité de ce repli sur soi, on vient d'essayer de faire
revenir à la lutte contre les privilèges...
En vain. Puis l'inévitable prêcheuse de service réenfourche le dada féministe de
l'oppression par les mâles et le présente comme source universelle de la
domination et des malheurs de notre espèce — en caressant amoureusement son
ventre de fâme et en roulant des yeux d'extase pré-orgastique...
Tentez
de faire comprendre à cette sorte de féministes, dont riait déjà la forte Doris
Lessing il y a trente ans, que dans sa mise en scène et en farce intimistes
elle est surtout guidée par son animalité agressive, qu'elle ne veut que
recrier ce qui lui a paru être un moyen de parader,
et qu'agissant de la sorte elle ne fait que régresser au stade des guenons hurlantes
dépeintes par Montaigne, se battant pour atteindre les plus hautes branches
afin d'y exhiber leur cul !
Cette démagogie, comme d'autres,
ne manque jamais de succès. Mais donc, il n'y a pas que les financiers ou leurs
pantins pour être atteints de la maladie de parade-et-pouvoir :
bien d'autres égareurs font le
malheur humain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire