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Ce blog comporte quatre parties :

– les articles simplement actuels

– des textes de fond, insistant sur le point de vue expressément politique adopté partout ici

– des rédactions plus anciennes par exemple à propos de simples citoyens d’un côté, de potentats de l’autre, aux Etats-Unis

– des échanges avec correspondants qui seraient trop restreints à l'intérieur des cases prévues.


samedi 21 février 2015

Actuel 78 Histoire générale des religions (II)



Tome II : Vérité contre régressions

La vérité est bien l'essentiel, pour construire tout le reste. Mais très peu de gens perçoivent l'importance de cette base d'équilibre. Les ignorants — toute l'humanité à ses débuts, puis chaque enfant — ne peuvent imaginer ce qui à terme répondra à tous leurs besoins, alors qu'au contraire ils éprouvent avec une grande intensité leurs appétits et leurs désirs simplement actuels. La diffusion et l'apprentissage du niveau de connaissance acquis, ou comme on dit de la vérité, requièrent donc de n'être pas troublés par l'absence de réponse aux nécessités vitales, et cela commence avant la naissance : une future mère mal nourrie ou autrement brutalisée risque de ne pas fournir à l'embryon humain ce qui lui est nécessaire, aussi bien en pure physiologie qu'en préparation des sens et des préprogrammes de comportement. On sonde un peu ainsi les dangers d'une enfance malheureuse, pauvre ou viciée par des us et coutumes largement pervers — ce qui recouvre encore aujourd'hui à peu près tous les cas — et l'étendue d'arriérisme encore actuel.
On doit donc repartir ici de la conclusion du tome I : tant que la plupart des enfants ne sont pas libérés de la misère — en particulier de martèlements idéologiques criminels avant de pouvoir juger, d'après l'expérience universelle et leur propre vie, de la pesanteur et de la puanteur de nos sinistres héritages —, il faut et il faudra la révolte de beaucoup d'adultes contre les malheurs et les pouvoirs, pour progresser un peu vers l'humanisation. Ce tableau du présent peut être saisi comme prétexte à ne rien faire : on doit alors rappeler que les confortables lâchetés du désespoir n'ont cessé de ralentir le progrès, et que désormais les excuses se font rares de se laisser aller à l'inertie. Car l'histoire permet de mesurer la distance parcourue, depuis les terreurs et les catastrophes naturelles ou guerrières dans les malédictions d'aube humaine, aux facilités de vivre aujourd'hui éclatantes et offertes. Il y aura toujours du monde pour d'un côté prétendre que rien ne sert à rien, et de l'autre vouloir à sa disposition tous les progrès de la médecine et de la vie bordée de splendeurs techniques. Il faut laisser ce monde-là à son absurde vanité.

Introduction
Le chercheur en toutes profondeurs, spécialement en affaires de religion, doit bien souvent repartir d'évidences : leurs répétitions n'ôtent rien à leur vérité. Il en est ainsi des mythes comme essai d'adaptation au réel.
Par exemple d'abord si, à défaut de calendrier, on dispose de contes sur le retour de fêtes qui marquent les saisons, c'est toujours façon de savoir un peu quand semer ou récolter : combien de telles "vérités" récupérées dans des religions ! Pareillement, un savant tout imbibé d'hellénisme (Pierre Lévêque) découvrait avec ravissement une divinité japonaise aux multiples traits proches de Cérès : parbleu ! il y a eu des paysans de bien des côtés du monde.
Mais il y a beaucoup plus profond encore : en tous lieux, il y a eu des besoins affectifs à satisfaire et des tout-petits à nourrir, protéger, élever autant que faire se pouvait. D'où les difficiles expériences, et au contraire les pseudo-réponses des religions, infiniment diverses et sans autre valeur que leur confrontation à leur histoire, leurs fabrications, leurs forgeages, leurs fixations en dogmes par les luttes, en général à mort, entre leurs prêtres comme entre leurs favoris ou manipulateurs "laïques". Cela résume toutes les aventures, si souvent risibles, en affaires de textes "sacrés" : ceux spécifiques à l'islam comme à la chrétienté commencent à s'établir un siècle après les évènements, sans parler des contes de Moïse ; cas extrême, l'Immaculée Conception a été officialisée et tout aussitôt figée en dogme seulement au milieu du XIXe siècle : il a donc fallu près de deux mille ans aux savants théologiens correspondants pour envelopper une absurdité et ranger la critique y relative, faute de pouvoir y répondre,  comme "blasphématoire"...
Ainsi, toujours, l'histoire de ce qui s'est passé a peu à faire de ce qu'on en raconte — pour les religions par exemple —. Des anciens venus de Mongolie, à travers ce qui n'était pas encore le détroit de Behring, ont ouvert à des peuplements humains deux continents qui ne risquaient pas à l'époque de s'appeler les Amériques. Ils ont eu par ces durs chemins leur histoire, leurs aventures et des climats différents de ceux qui sont partis, d'abord, de lieux pourtant bien proches de l'Asie, mais ensuite redescendus en affamés ou en conquérants pour envahir un jour ce qu'on nomme aujourd'hui l'Europe, ou de ceux, aussi d'abord voisins, qui se fixèrent plus directement vers le sud, après d'incroyables bouleversements, ou restèrent séparés d'autres migrants par les plus hautes montagnes du monde. Parcours évidemment différents, croyances de même : mais partout, des cupides de vie facile et de pouvoir ont perçu ce qu'il fallait prêcher pour se faire entendre et entretenir, en profitant spécialement des malheurs pour les déclarer punitions divines (ce qui est un comble de sadisme dans l'exploitation des traumas collectifs). Les détails des formulations religieuses correspondantes n'ont aucun intérêt autre que fossile : il faut seulement découvrir comment le psychisme universel s'est moulé à des contingences de très grande variété. Cela suffit à hausser les épaules devant toute religion et ses incroyables prétentions, mises sous une forme de hasard, à un fond universel ("catholique") de vérité.
Il faut donc plonger profond dans des obscurités d'âme, pour démonter ensuite au grand jour les déviances ancrées dans les inconscients par des hasards et malencontres, dans les hordes éclatées puis les lents et terribles regroupements de la pauvre humanité.

1. Rappel : pouvoirs avant mots
  "Les difficultés cinématiques resplendissent dans le frêne extrême" — il y a des exemples linguistiques plus précis, mieux construits sans doute, mais celui-là est venu d'échanges qui en valent bien d'autres : il est possible ainsi de proposer des phrases syntaxiquement acceptables, de contenu absent, d'interprétation au moins très difficile. A présent, déclarez que le non-sens ci-dessus est Parole divine, mettez au travail cent théologiens, usez de mille inquisiteurs pour ancrer la terreur de reconnaître que c'est en effet non-sens, recrutez des troupes pour perpétuer des crimes au service de  cette absurdité dix siècles durant, envahissez des continents en y accumulant les génocides pour forcer au respect de votre violence et à de nombreuses conversions, et vous aurez une "vérité catholique". Le tout de la question, c'est que vos armes aient été techniquement très supérieures à celles de vos victimes. A présent dites ce que vaut cette "raison" du plus fort, du plus violent.
Christopher Hitchens aligne, lui, des éléments de textes sacrés et en fait ressentir les aberrations — d'abord, certes, moins apparentes que celles de la phrase qu'on vient de lancer —. Si je ne me trompe, il a tort. Il est effectivement ridicule de psalmodier que "Moïse était humble, le plus humble de tous les mortels" (on va ci-dessous repiétiner les plates-bandes déjà cent mille fois parcourues de telles vanités) : mais avant tout, c'est psalmodie, c'est rite, c'est comédie, et la vacuité des mots ne doit être creusée qu'après avoir mis en évidence le recours à la force, à la gestuelle et au contexte grégaire, animal.
La "parole divine", c'est d'abord l'invite à la prosternation
par le rangement en communautarisme au lieu d'humanisme,
l'instillation forcée du respect,
pour ce qui rationnellement mérite  seulement
l'analyse afin de sortir du temps des cavernes et de ses angoisses.
Accepter de ratiociner sur un sens éventuel dans ce qui est fondamentalement affaire de pouvoir, bruit et conte, c'est rater les arguments les plus forts contre ces fautes et ces brigandages.
Il y a certes les contradictions des textes, l'absence de documents sérieux pour les étayer — au contraire les preuves vraiment historiques que ce qu'on raconte de Moïse a été inventé plus ou moins longtemps après ce personnage, syncrétique comme Jésus : rassemblement souvent peu cohérent de faits et gestes tirés de légendes sur des poètes, prophètes et conteurs comme il en courait dans les contrées en cause, c'est-à-dire qu'en tant qu'être humain unique et réel celui-ci ou celui-là n'a probablement même pas existé —.
Mais ces errances de textes dits originaux, ou déclarés apocryphes dans des luttes de clans et pouvoirs, ne font encore que peu de poids à côté des exigences folles réclamées, et obtenues par de bien autres moyens que les textes, des "fidèles".
Comparez, déjà. La raison, elle, est universelle, et jamais Euclide ni Archimède n'ont tué des gens pour faire croire à leurs démonstrations : ainsi rien n'est plus significatif que les procédés utilisés pour répandre les "fois", s'il faut les preuves les plus massives de leur fausseté. Après seulement ces procédés de violence inouïe viennent des répétitions de rédactions fabriquées pour leurs résonances sonores ou affectives. Puis encore viennent les liturgies rodées, de générations en générations, pour entraîner des enfants d'après leurs parents à un âge où ils ne savent pas raisonner. Par tous procédés, perpétuation de déraison : tout sauf et contre le plus humain, l'équilibre d'expérience et d'empathie universelles.
[C'est le rappel du tome I : toute "foi" replacée dans l'histoire avoue n'avoir eu d'autre recours, contre le refus d'avaler des idioties, que la torture et le meurtre. C'est par la férocité qu'on a imposé les premières guerres mondiales, celle de la papauté contre tous les peuples de la Terre, comme celle de la conquête mahométane. Inciter au respect du pouvoir dans le clan et le clergé, c'est inciter à la guerre — expression élaborée d'agressivité, d'animalité, d'inhumanité — : et c'est toujours par là qu'ont commencé les diffusions religieuses.]
C'est cela que démontre la connaissance, c'est cela que prouve l'histoire. Il persiste certes des gens pour en disputer : c'est seulement une preuve considérable que le stade vraiment humain de notre espèce n'est encore guère actuel.

2. Mots et tricheries
Mais soit, il faut aussi discuter sur les références écrites. Poser Moïse en humilité suprême est contradiction dans les termes, d'accord : contradiction entre ce qui est proche de l'humus, la terre, et la position dominante. C'est un bon procédé pour égarer loin de toute logique dès l'abord, en effet. En outre et bien entendu, si vous n'êtes pas d'accord sur cette étrange humilité, on va hurler que votre refus de vous prosterner tient à votre sale orgueil, évidemment, et on refusera de simplement admettre que vous voudriez vous référer aussi à l'avis de raison profonde, donc d'autres que ceux qui sont déjà acquis au prêche. C'est ainsi qu'on joue sur des affects puissants et mal contrôlables, surtout chez des êtres incultes (majoritaires : et on fait tout pour qu'ils le demeurent). C'est remarquablement efficace. "Donc" taisez-vous, et écoutez : très bientôt, on va vous expliquer que "le plus humble de tous les mortels" a ordonné avec colère d'égorger, entre autres, tout mâle (donc aussi de tout petits enfants) lorsque ses soldats ont commis l'erreur impardonnable de faire preuve de quelque humanité en épargnant des vaincus. On veut vous accoutumer ainsi à vous ranger du côté des vainqueurs :
on loue devant vous le crime,
et on flatte vos tendances les plus cruelles ;
on vous menace de mort si vous ne vous rangez pas à la boucherie,
et on vous instille la trouille.
Quelle majesté ! quelle grandeur ! quelle noblesse humaine !
Dans de tels beaux mélanges, bien sûr on vous a glissé aussi "tu honoreras ton père et ta mère" (ce n'est pas le premier commandement : le respect du clergé, du rite, sous prétexte de divinité est, lui, prioritaire). Certes, ce n'est pas de même nature que le "tu ne tueras point" qui vient de vous être chaleureusement confirmé par le massacre d'innocents : car les enfants qui ont eu de bons parents ne les "honorent" peut-être pas, mais instinctivement beaucoup les aiment, et se réfèrent à eux inconsciemment de façon point toujours négative. Autrement dit les "commandements" tantôt poussent à des barbaries infectes, tantôt scandent pompeusement de vagues platitudes à côté de ce que sont et valent des sentiments naturels et profonds. Remarquable apprentissage. Perdus dans de tels labyrinthes, vous risquez fort ensuite, de toute votre vie, de ne jamais oser distinguer, éprouver et raisonner au plus net, intime et fort de votre conscience — de vos traits entre tous vraiment humains, encore une fois. Vous en serez bien plus facile à gouverner : on vous en donnera même, en récompense, d'autres à gouverner — et avec énergie, vous verrez ! "croyez" seulement.
Il y a ainsi une fascination double des mots : à la fois annexes vis-à-vis de la structuration sociale déjà en place, et pourtant essentiels pour détourner de la confrontation consciente en penser, voir et savoir. "Tu ne tueras point", sauf sur ordre du prophète, et le prophète est si humain... qu'il a découvert l'attachement aux parents : simple touche de contact au réel, qui dans un fatras de délires et hâbleries apparaît tout à coup comme sagesse profonde...
C'est une facilité à laquelle peu renoncent, que pareille incohérence.
Des milliards de tels exemples font la quasi-totalité,
non seulement des textes sacrés, mais des bibliothèques.
Un jardinier demandait à Esope pourquoi la terre favorisait tant les mauvaises herbes : Esope répondit qu'elle était mère, et couvait bien plus volontiers ses propres enfants que ceux dont on voulait qu'elle fût la nourrice — le jardinier fut si content de cette "explication" qu'il donna, dit-on, à Esope les plus beaux fruits de son jardin : ne demandez point toutefois s'il a mieux, et plus aisément, cultivé ensuite ses arpents.
Montaigne même appelait encore science la connaissance de l'écrit et, appréciant fort peu l'effort de devoir suivre et faire suivre un raisonnement véritable, exaltait le discours "à sauts et à gambades", la "poésie", comme "parole originale des dieux" : cela, une petite génération avant la révolution philosophique galiléenne et l'explosion de rigueur de la méthode expérimentale !
Tout le déroulement humain est ainsi farci de telles "beautés littéraires" :
il ne faut voir les "textes sacrés" que comme quelques-uns de ces "oracles",
ceux qu'on a imposé directement par la violence.
Comparez, encore. Saisissez, face à cela, en images déjà plus précises et assurées dans le mental et le réel (et donc non en mots), le véritable, l'indéniable humain. Par exemple, si on vous dit que le périmètre d'un cercle est à peu près trois fois son diamètre, vous pouvez aller voir,  et méditer si vous voulez. Ce serait pareil pour des lois (d'abord tout approximatives) d'équilibre et de mouvement, de reproduction et évolution des espèces, de contagion des maladies infectieuses ou psychiques, de production et répartition des richesses, de construction des sociétés, etc. et encore etc. Mais aller voir et méditer suppose que vous avez le goût de bouger et saisir par vous-même : or il est souvent bien plus payant d'abuser de votre paresse et de votre impatience à ressentir un apaisement, de faim ou de malaise, et de vous bercer-berner de n'importe quoi qui prétende répondre à vos "profondeurs", réelles ou supposées...
Pourtant, si vous avez déjà vécu, vous aurez vite remarqué que le médecin, l'ingénieur ou le bon ouvrier sont autrement efficaces pour guérir, pour aider à faire ce qu'on veut et aller où on veut, que les prêches et les prêtres. Mais on a pensé à cela aussi : toute cette vie à laquelle vous êtes très naturellement attaché doit être méprisée au profit d'une autre dont nul n'a jamais rien vu ni ne peut rien voir — exploitation infâme d'une peur entretenue, au lieu qu'on la démonte et qu'on réconcilie avec la vie, donc la mort. On peut admettre que celle-ci soit intolérable pour un enfant : mais pour éviter que des enfants meurent, ce n'est pas avec les guerres entre prétentions chrétiennes et islamistes en Afrique, en Asie, et partout en pauvreté, qu'on va en arrêter les plus massives atrocités, mais en luttant surtout contre les pouvoirs qui maintiennent la pauvreté. Et à d'autres moments de la vie,
– d'abord accepter la mort serait bien plus facile par des formations et des aides universelles psychiatriques — l'efficacité des "cellules de soutien" psychologique dans les catastrophes n'est plus à démontrer
– ensuite lutter contre la mort prématurée consiste par exemple à soigner les maladies au lieu de les favoriser par des produits infects, et ainsi d'engraisser plus aisément des actionnaires et financiers qui étranglent la recherche et les hôpitaux publics, à portée de tous
– enfin il n'est pas si compliqué ni pénible de comprendre que la mort au grand âge est tout ce qu'il y a de plus naturel, de plus intimement lié à la vie.
Partout, toujours, la religion bloque ou interdit le progrès humain. Après quoi, si vous vous laissez prendre à des contes d'immortalité contraires à tout ce qui a été vu et revu depuis que la vie est apparue sur Terre, vous aiderez à perpétuer les malheurs et vous en serez vous-même nouvelle victime — peut-être parfois heureuse, peut-être fort malheureuse, mais consentante et c'est tout ce qu'on vous demande...
Base de quelles tricheries, de quels crimes !
Bref, le commandement suprême des prêcheurs, c'est : ne discernez jamais, au contraire laissez mêler, par exemple
– l'horreur la plus patente, le massacre et la guerre contre les "infidèles",
– et la réalité la plus trivialement nécessaire, l'affection pour les parents,
sous l'égide de vos "sauveurs". Les coutumes établies par la violence, les mots et les textes, sont ainsi là pour vous pousser à tous les embrouillamini, donc toutes les angoisses. Obéissez : vous aurez peut-être bien des maux et du mal, mais jamais celui de penser. Vous serez en nombreuse et réchauffante compagnie — enfin, du moins, assez souvent, tel que va le monde : car il y aura tout de même quelques catastrophes, notamment politiques, qui emporteront bien des victimes ; mais on n'en reprendra que mieux en main les survivants, toutes les guerres répètent cette leçon, les mondiales mieux que les autres, et on est en train de vous en préparer une à couper définitivement tous les souffles de vérité... Que voulez-vous, il y a des généraux et hommes d'Etat impatients, et depuis longtemps à présent, d'essayer enfin en vraie grandeur les pires engins de meurtre que la folie d'animalité ait pu faire produire... et c'est encore et toujours de ces "grands" — du pouvoir : dieu et César — qu'on veut vous inspirer le respect !
Que ne peut-on ainsi, donc, avec les mots et aujourd'hui les media, pour relayer les échos des cavernes naturelles des grottes initiales, et les échos des cavernes artificielles des temples ! La fascination est la même, certes amplifiée et raffinée par l'adjonction télévisée d'images perverses, choisies pour leur orientation malsaine, au service des jeux de domination : mais au fond ce sont toujours les mêmes violences imposées, pour emporter l'adhésion, pour submerger les barrages et architectures fines du savoir et de la raison. Il faut donc voir bien plus large que les religions officiellement codifiées comme telles, plus large aussi que les multiplicités infinies de superstitions et devineries (par exemple dans le genre des prévisions d'avenir par signes divers, horoscopes, lignes de la main, tirages de cartes ou marc de café), si l'on veut enfin comprendre indestructiblement.

3. L'inconscient, dit "instinctif", bien au delà des mots
La difficulté à voir net, comme souvent, n'est pas tant forte pour des questions de culture et d'exercice intellectuel logique, qu'à cause d'obstacles affectifs et notamment d'angoisses. C'est malgré tout cela qu'il faut réussir à faire saisir l'essentiel, ne pas se laisser égarer par des rites locaux. Or reprenez, entre autres, l'excellent Rameau d'or de Frazer, et vous verrez qu'il ne sort jamais de la description (souvent attendrie) de croyances spéciales, au grave détriment de l'examen des liens aux grandes puissances inconscientes. C'est pourtant celles-ci que cela vaut le plus la peine d'éclairer, et pour ce faire il est bien plus direct d'approfondir et de généraliser la réflexion à des comportements sociaux universels : il faut montrer comment, dans l'humain, les habitudes sont prises comme chez les bêtes par associations inconscientes
– d'abord dans le confort cent fois éprouvé de repasser par les mêmes itinéraires matériels ou psychiques (équivalent de territoire de base)
– ensuite dans l'exploration de ritualisations plus élaborées mais aussi peu rationnelles (équivalent d'aventure et chasse), où se mêlent des constructions symboliques restées beaucoup plus élémentaires chez les autres animaux, même si des rassemblements de meutes et hordes évoquent irrésistiblement leurs homologues humains en cérémonies.
En tout cela, cérémonies et liturgies sont bien autre chose que des mots, mais elles laissent alors moins de prise à la perspicacité des chercheurs humanistes : pour le dire en deux lignes, les architectures somptueuses ou écrasantes et les sonorités plus qu'étudiées des cathédrales, les décorations et arts sacrés, les chants et les lumières de Noël, ont fait davantage pour l'ancrage en foi et bonne conscience des chrétiens que tous les discours fondés ou non directement sur les affirmations de la "Bible". Or on peut contrer par la logique les faussetés mises en phrases, et ainsi — même difficilement — creuser leurs aveux involontaires de mensonge. Mais on peut attaquer bien moins directement une croyance attachée aux splendeurs d'une Passion de Jean-Sébastien Bach : il faut un long et pénible itinéraire pour faire reconnaître la disjonction, de la beauté d'une mise en scène à la menterie qui l'a partiellement inspirée, et qui motive sa diffusion. Ce qui ancre dans l'inconscient est justement, souvent, et par son incohérence même, cette intrication de sentiment et d'occasion soumise à un pouvoir (suprême fascination, due au moteur de comportement le plus puissant) : de là la perversion, le rapport intériorisé à des contes destinés à forger un esprit de clan contre le reste de l'humanité. On renonce d'autant moins aisément à l'introjection d'une épreuve profonde en rite, qu'on ne songe jamais à l'analyser : ainsi on se fait "fidèle" sans jamais le savoir.
Ainsi en tout. Les empêchements de penser (véritablement, rationnellement, humainement) surgissent notamment face à des remises en cause de coutumes, ritualisées souvent, et surtout du sentiment de référence sociale, au sentiment peu élaboré mais très puissant de horde : la crainte de ne plus être "comme tout le monde" (en fait, le clan !). Toujours, ce qui s'ancre passe accessoirement par des traits humains comme le langage, essentiellement par des acceptations et des refoulements, des guides, très exactement aussi inconscients que chez les bêtes.
Il y avait encore, il n'y a pas longtemps, des villages assez perdus où l'on érigeait en sorciers, doués de pouvoirs et savoirs magiques, des enfants mentalement avortés. J'en ai entendu parler pour de fins fonds d'Indonésie, mais je suis bien tranquille que cela a existé partout où il y a eu des humains. Car par communication intense (incluant des valeurs très profondes et utiles comme sympathie et compassion) et en l'absence de contrôle rationnel (donc presque toujours), il ne peut manquer de se faire que des êtres, au comportement étrange voire pervers, fascinent et attirent. Sartre est encore un exemple proche, en 2015 et en France, de succès d'une fascination voisine : cas pathologique particulier mais d'intérêt large, car ce sont systématiquement des psychotiques profonds de cette sorte — les uns doués d'humanité profonde et à la recherche véritable de cohérence au moins partielle, comme Sartre, rares ; les autres d'une effrayante sécheresse de cœur et d'une sottise corrélée — qui sont encore appelés philosophes dans nos universités, contre tout savoir universel et qui mérite d'être reconnu comme tel. Or les religions sont seulement, et à l'évidence, des cas particuliers de telles "philosophies" — de telles cratophilies, goût de pouvoir et non de savoir —. Simplement, les zones historiques et géographiques de théocratie avouée ne tolèrent pas d'autre philosophie que la religion locale, alors que dans les pays qui ont dû admettre des armes et de l'industrie plus perfectionnées, on autorise des divagations variées : progrès indéniable, mais combien limité !
C'est à peine une généralisation de dire ensuite : le grand artiste est parfois un malade qui lance malgré tout des éclairs de justesse dans les tréfonds de nos abîmes. Ces lumières de la folie sont d'ailleurs, en littérature vraie, autrement plus fréquentes que dans la Bible : le curé Meslier le remarquait déjà, bien avant Nietzsche. Mais elles existent aussi en peinture : Van Gogh n'a pas fini de faire méditer. De même et comme tant d'autres, Sartre est philosophe quand moins il y pense, parce qu'aux sommets de son art il illumine ce que de lentes analyses tardent à aborder. Que dire ensuite des exaltations musicales !
Cela doit être incitation à sonner l'alerte avec l'énergie qu'il faut, à voir, à repérer partout ce que sont les égarements hors humaine cohérence, les fascinations par les mots et les entraînements d'affects, religieux comme patriotards, les meneurs abusant de poussées notamment grégaires venues des temps de cavernes dans les comportements de presque tous — y compris de gens de culture progressiste, ô lamentable dialectique ! — Il nous revient de ne jamais oublier, toujours réactualiser la leçon : les jeux hautains de Verbe, la prise de pouvoir, la séduction malsaine, c'est au fond l'empire de l'animal, la tentative vaine et renouvelée de notre hâte à nous passionner, nous décharger l'âme au plus court terme par l'enthousiasme sans contrôle, sans rien voir au delà. On n'a pas le droit à toute passion, et il faut voir comme des pestes les formes abusant de traits superficiels d'évolution humaine : un perroquet peut réciter le pater, et en latin encore ! — il n'est d'ailleurs pas aisé de démontrer qu'il y comprend moins que bien des "fidèles" des temps passés et présents —. De telles manifestations, et l'adoration de "mages", ne peuvent manquer de réapparaître aussi longtemps que des humains seront soumis à des dressages pervers, qui empêchent de cultiver la maîtrise de soi par le savoir et la raison. Les prophétismes d'un Rousseau ou d'un Marx peuvent bien diverger quant à la croyance religieuse majoritairement reconnue autour d'eux, ils n'en sont pas moins pareillement enracinés dans l'appel à l'admiration, par des obscurités et par le mépris contre ceux qui refusent leur jeu abject. Sartre, encore, doutait "de tout, sauf d'être l'élu du doute", de même que de Gaulle était intimement persuadé qu'il portait la destinée de la France : de tels êtres sont bien plus semblables et primitifs qu'ils n'eussent voulu l'accorder l'un et l'autre et, surtout si des hasards de réalité les portent, ce sont ces gens qui sont les plus aisément suivis par les foules encore aujourd'hui. Non pas pour leurs éventuels bons côtés, mais parce qu'ils ont l'assurance indestructible du déjanté incurable, comme, en Indonésie ou ailleurs, de pauvres gosses dont le cerveau a été atteint sont haussés en chamanes et devineresses dans leur groupement de huttes.


Reste à dire le "que faire". Mais que ce soit ici la fin de message sur ce que religion au fond représente — folie rarement éclairante et souvent mortelle :
à travers des héritages empoisonnés comme ceux que représentent les religions traditionnelles, on étouffe, chez presque tous encore, l'ouverture à la santé mentale : surtout la santé en épanouissements sociaux, sexualité certes, mais expansivité par-dessus tout, avant qu'elle ne tourne à l'agressivité primaire et désolante.
De même, à travers des modes risibles et salonardes — existentialisme, structuralisme, cognitivisme, ce n'est pas fini —, on fait passer pour philosophies des déviances maladives que, dans leur mal-vivre des religions traditionnelles, beaucoup de gens prennent pour une issue : or ce n'est pas mieux, et ça empêche souvent aussi  efficacement le seul, le vrai progrès en savoir et raison. Car le savoir véritable est indissociable du tri, du discernement, de la tolérance sauf contre les résolus intolérants (a dit Martin du Gard), parfois de la reconnaissance de l'art comme abord du plus difficile — en tout cas le savoir est partout indissociable du refus du laisser-aller à la fascination par le pouvoir, son Verbe, sa dialectique.
Je sais bien qu'il est indécent de déclarer tout sec son cancer à un malade, affaibli souvent surtout dans sa psyché, et qu'il est très humain au contraire de soutenir son moral autant que faire se peut, pour exalter ses résistances et sa vie même. Mais je ne crois pas le moins du monde aux tricheurs. L'aventure humaine est la synthèse difficile, nécessaire et possible, de la rigueur rationnelle et de l'empathie avec tous ses semblables. Là seulement est la vérité, toute contraire à l'horreur du faux et du faux vivre : « si on renonce à une part de ce qui est, il faut renoncer soi-même à être », dit le "Retour à Tipasa". C'est pour cela que, lorsque je dis Einstein ou, combien de fois, Lorenz, je n'ai jamais compris qu'on prétende m'objecter Romain Rolland, Martin du Gard ou Camus. Car puisque l'humain est à la fois empathie et rigueur
– si d'un côté les très grands auteurs, et les plus valables, de nos très grandes littératures — Camus certes, mais Sartre également quand il ne se prend pas pour philosophe — étaient avant tout de justes sensibilités, développant merveilleusement nos capacités d'empathie,
– de l'autre côté, nos savants les plus immenses en appellent à l'étude approfondie (où l'empathie n'est pas absente !) de la nature, dont notre nature ; de prétentieux primitifs nous disaient de nous connaître par nous-mêmes, sans mesurer les obstacles des refoulements, or nous avons enfin, enfin ! les moyens de mesurer et surmonter les dissimulations de soi, et les nécessités du détour par l'autre, l'autre que l'humain d'abord, l'autre humain que le soi ou les proches ensuite.
Quel vice alors peut voir une contradiction entre
– ici les leçons de l'histoire, toute l'histoire, et de la science, toute la science,
– et là les exigences de la nature, notre nature, toute la nature
alors qu'enfin sous nos yeux les deux lignées convergent, se rassemblent et cohèrent comme elles ne l'avaient jusqu'ici jamais fait ?

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