En trois mois bientôt de
colères incessantes dans la rue contre la "loi travail" (et ça
pouvait se faire avant, en bien d'autres occasions), personne n'a fait entendre
ce mot-ci : provocateur. Son existence
est pourtant attestée par tous les dictionnaires — des références anglo-saxonnes
précisent même, en littérature et histoire : agent provocateur, ce qui est drôle avec l'accent d'Outre-Manche...
De la part des media de la finance,
on comprend l'évitement du terme : il ne faudrait surtout pas, de leur
point de vue, que le bon peuple se souvienne de l'ancienneté de tels procédés
du pouvoir — par exemple déjà utilisés pour égarer la plèbe par les patriciens
de Rome —, ni que les gens du commun y reconnaissent des techniques devenues systématiques
dans les raffinements des pouvoirs bourgeois.
Mais pourquoi diable même la CGT (qui
à de certains moments a semblé se souvenir de la tradition qu'elle revendique),
pourquoi même les gens de Solidaire (qui
ont osé des remarques ironiques sur les cagoulés se préparant en ordre de
marche derrière des rideaux de hordes de l'ordre), pourquoi enfin tant et tant
de reportages, vidéos, discours, interventions, censément en faveur de la colère
populaire, n'ont jamais osé dire l'évidence ?
Cependant,
on entend susurrer, sous bien des formes, les volontés de voiler le centre et
le cœur de la question.
On dit ainsi que, parmi les cagoulés,
il y a des enragés devenus incapables d'orienter leur fureur, et qu'il est très
facile d'inciter (de provoquer) à peu
près à n'importe quoi. C'est vrai. Mais qui se donne le mal de montrer que la
rage, alliée à la consommation de substances fort dangereuses dont l'alcool,
n'est pas combattue mais encouragée
par le système en place ? En particulier, qui ne veut parler que d'"inégalités"
au lieu de laisser dire des injustices plus qu'absurdes, enflant les comptes en
Suisse de précautionneux pendant qu'on crève de toutes les misères dans les
"quartiers" ? qui fait que les techniques écrasent de chômage au
lieu de libérer le travail ? S'il y a alors des enragés, est-ce leur maladie
qui leur fait choisir pour cible des vitres d'hôpital, ou au contraire est-ce le
professionalisme de connaisseurs, qui préparent l'exploitation médiatique de
telles folies ?
On entend de même, et c'est encore
plus drôle, déclarer inimaginable que des flics déguisés s'attaquent à leurs
confrères en uniforme officiel. Sans blague ! Les archives, par exemple de
Là-bas si j'y suis, sur les combats
organisés à l'intérieur des camps
d'entraînement, entre CRS, ne sont-elles plus publiques ?
Il y a ainsi des temps où,
à force de terreur (clairement ressentie ou non), beaucoup deviennent incapable
de dire, et de penser, net. Il y a ainsi des gens qui, pour ne pas risquer
l'accusation de "complotiste", sont capables de tourner indéfiniment
autour de tous les pots au lieu de faire saillir les forces et les faits.
C'est effroyable. Les pouvoirs —
dont les Etats — du monde manient avec toujours plus de dextérité les manipulations de foules,
tandis qu'en face ceux qui se disent et parfois se veulent au service de
l'humanité perpétuent l'ignorance, le refoulement des données d'histoire et de
science. Déjà en soi, le refoulement est très difficile à combattre : mais
il est impardonnable d'y ajouter le délaissement des données et des mots qui
permettent la lutte et la victoire contre les obscurités et les égarements.
C'est en ce moment que la nécessité sans cesse plus éclatante est de savoir dénoncer
les crimes et mensonges des pouvoirs — rappeler l'ancienneté des tromperies
contre les révoltes de pauvres depuis Rome, puis les astuces des polices
bourgeoises contre les revendications étiquetées subversions et désordres ;
dire et démonter les facilités de perversion de réactions profondes étiquetées
instincts.
Il y a eu encore ces jours derniers,
sur France-Culture, des déviants allant chercher chez un de leurs confrères
(Georges Bataille) la solution à l'aveuglement marxiste sur le fonctionnement
psychique et les régressions grégaires en politique. Or les études de Darwin et
Freud sur l'enracinement animal du
comportement et du psychisme humains ont plus d'un siècle — et les pages
admirables de Lorenz plus d'un demi siècle (cf. encore et toujours le
"condensé d'éthologie politique" proposé ici en mai 2015).
Combien
de temps faudra-t-il encore pour que les progressistes s'en saisissent ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire