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Ce blog comporte quatre parties :

– les articles simplement actuels

– des textes de fond, insistant sur le point de vue expressément politique adopté partout ici

– des rédactions plus anciennes par exemple à propos de simples citoyens d’un côté, de potentats de l’autre, aux Etats-Unis

– des échanges avec correspondants qui seraient trop restreints à l'intérieur des cases prévues.


mercredi 27 mars 2013

Actuel 38 Du défaitisme


"Puis sont venus les barbelés, je veux dire les tyrannies, la guerre, l'insupportable haine, le temps de la révolte. Il a fallu se mettre en règle avec la nuit, la beauté du jour n'a plus été qu'un souvenir. Mais dans les pires années de notre folie, ce souvenir ne m'a jamais quitté. C'est lui qui pour finir m'a empêché de désespérer, et l'on sait qu'il y a aujourd'hui plusieurs façons de désespérer, dont la plus commode consiste à trahir ses frères, et consentir à ce que l'homme soit asservi".

C'est sur un vieux microsillon de 25 cm (Disques "Festival", FLD 19, collection "Leur œuvre et leur voix"), qu'on trouve une récitation par Camus de son "Retour à Tipasa". Elle est assez différente du texte retenu dans l'édition "Pléiade" de ses œuvres — curieusement Quilliot, d'ordinaire si attentif à présenter les variantes des manuscrits, n'en fait pas mention —, et puis c'est beaucoup de l'entendre dans la diction, les intonations de l'auteur même : Camus était considérablement homme de théâtre. Mais les extraits qu'on vient de relire sont aussi davantage.
Souvenons-nous, et transposons. Avant 1939 en Algérie, pour une certaine jeunesse coloniale il y avait surtout, au quotidien, la liberté, l'air, le ciel et les flots. Ce sont ces anciens éclats de bonheur que le texte oppose à la grisaille si souvent mortelle d'une Europe en guerre mondiale brûlante puis plus froide, écrasée par des totalitarismes ou en préparant d'autres. Même antithèse dans l'âme de Camus retrouvant Tipasa après son Nobel : il voyait installée, contre des beautés naturelles encore rehaussées par des ruines, souvenirs de pierres, contre des splendeurs de vie passée ou présente, l'horreur de ferrailles en clôtures — repoussantes de laideur et de mauvais souvenirs : "les barbelés".
Contre "la beauté du jour" ceux-ci, nus ou sous béton, ont gagné beaucoup de terrain, sous des formes plus ou moins agressives, de par le monde de nos années 2010 : le consentement aux trahisons de l'asservissement se répand et s'étale à des échelles qui furent impensables. Ce sont d'abord les extériorités de pourriture médiatique et prêches de mort enchevêtrés, incitations aux faux conforts ou propagandes d'"insupportable haine". Mais c'est aussi, intérieurement dans les êtres, le cancer d'une inertie aux multiples métastases : sur le plan culturel, l'ignorance ; sur le plan de l'échange intime ou social, le repli sur soi ; contre l'action de plus en plus nécessaire, la paresse ; en affaires enfin de morale, la lâcheté. Il faut bien appeler parfois les choses par leur nom.

Ces jours-ci la relecture d'essais actuels, qui se veulent des propositions pourtant, laisse un goût amer. Une foule de gens, à l'occasion de bonne volonté, sont désespérants d'incapacité à l'étude avant qu'ils enfourchent leur recette-dada pour changer le monde. C'est ici un "alter-sommet", là l'invocation au protectionnisme, partout un déluge de mots — et l'oubli voire la condamnation de l'essentiel, qui est la nécessité de traduire la révolte en violence démocratique et populaire. Pardon de le répéter encore : on ne brûle plus la vérité, on la noie ; mais les noyeurs ne sont pas seulement les miroirs aux alouettes des religions et autres publicités : ce sont aussi beaucoup de gens qui ont trouvé leur tribune, et sont ivres d'y parler sans plus écouter en dehors de leur audience. A croire qu'au fond partout, on a si peur de l'évidemment nécessaire qu'on préfère se saouler, et contribuer à saouler les autres, d'illusions vides.
Tant et si mal qu'à force de phrases creuses, même pas tellement sonores, on peut proclamer presque sans risques qu'il faut se résoudre à la lutte vraie : le pouvoir et la censure savent qu'ils sont gagnants à laisser dire. La répression du trop juste et trop clair attirerait l'attention sur ce qui importe : pour perpétuer l'échec et l'impuissance des progressistes, il est bien plus simple de ne rien faire, et de les abandonner à leurs égarements.

Mais jusqu'où et jusqu'à quand tout cela ? Un bon petit livre récent prétend à son tour dire ce qu'il faut — on pourrait discuter de sa thèse, mais finalement peu importe, car enfin le même défaut apparaît que partout ailleurs : cela se termine par une invocation à suivre la révolte... si enfin elle se produit en Grèce ou en Espagne ! Et pourquoi les Grecs et les Espagnols n'attendraient-ils pas que nous nous y mettions, nous en France ? N'y a-t-il pas assez chez nous de faces de rats à qui flanquer une raclée, pour commencer à renvoyer un peu de la violence où toute humanité étouffe ? Des médiateurs de la honte se sont surexcités de colère parce que des ouvriers ont un peu séquestré des cadres : pauvres, pauvres chéris ! Qui, où, acceptera d'entendre que ce ne sont pas seulement des cadres, auteurs largement rétribués de plans sociaux, à qui il faut s'en prendre ?
            Alors qu'en tous domaines la connaissance n'a jamais dit si clairement ce qui est, aussi bien que ce qu'il faut faire, nous sommes de deux ou trois siècles en retard sur les Encyclopédistes dans la diffusion des idées qui valent et la préparation d'une révolution française. Il est vrai que par exemple la compréhension de l'éthologie humaine demande un effort plus hardi et plus neuf que de rechanter — en clans séparés et étanches — l'Internationale...

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