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Ce blog comporte quatre parties :

– les articles simplement actuels

– des textes de fond, insistant sur le point de vue expressément politique adopté partout ici

– des rédactions plus anciennes par exemple à propos de simples citoyens d’un côté, de potentats de l’autre, aux Etats-Unis

– des échanges avec correspondants qui seraient trop restreints à l'intérieur des cases prévues.


jeudi 1 février 2018

Actuel 122 Malchances ou fautes ?

Ce qui a pu durer s'est fait à travers vice et incohérence, en histoire humaine
de façon aussi lamentablement aléatoire que dans le cosmos et l'évolution.
Car ce qui est juste, l'expérience-science-et-histoire, est encore peu diffusé : d'un côté on sait mal expliquer, surtout les découvertes récentes ; de l'autre côté les gens sont si primitifs, craintifs et abrutis qu'ils cherchent bien plus vite à fuir en faveur de mirages ce que l'expérience découvre, qu'à accepter la réalité. Ainsi se perpétue l'héritage de barbaries et de tabous, donc des tyrannies, dogmes et scolastiques.
            Les plus grands échecs des progressistes tiennent à cette catastrophe immanente : à cause d'elle, les révolutionnaires les plus actifs de 1789 ont rétrogradé à l'infâme prêche rousseauiste, et ceux de 1905-1917 ont brandi comme référence l'héritage théologique de Hegel, badigeonné par Marx d'illusions sur le messie prolétarien et ainsi fort efficacement maintenu irrationnel et antiscientifique.

                        Rousseau d'abord.
            Buonarroti était atteint, comme Robespierre, par l'investissement dans la vague "égalité" de Rousseau. Mais il fut aussi compagnon de Babeuf et comme lui communiste fort courageux et résolu. Une réédition de ses souvenirs sur la conspiration des égaux a été menée par Arthur Ranc en 1869 (Ranc était encore "de gauche"), et le recul d'une nouvelle génération permettait déjà des remarques admirablement éclairantes : ainsi p. 26 de cette réédition (BNF-Hachette), quand Buonarroti s'égare à écrire, à propos des dérapages dès avant Thermidor où déjà s'instillaient des véroles d'Etre suprême,
"ce culte sublime qui, confondant les lois de la patrie avec les préceptes de la Divinité, doublait les forces du législateur, et lui donnait les moyens d'éteindre en peu de temps toutes les superstitions et de réaliser tous les prodiges de l'égalité",
Ranc ne manque pas de placer en note :
"Voilà où se marque bien la détestable influence de Rousseau, promoteur de la réaction  religieuse contre la philosophie du dix-huitième siècle. Imbu des principes religiositaires de Rousseau, Buonarroti ne se rend pas compte qu'en instituant la fête de l'Etre suprême et en frappant l'athéisme dans la personne des hébertistes, Robespierre a frappé la libre pensée elle-même et donné le signal de la contre-révolution."
            En effet : non seulement Robespierre a eu largement tort contre les "hébertistes" (ce que Buonarroti reconnaît, cf. même édition, la note deux pages plus loin), mais il a été plus coupable encore en s'en prenant à l'héritier direct de la philosophie expérimentale au moment de la grande Révolution, Condorcet (qu'il traita de "lâche Caritat"). A-t-il des excuses ? estima-t-il qu'on ne pouvait d'un coup faire fi de bien des siècles de tradition religieuse ? sommes-nous en mesure de juger des éléments d'intuition justes et des réflexes ambitieux sales d'un des plus grands révolutionnaires ? Cela peut être discuté. Par contre, le caractère malhonnête de Rousseau et son déséquilibre mental d'ensemble sont sans contestation possible, aussi bien dans ses fumées philosophiques que dans ses prosternations aux seigneurs de Genève ou dans son comportement et ses écrits relatifs à ses contemporains (Voltaire déjà, mais bien davantage d'Holbach et surtout Diderot).
            Or c'est justement son vice qui a fait le succès de Rousseau. Car la fascination qu'exercent de purs hâbleurs, ignares en savoir rigoureux et téméraires en affaires humaines, exigeant en vrais chefs la soumission et non la compréhension, est une constante politique de toute l'histoire de notre espèce. C'est dans cette ligne que
les théologiens et prophètes se sont toujours empressés de projeter au ciel des dieux
en se montrant incapables de voir la réalité des astres et de l'atmosphère ;
ils ont toujours accumulé les racontars absurdes et les ratiocinations maladives
tout en méprisant les évidences de l'expérience et les exigences de la pensée.
Ces faux recours "magiques" et ces fausses fécilités sont
au principe même de leur ridicule, et de leur contagion.
            Contre cette perversion, Einstein disait à propos d'Aristote : "si ce genre de philosophes n'était pas si obscur et si confus, il ne se serait pas maintenu aussi longtemps. Mais les gens ont justement un respect sacré des mots qu'ils sont incapables de comprendre" — sacré : comme les textes sacrés, avec leurs obscurités, engendrant les disputes des théologiens et les scissions des marxistes. De même encore, non l'incapacité, mais le refus de comprendre est aussi une donnée manifeste — cultivée certes par les pouvoirs, mais d'origine plus ancienne : c'est la rechute grégaire qui fait se ranger confortablement dans un troupeau, la tendance primaire animale, bête, au lieu de l'effort proprement humain d'extension de la conscience.

                        Marx ensuite.
            Quand on commence à maîtriser les poussées moutonnières qui encombrent tout itinéraire intellectuel, et à se faire idée des répressions et sauvageries qui ont obligé tant d'honnêtes gens à se ranger souvent auprès des marxistes (en fait : moins auprès d'eux que contre des réactionnaires plus évidents et plus immédiatement dangereux), on doit relire et comparer deux ordres de textes :
            ceux des "Lumières" — déjà Montesquieu surtout polémiste ; Voltaire tant qu'il dit de l'histoire et qu'il ne se prétend pas autrement philosophe ; et puis d'Alembert, d'Holbach surtout mûri, Diderot plus que tout autre, voire parfois Rousseau quand il ne fait que s'attribuer les idées volées par lui dans le salon de d'Holbach, ce qui arrive souvent — : tous disent des faits, tous parlent net, tous s'expriment pour être compris
            – et en opposition les textes d'abord de Hegel, cumuls de scolastique et de rage anti-réaliste et spéculative inégalée depuis Thomas d'Aquin, encore épaissis de pédantisme et d'obscurantisme plus fort qu'Aristote même, puis dans cette lignée Marx, surtout dans ses dissertations indéfinies en "critiques de critiques critiques" qui donnent le ton et le style au plus gros du reste — de Hegel comme de Marx, on a ainsi des livres et des livres sur d'autres livres, et une notion de la "science" qui eût semblé ridicule même à Montaigne (gravement faux à cet égard, mais plus excusable de ne voir dans ce mot que la lecture des anciens lettrés).
Nous venons de rappeler Babeuf, Buonarroti et les Egaux : ils furent bien entendu englobés en "incultes" (p. 572, tome "Philosophie" des Œuvres dans La Pléiade) par Marx, toujours avide d'écarter et salir ceux qui bien avant lui faisaient appel à expérience, savoir et raison — il est édifiant de chercher combien de fois Marx cite Galilée, le plus important contributeur initial à la méthode expérimentale, ou Diderot, le plus clair auteur de la philosophie expérimentale —. De Thalès et Thucydide aux Lumières en passant par le monde mahométanisé, toutes les sources de la rationalité sont barrées par Marx, qui au contraire ne manque pas de s'agenouiller devant le sinistre Aristote, l'également obscur Spinoza, et le mage Rousseau : c'est, partout et toujours, une vacuité ignorante et acharnée sur les origines des principes expérimentaux, sur les courants de pensée les plus rigoureux de l'histoire ; c'est le sectarisme dans les ténèbres pré-totalitaires dont les disciples ne sont jamais sortis, malgré quelques protestations d'Engels — et malgré les bien plus vigoureux rappels de Lénine.

                        Ce qui était déjà grave chez Rousseau (le prêche ignare "écartant tous les faits", comme il écrit lui-même) devient catastrophique après la rétrovolution hegelienne et Marx : car, peu compréhensible, celui-ci facilite considérablement l'illusion qu'il est savant, et donc l'admiration, le respect sacré dont parle Einstein pour des mots qu'on ne peut comprendre. Il est d'ailleurs drôle de voir que ce qui fait finalement le succès d'Einstein, c'est la difficulté de l'apprentissage exigé par son renouvellement du cadre physique (analyse tensorielle infinitésimale et relativité générale) : car les bêtes humaines s'arrêtent bien plus volontiers à admirer une "célébrité" sans comprendre, qu'à dépenser de l'énergie dans le cortex qui pourtant les caractérise ; et dualement, là où Einstein est extraordinaire à la fois de simplicité et de profondeur — dans tous les fondements qu'on lui doit de physique quantique — il est rageusement décrié et voilé par les réactionnaires, aussi abondants aujourd'hui en université que partout ailleurs, sans guère de protestations...

                        Konrad Lorenz, lui aussi, est simple et clair quand il parle de science (et qu'il ne s'égare pas à tenter d'amadouer les traditions prétendues philosophiques) : d'où l'insuccès de l'éthologie, surtout politique (cf. dans ce blog  les Actuels 84-5-6 de mai 2015, ou plus vite 120 de décembre 2017).

            Reste à évaluer les chances de survie humaine et d'assimilation du savoir essentiel, après l'oubli des Lumières et deux siècles d'obscurantisme hegelien.

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