Rappel et résumé du cadre historique
La
grande Révolution française est un évènement premier, unique dans
l'histoire : jamais auparavant, jamais aussi nettement depuis, la prise de
conscience élargie par le savoir n'a permis de porter coup aussi rude à
l'oppression. Cet élargissement a été extraordinaire en cette occasion par sa
diffusion et sa globalité : sa diffusion, car même des privilégiés ont été
rendus sensibles à ce qui venait de l'Encyclopédie, à la spécificité humaine
qu'est la possibilité d'extension indéfinie de la conscience ; sa globalité,
car le savoir pris comme repère était vraiment ce qu'il doit être, tiré de toutes les connaissances disponibles.
La
criminelle réaction s'est traduite sur le vital plan théorique, pour la dire en
un mot, en Hegel : effacement du recours essentiel à l'expérience (à la confrontation
à la réalité universelle, d'abord cosmique), et reprise de la maladie
spéculative avec établissement d'un nouveau Verbe de pouvoir : le
pédantisme infernal de la dialectique — en bref : retour aux formes
religieuses au lieu des exigences de la raison.
On
ne veut pas, encore aujourd'hui, voir à partir de là la double faute
marxiste : 1) ramener le savoir, sous prétexte de matérialisme, à l'économanie ; 2) prétendre que la
syphilis dialectique pouvait donner vie à la connaissance. La première erreur
est à la rigueur compréhensible, dans la mesure où la révolution industrielle
rendait énorme l'importance des moyens de production et le recrutement
d'ouvriers, ce qui laissait place à certaines espérances de regroupements dans
la lutte contre les tyrans à ce moment les plus solidement ancrés. La seconde,
strictement inexcusable, n'a pas manqué de donner l'infection et l'empoisonnement
de l'élan révolutionnaire.
En
ces matières et malgré des insuffisances aujourd'hui bien visibles, l'Histoire
de la Révolution française de Michelet est irremplaçable dans son rendu
quasi-journalistique, et remarquablement corrigée déjà par les notes de Gérard
Walter dans la collection "la Pléiade". Mais mieux encore, dans les
notes situant les personnages des temps précédant la Révolution, Walter écrit
de Diderot : le vrai précurseur de
la Révolution, [que] Michelet n'a pas su comprendre et apprécier à sa juste
valeur. Hélas Michelet n'est pas le seul : car (cf. Actuel 122) les plus
actifs meneurs de 1789-94, et trop de ses étudiants ensuite, se sont référés au
mage et antiphilosophe Rousseau, ou au déiste Voltaire (tout historien que
celui-ci soit parfois), alors que Diderot subit encore la censure diversement
acharnée de prêcheurs de "sciences humaines".
Suivons
au contraire n'importe quelle biographie sérieuse de Diderot (par exemple, celle
d'Arthur M. Wilson, en français chez Laffont-Ramsay, Paris 1985 — cf. p. 199
en particulier) : elle ne peut manquer de montrer comment ce grand et vrai
penseur se rangeait parmi ceux qui cultivaient la philosophie expérimentale,
le fond de la question. Car pour restituer brièvement l'immensité et la puissance politique de la synthèse
opérée par Diderot, il faut se rappeler qu'il s'est attaché à la définir et à
la mettre en œuvre,
–
non seulement contre toutes les cratophilies,
les pseudo-justifications verbeuses de pouvoir-violence — dont l'encyclique
mentionnée ci-dessous, comme Hegel tout entier avec sa descendance, sont des exemples
spécialement éclatants —
–
mais en vue de la révolte humaine
planétaire contre l'héritage
d'animalité représenté par les tyrannies en armes ou en soutanes, contre leur domination de brutes
opposées au progrès, et certes d'abord au progrès de la connaissance.
C'est cet élan de philosophie vraie,
pratique, politique, qui est le profond de l'accomplissement de Diderot,
c'est cela qui donne tout son sens à la diffusion, à la mise à portée de savoir,
à l'élargissement de conscience
qu'il a tant voulus et réalisés malgré la trahison de son infâme éditeur. C'est
cela sa plus grande leçon, que nous avons à notre tour l'absolu devoir de
mettre en acte pour laisser à notre espèce ses chances de survie. C'est ce coup
mortel au fondement des tyrannies, religieuses en particulier, qui fait la
haine pérenne du Vatican contre la Révolution française — et, si souvent
depuis, contre la France elle-même (sinistrement de 1905 à 1945).
En
résumé de résumé : suite inéluctable de l'Encyclopédie, la Révolution de
89 a rapproché d'une prise de conscience précise,
très étendue, de la réalité et de la nécessité absolue du recours à l'expérience, cœur de la seule vraie
philosophie, expérimentale (soit
dit en passant : je ne sais comment j'ai pu fixer en souvenir, tout faux,
que la définition en était dans l'article Animal de l'Encyclopédie). Hegel, puis le marxisme, ont fait
complètement perdre de vue ce foyer vital de pensée-action. La
mondialisation des échecs révolutionnaires et des succès mortels de la réaction
vient de là. Autant on en fait sortir, autant on redonne vie à l'espérance
humaine.
Il y a en pdf, dans mes
deux ordinateurs, le texte français de l'encyclique Fides et ratio (Foi et raison)
signée par Jean-Paul II. Deux scans, suivant deux versions différentes d'Adobe Reader, ont été effectués pour
voir
combien de fois y figurent les mots d'expérience,
expérimentation
et associés,
et tous ces essais ont donné la même valeur :
zéro...
Il est significatif que la source de
toute vérité, l'expérience-science-et-histoire,
soit ainsi vicieusement tue par le Vatican ; comme il est patent que la papauté
est désormais établie en suprême recours idéologique du totalitarisme financier
mondialisé, contre la justice. En ce moment d'ailleurs, divers sites rappellent
les dévergondages qui prétendent commémorer Maurras et assassiner la mémoire de
l'inconduite papale autour de la Seconde Guerre Mondiale. Malheureusement, ce
n'est pas assez, et trop souvent sur ces sites on prétend honteusement hausser
le marxisme en science et omettre ce qu'il a représenté lui aussi de trahison des Lumières. Il y a donc beaucoup à
rétablir en ces affaires, et il faut profiter de cette nouvelle occasion de revenir
aux sources du juste.
Une certaine cohérence
monstrueuse fait de l'Eglise catholique la plus terrible officine de lutte
contre la vérité. Car le plus grand crime de guerre est la suite dense de
massacres et de tortures qui a imposé la soumisssion par l'Inquisition,
croisade après croisade, siècle après siècle, colonie après colonie ; le
plus grand crime contre l'humanité est de s'en prendre encore aujourd'hui aux
âmes, affaiblies par la dépendance et l'ignorance dues à l'enfance ou aux
cruautés de l'histoire, pour les assommer des faussetés du catéchisme ; et
le plus grand crime contre l'esprit est le dévoiement d'histoire dans le procès
de Galilée, en fait procès du principal contributeur à la méthode expérimentale. Voilà toute l'Eglise.
Foin des définitions juridiques —
d'honnêtes gens croient devoir se référer à des histoires de tribunal de
Nuremberg pour parler de crime contre l'humanité : c'est pitoyable, car le
"droit" écrit n'a jamais été que le code d'oppression rédigé par les
plus forts d'un moment —. Ici au contraire, il s'agit du sens universellement accepté des
mots : crime ou vérité, guerre ou esprit, ignorance ou humanité. C'est infamie,
de prétendre à une "vérité" catholique. Car la source de la
seule vérité est celle que toute
l'humanité reconnaît inévitablement, malgré les endoctrinements variés et
les confusionnismes de professionnels : c'est l'expérience-science-et-histoire.
L'expérience
est aussi, il faut le répéter, le fondement d'une haute valeur humaine :
la justice. Valeur à laquelle s'oppose le plus régulièrement depuis sa
naissance l'empire romain, reconverti en papauté et ère chrétienne comme l'a
démontré Edward Gibbon — porté par son siècle, et malgré ses faiblesses.
Les Lumières se sont éloignées. Il
est grand temps de revenir aux puissants repères et phares du réel et de la
prise de conscience.
Avec
tous les progrès de science et d'histoire, que ce serait simple sans les
dévoiements d'inquisiteurs supplémentaires, hegeliens et autres !
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